2x04 - Chassé-croisé (1/17) - Tour de force

Ils sont grands. Et larges. Au moins trente centimètres de plus qu'elle, et sans doute autant de kilos. Presque élégants dans leurs pulls de Gore-Tex et leurs pantalons cargo noirs ajustés à la perfection, les deux géants blonds et musclés la surplombent de toute leur hauteur, leurs expressions et leurs poings fermés, l'air dur. Essoufflée, elle affronte leurs regards de glace du sien verdoyant, ses mèches brunes en désordre sur son visage, collées à ses tempes par la sueur, du sang au coin de la bouche déjà. Il faut qu'elle agisse vite. Ils ne vont plus attendre bien longtemps avant d'intervenir.

Avec un craquement satisfaisant, instantanément couvert par un hurlement de douleur, Jena casse l'auriculaire du troisième homme de la pièce, qu'elle maintient à genou par une clé de bras et son pied sur le bas de son dos. Un sourire étire alors les lèvres de ses deux mentors qui la surveillent.

- Bien ! Feiwel serait fier de toi, commente le grand blond aux cheveux un peu plus longs que l'autre.

Il a un très léger accent scandinave, en accord avec ses traits clairement nord-européens.

- Peut-être, halète la brunette, sans lâcher sa prise sur sa victime, toujours à terre sous elle, gémissant encore de ce qui vient de lui être infligé.

- Ça m'a manqué, déclare simplement le deuxième géant en présence.

Il a plutôt un accent d'Europe de l'Est, lui, un rien plus marqué que son acolyte mais non moins en harmonie avec ses pommettes hautes et sa mâchoire carrée.

- Arrête de dire ça ! le reprend Jena alors qu'il secoue la tête avec nostalgie au spectacle qu'il a sous les yeux.

Il y a comme un décalage entre la violence de la scène et la tendresse dans son regard, mais personne ne semble s'en formaliser. Son collègue à sa droite est tout aussi détaché de ce qui se passe que lui. C'est tout juste s'ils n'ont pas les mains dans les poches.

- Il est rancunier, statue justement l'autre, avec une grimace et un haussement d'épaule.

- Comme si j'étais pas au courant ! confirme la jeune femme, exaspérée.

Pensant sa tortionnaire distraite, le prisonnier tente soudain de se libérer. Bien qu'il soit indéniablement plus costaud qu'elle, elle est cependant dans une position de force suffisante pour ne pas perdre le dessus. Elle doit lutter pour conserver le contrôle, mais le garde quoi qu'il en soit sans un trop gros effort.

Après seulement une poignée de secondes de cette joute stérile, le plus slave de la bande lâche pourtant un soupir las et avance d'un pas, pour venir abattre de toutes ses forces considérables son poing sur la figure de l'homme à genoux, le faisant immédiatement tomber dans l'inconscience. Interloquée, Jen ne le laisse s'écrouler sur le sol que dans un second temps. Elle lâche sa prise et il s'étale face contre terre, le nez dans l'épais tapis sur lequel la joute a eu lieu. Elle ne s'inquiète pas qu'il se cogne au coin de la table basse, puisque le meuble a été pulvérisé dans la bagarre qui a conduit à ce qu'il se retrouve immobilisé en premier lieu. Le reste du salon n'est d'ailleurs pas en meilleur état. De nombreux bibelots ont été brisés, et des projections de sang barrent plusieurs surfaces, indiquant là où l'un des participants a réussi à porter un coup à un autre.

- Vlad ! Pourquoi t'as fait ça ? la brunette interpelle l'agresseur, écartant les bras d'incompréhension.

- Pas rancunier, il répond simplement, secouant la tête de gauche à droite, avant de quitter la pièce en roulant des épaules comme un fauve en cage.

Jena soupire et prend le pont de son nez entre ses doigts. Il était sur le point de parler. Il va falloir tout recommencer depuis le début, maintenant !

- Ça fait cinq jours que c'est comme ça, elle se plaint à celui de ses deux compères qui est encore avec elle, désignant celui qui les a laissés du geste.

- Je sais. J'étais là, il valide cette affirmation sans rien y ajouter, d'un ton égal.

Il ne semble pas particulièrement affecté par le contretemps qui vient de leur être imposé par son partenaire. Pas plus que l'aigreur qui y a conduit.

- Il peut pas m'en vouloir pour toujours, Jena continue d'évacuer sa frustration.

- C'est dur de voir ses enfants grandir, lui offre alors son interlocuteur, semblant enfin prendre parti.

Et bien sûr, qu'il prendrait la défense de son équipier plutôt que de leur filleule…

- Je suis pas votre fille. Et je vous ai pas abandonnés ! On a déjà été dans des missions différentes avant, elle proteste avec véhémence à cette accusation à peine voilée.

- C'est pas pareil. Cette fois, on te voulait avec nous, mais tu as dit non pour rester près de Chicago en cas de besoin pour ton petit ami ; c'est un peu comme si tu nous avais abandonnés, il se permet de lui expliquer leur point de vue.

