2x04 - Chassé-croisé (10/17) - Passage à table

Ellen et Nelson quittent la file du réfectoire, plateau en mains, à la recherche de deux places inoccupées où s'installer pour le déjeuner. Fourbus de leur cours de sport de ces deux dernières heures et ce même après avoir pris une bonne douche, les deux amis conversent tranquillement sur ce qui les attend le reste de la journée et même de la semaine. La considération de leur cours d'Algèbre qui succède immédiatement à la pause de midi les Lundis rappelle soudain à la petite marginale qu'elle a oublié de faire part à son camarade d'un élément important :

- Hey, au fait, tu vas jamais deviner qui j'ai vu en arrivant ce matin ! elle s'exclame, lui faisant arrondir les yeux par son enthousiasme inopiné.

- T'as qu'à me le dire tout de suite, on gagnera du temps, il répond.

Sans vouloir être rabat-joie, il n'est pas d'humeur joueuse. Il est trop éreinté pour ça.

- Strauss, l'informe Ell'.

La jeune fille ne manque pas de savourer la surprise qui s'affiche enfin sur le visage de son interlocuteur à la mention de ce nom. Il s'attendait aussi peu à l'entendre qu'elle ne s'attendait à croiser son porteur ce matin. Pour une fois, Nelson peut convenir que l'évènement mérite d'être noté ; c'est loin d'être toujours le cas de tout ce qu'Ellen juge bon de partager.

- Ah ouais ? Qu'est-ce qu'il faisait là ? Je croyais qu'il avait carrément changé de ville.

- Je lui ai demandé s'il revenait à Walter Payton, mais il a dit non. Il a dit qu'il avait appris pour Mae, explique l'originale.

Tout en discutant, ils ont fini par atteindre une table libre, et elle y dépose son chargement. Son compagnon imite son geste, puis fait glisser son sac au pied de sa chaise, avant de continuer dans ses questions :

- Oh. Et qu'est-ce qu'il pense pouvoir faire pour elle, en venant ici ?

- Il pensait que c'était toi qui étais avec elle. Il s'inquiétait pour son ancien élève. C'est sympa, lui apprend Ellen.

- Plutôt, ouais, convient l'autre en hochant la tête.

Un soudain attroupement à quelques mètres attire leur attention, coupant court à la conversation. Laissant leurs plateaux en plan, ils se joignent au cercle qui vient de se former, et ne peuvent retenir une expression choquée en découvrant Brennen en son centre, assis par terre, un camarade de classe à genou à côté de lui. Il est conscient, mais il semble avoir besoin de s'agripper à son collègue pour rester droit.

- Bren ! s'exclame son admiratrice, alarmée de le voir dans cet état.

- Oh. Salut, Illi, il la salue en reconnaissant sa voix.

Malgré sa pâleur, il sourit sans effort.

- Est-ce que ça va, mec ? s'enquiert le garçon à côté de lui.

Il revient à la charge, parce qu'il n'a pas obtenu de réponse depuis la première fois qu'il a demandé ça, au moment où le journaliste s'est pratiquement écroulé sur place, un instant plus tôt.

- Oui, oui. Merci, Tyler. C'est bon, tout va bien ! Tout le monde peut retourner à ses occupations.

Après s'être adressé tantôt à son support, tantôt à la foule autour de lui, Bren se détache de celui qui lui a porté secours et se relève précautionneusement. Voyant qu'il a l'air d'aller mieux, et que quelqu'un est à ses côtés, les badauds se dispersent, à l'exception d'Ellen et Nelson. Ce dernier tente bien de tirer son amie par le bras, mais elle refuse de se détourner.

- Attends… Je croyais que c'était impossible pour toi de t'évanouir ? elle questionne Brennen, en train d'épousseter ses jeans.

Se sentant de trop, Tyler décide de les laisser. Il ne peut rien faire de plus pour son camarade de toute façon. Ils échangent un dernier sourire et un geste, puis il est parti.

- Moi aussi. Mais apparemment, il aura suffi d'un bon coup de crosse pour que mon cerveau en décide autrement, le rédacteur en chef répond à celle qui l'interroge, avec un humour mi-figue mi-raisin.

- Pourquoi tu pourrais pas t'évanouir ? s'étonne Nelson.

Il ne voit même pas comment une telle incapacité serait biologiquement possible. Avec la façon dont Ellen l'idéalise, qu'elle pense ça ne le choque pas, mais que l'intéressé confirme est plus surprenant.

- C'est une longue histoire, esquive Bren.

- Tu veux pas passer à l'infirmerie ? lui propose alors Ell'.

Bien que les couleurs soient déjà en train de lui revenir aux joues, elle n'est pas encore rassurée quant à son état.

- Déjà fait. La semaine dernière. Et Holden m'a dit d'aller voir un médecin si ça continuait. Ce que j'ai fait. Et ils disent que c'est psychosomatique, donc… le lycéen refuse gentiment l'offre, avec arguments à l'appui.

Malgré le pragmatisme de ses propos, sa frustration transparaît dans son ton.