Mettant genou à terre, il se saisit du corps inanimé, toujours dans une position peu naturelle, au coin du tapis du salon. L'imitant, Jena l'aide à retourner leur source d'information sur le dos, afin qu'il soit plus facile à transporter.

- Il fallait que je reste ! Ils étaient en danger ! elle continue de défendre sa décision.

- Clairement. Mais est-ce que ça a changé quelque chose que tu sois là ?

Il ne nie pas ses bonnes intentions. En revanche, il est moins clément face à ses résultats. Son regard pâle entre ses mèches platines en dit presque plus long que ses mots. Face à cet argument valide, Jen perd un peu de se morgue. Comme si ce n'était pas suffisant que Markus lui en veuille de lui avoir menti, ses parrains la blâment de ne pas avoir fait son travail correctement. Elle ne peut satisfaire personne, on dirait…

- Ça aurait pu, elle déplore doucement.

Sans rien ajouter pendant un moment, ils déplacent l'inconscient jusqu'à la cuisine du petit appartement, lui l'attrapant sous les aisselles, elle sous les genoux. En passant à côté de la chambre, Jena jette un coup d'œil à Vlad, occupé à mettre tous les tiroirs sens dessus dessous. Il ne leur accorde pour sa part aucune attention, absorbé par sa tâche.

Arrivés dans la salle à manger, les deux complices assoient leur victime toujours sans connaissance sur la première chaise qu'ils trouvent. Pendant que Jena sort plusieurs attaches en plastique de l'une de ses poches et entreprend d'entraver convenablement leur prisonnier, l'autre ouvre et referme plusieurs placards jusqu'à trouver celui qui contient des verres. Après en avoir rempli un d'eau du robinet, il boit plusieurs longues gorgées, visiblement assoiffé.

- Tu fais du bon travail maintenant, d'un autre côté, il commente une fois de plus ce que la jeune femme est en train de faire.

Elle grogne, ayant du mal à accepter ce compliment.

- Statistiquement, je peux pas me planter à tous les coups, si ?

Elle s'efforce de rester positive, mais son ton trahit sa frustration. Ces six derniers jours, avec l'aide de Caroline, ils ont traqué près d'une dizaine des personnes sur la liste qu'elle avait compilée suite à l'enlèvement de Mae. Sur tous ceux-là, seuls trois avaient réellement des informations sur le sujet, en comptant celui à qui ils sont actuellement en train de rendre visite. Et malheureusement bien que sans surprise, pour des raisons de sécurité, il semblerait qu'aucun des membres de l'équipe de mercenaires n'ait été mis au courant de l'entièreté du plan. Chacun a été informé de son rôle, ni plus ni moins, justement pour éviter de pouvoir s'impliquer les uns les autres en cas de pépin. Si non nuls, les résultats de l'enquête menée par la petite brune et ses deux acolytes sont donc jusqu'ici plutôt décevants. Mais, pour une fois, ce n'est pas sa faute, ce sont juste les circonstances.

- On t'a pas entraînée à être une cogneuse, lui rappelle son mentor.

Il essaye de lui faire implicitement comprendre qu'elle ne doit pas se sentir coupable de ce qui est arrivé à la jeune fille qu'ils cherchent ; les assauts frontaux ne rentrent pas dans son champ de compétences principal. Elle est en revanche, comme il vient de le sous-entendre, très douée pour récupérer les informations dont elle a besoin. C'est ça, son forte. C'est ce à quoi ils l'ont formée. Elle a établi pratiquement toute seule sa liste de suspects, et elle mène à présent leur petite investigation extracurriculaire comme une championne, ne reculant devant rien, pas même leur imposante présence un rien paternaliste sur les bords. Et en son humble opinion, dans la vie, il faut parfois savoir s'en tenir à ce dans quoi on est bon. Même si elle avait pu être avec la jeune fille lorsqu'ils sont venus la prendre, est-ce qu'elle aurait réellement pu repousser une équipe d'assaillants ?

- Tu crois qu'il va parler ? elle demande, pas aussi sûre d'elle qu'il ne l'est à sa place.

- Une seule façon de le savoir, répond simplement son collègue, avant de balancer toute l'eau qui restait dans son verre à la figure de leur captif.

Jena voudrait ne pas sourire à l'expression de pure appréciation qui s'affiche sur le visage du géant nordique à son geste, désireuse de rester sérieuse, mais elle va bien devoir en arriver à s'avouer que, comme à Vlad, être en mission avec eux lui a manqué. Elle est vraiment contente qu'ils aient répondu présents à son appel à l'aide, alors qu'ils n'y étaient nullement obligés. À vrai dire, elle s'en veut d'avoir douté d'eux une seule seconde, alors qu'ils ont toujours tout fait pour la protéger, y compris gardé le secret de ce qui est arrivé à sa petite sœur. Mais ils sont ensemble, désormais, et c'est le premier pas en direction de toute les possibilités.

Scène suivante >

Commentaires