- La semaine dernière ?! Ça t'arrive depuis quand, de faire des syncopes comme ça ? la jeune fille s'alarme de plus belle.

- Je vais dire la semaine dernière… murmure Nels, trouvant que la question se répond à elle-même.

Brennen a un sourire pour la remarque du grand adopté, pas totalement infondée, avant de tout de même préciser pour sa camarade :

- Mardi dernier. Mais j'ai juste des maux de tête, je ne tombe pas complètement dans les pommes.

- Ça doit être de la migraine costaude, pour te mettre à terre, se permet de commenter Nelson.

Il y a selon lui comme une incohérence entre ses symptômes et son estimation de la gravité de son état. Ce n'est tout de même pas neutre, d'avoir suffisamment mal au crâne pour s'écrouler au sol.

- C'est méchant, ouais ! Mais si c'est juste du stress post-traumatique, ça va passer, lui accorde le journaliste sans pour autant cesser de dédramatiser sa situation.

- C'est à cause de ce qui s'est passé… comprend enfin et tout à coup Ellen.

Malgré sa mention de son coup reçu au visage, elle n'avait pas encore fait le lien avec l'enlèvement de Mae, dont il a été à la fois témoin et en partie victime. Combien de malheurs peuvent encore découler de cet évènement funeste ?

- Quoi d'autre ? Mais c'est bon, je vous dis, faut pas vous inquiéter. C'est normal, le jeune journaliste insiste une dernière fois pour la rassurer.

Quelque chose dans la façon dont elle se serre elle-même dans ses bras, et ses grands yeux tristes sous son bonnet mauve, l'affecte presque plus que la fulgurante migraine qui vient de le terrasser. Il déteste l'idée d'être une source d'inquiétude pour qui que ce soit, et encore moins une supplémentaire.

- Il y a rien de normal dans toute cette histoire, grince alors Nelson.

Il fait aussi bien référence aux malaises de Brennen qu'à l'absence de sa propre meilleure amie. Il n'y a rien de normal ni dans l'une ni dans l'autre des situations. Pourquoi le nier ?

Comprenant sa maladresse, le plus âgé prend un air désolé qui arque ses sourcils.

- C'est pas ce que je voulais dire, il se rattrape immédiatement.

En voulant en tranquilliser une, il a froissé l'autre. Il préfère décidément s'exprimer par écrit. Néanmoins, Nelson radoucit rapidement son ton, qui était en vérité plus agressif qu'il ne se sent réellement :

- Je sais. J'ai validé ton article, non ? Ce que je voulais dire moi c'est que… Rien ne va. T'as pas besoin de prétendre que c'est le cas, il se paraphrase.

Il est juste frustré. Comme tout le monde. Même s'il sait bien qu'on ne le tiendrait pas explicitement au courant dans le cas contraire, il a bien l'impression que l'enquête pour retrouver Mae n'avance pas d'un pouce. Ils n'ont strictement aucune nouvelle. Ellen et lui se relayent pour aller voir les Quanto, parfois même accompagnés de leur parents, mais il se demande si ça ne fait pas plus de mal que de bien. À partir de quelle fréquence de visite est-ce qu'on devient plus envahissant qu'autre chose ?

- C'est vrai. Juste parce qu'il y a pire que toi, ça veut pas dire que ce qui t'arrive n'est pas grave, ajoute Ellen.

Parallèlement, elle admire la vitesse à laquelle Bren s'est rétabli de son petit indicent. Même en connaissant sa robustesse naturelle, c'est impressionnant. C'est parti aussi vite que c'est arrivé. Elle n'a jamais entendu parler d'un mal de crâne qui se comporterait de cette manière. Et pourquoi le stress post-traumatique ne serait-il apparu que plusieurs jours après l'enlèvement, et aussi brutalement au lieu de progressivement ? Et depuis quand ce type de symptômes est-il intermittent, sans déclencheur extérieur ? Et Brennen est supposé être aussi résistant à tout ça qu'aux évanouissements de manière générale, autant qu'elle sache.

- Merci… Vous devriez aller manger avant que ça refroidisse, leur conseille néanmoins leur aîné avant qu'elle ait pu lui poser plus de questions.

Sur ce, il récupère son propre plateau, vide. Par chance, il était encore posé sur une table au moment de son terrassement, survenu alors qu'il quittait justement sa place. Tandis qu'il s'éloigne, Ell' se laisse cette fois tirer par le bras. Les paroles de Strauss au matin lui sont soudain revenues en mémoire. Même s'il avait des réponses à ses interrogations, Brennen n'a sans doute pas envie d'y être soumis. Il a clairement assez souffert ; ce serait cruel de le pousser à épiloguer sur les séquelles de ce qui s'est passé. Il ne faut pas qu'il ignore ce qui se passe, mais insister serait sans doute malvenu. Pour une fois, la curiosité maladive de la marginale attendra donc, voire restera insatisfaite. Elle et Nelson rejoignent leur table et s'y installent, s'efforçant de trouver un sujet de conversation qui ne leur rappellera pas la cruelle absence du troisième membre de leur groupe.

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