2x03 - Prise au piège (17/17) - Pas à pas

Quand Sam a reçu un message de Jena, dans l'après-midi, lui demandant de la rejoindre sur le parking de son commissariat en fin de soirée, il a été laissé perplexe. Il n'a pas eu de nouvelles de la jeune femme depuis qu'elle a témoigné à propos de l'enlèvement de Mae, pas même par son neveu. À vrai dire, il ne l'avait même pas vue ce jour-là, car elle avait filé trop vite. Et maintenant ça, un message aussi télégraphique que cryptique. La seule raison pour laquelle il décide d'honorer le rendez-vous sans discuter, c'est parce que la mystérieuse transmission fait mention de sa nièce.

Le crépuscule venu, Sing Sing à ses basques, l'inspecteur trouve la petite amie de Markus appuyée sur le capot de sa voiture, les mains dans les poches de sa veste, jambes tendues et bottes de cuir croisées. En les voyant arriver, elle se redresse et ramène machinalement l'une de ses mèches brunes derrière son oreille. Même si c'est discret, elle est visiblement mal à l'aise. En vérité, elle l'est presque autant qu'elle l'était avant de tout avouer à l'étudiant en médecine plus tôt dans la journée, mais l'oncle ne peut pas être au courant de quoi que ce soit à ce sujet. Après tout, Mark est rentré directement à la maison après les cours, et Caroline l'aurait signalé à sa sœur, si elle avait vu passer quelque message à son sujet à l'intention de l'inspecteur.

- C'est toujours sympa, les petits rendez-vous à la tombée du jour dans un coin tranquille, mais tu peux m'expliquer ce qui se passe ? s'enquiert le maître-chien sans perdre de temps en civilités.

Rien dans le message de la jeune femme ne laissait présager qu'elle avait besoin de sa protection. Elle semblait plutôt avoir des informations à lui fournir concernant le kidnapping. Et à la façon dont elle se comporte maintenant, comme assurée et détachée, même à travers un certain malaise, il ne pense pas avoir mal interprété la situation. Il l'a connue plus souriante, mais ça ne semble pas être la peur qui a fermé son visage. Elle a l'air déterminée, voire en colère, mais pas effrayée.

- J'ai une liste de personnes qui pourraient avoir pris Mae, Jena précise ce dont elle est venue lui parler, ne s'embarrassant pas non plus de politesses.

- On sait déjà que ça a été commandité par les gens du labo qu'Alek et ta sœur ont fait tomber.

Méfiant, Sam n'est pas encore intéressé par ce qu'elle lui propose. C'est triste à dire, mais les mercenaires, ce n'est pas ce qui manque. Des types qui pourraient avoir pris Mae, il en a tout un bottin.

- Et les noms sur ma liste ont déjà bossé pour eux, insiste la brunette.

- Et comment tu aurais obtenu une liste pareille, huh ? questionne l'inspecteur.

De tels renseignements seraient une aubaine, mais il reste malgré tout suspicieux. Parfois, quand quelque chose paraît trop beau pour être vrai, c'est que ça l'est. Or, une liste réduite de suspects à interroger, en si peu de temps et avec si peu d'éléments, ça relève du miracle.

- J'ai fait jouer mes contacts, Jena répond simplement, haussant les épaules pour se donner un air nonchalant.

Ce n'est pas tellement qu'elle veut lui cacher quoi que ce soit, c'est juste qu'elle n'a pas envie d'en parler. Pas en détails, en tous cas. Elle a tellement l'habitude de dissimuler cette partie d'elle-même qu'elle a du mal à changer. Et pour ne rien arranger, la seule fois où elle s'est dévoilée, aujourd'hui-même, ça ne s'est pas exactement bien terminé pour elle. Elle s'efforce de rester concentrée sur son objectif, mais ce qui s'est passé avec Markus lui reste, comme une plaie béante dans un coin de son esprit.

- Quel genre de contacts ? se permet de lui demander Sam.

Il n'aime pas être pris pour un imbécile. De ce qu'il avait compris, elle était supposée avoir fui DG, après leur avoir pris un objet dont elle ne soupçonnait pas l'importance. Et maintenant elle vient avec des informations à leur sujets, obtenues par de mystérieux contacts ? Il ne doute pas qu'elle cherche à aider, mais tout de même. Une once de justification à ce qu'elle avance serait bienvenue.

- Ceux que j'ai établi au cours de ma carrière, elle lui en dit alors un peu plus mais à peine, détournant la tête l'espace d'une seconde.

Le maître-chien décide de se satisfaire de ce degré de précision. Il a cherché à établir à quel point les informations apportées par la brunette pouvaient être pertinentes, et il pense que son attitude lui suffit. Elle lui dirait probablement tout s'il continuait à presser la question, et il choisit de s'en contenter. Il ne peut pas exactement lui reprocher d'avoir des choses à cacher quand il n'a lui-même pas l'intention de transmettre quelque information qu'elle ait à lui donner à ses collègues des Personnes Disparues.

- Okay. J'insiste pas plus. Donne-la-moi, il demande en tendant la main.

Jena ne fait cependant aucun geste pour lui passer quoi que ce soit.

- Tu ne peux pas toucher ces types. Même pour des Alternatifs, ils sont incognito. Je vais m'en charger. J'aurai des renforts, elle le détrompe sur son intention de lui céder la liste, secouant la tête.

Le maître-chien laisse retomber sa main. Son animal, assis à ses pieds, penche la tête sur le côté, perdu. Quelque chose a changé chez la jeune femme. Sa voix, sa posture, même son odeur… Il la reconnaît, mais il n'est pas sûr d'apprécier ce glissement dans son attitude. Est-ce positif ou négatif ? Il a du mal à se forger une opinion, et il ne peut pas se reposer sur l'impression de son partenaire, puisqu'il est tout aussi indécis que lui sur la question.

- Pourquoi tu es venue me voir, alors ? interroge Sam.

Il ne cherche pas à discuter le fait qu'elle veuille prendre les choses en mains elle-même, pas plus que son allusion à des collègues. Il pourrait s'offusquer qu'elle ait parlé de la situation avec un tiers parti, mais elle a bien réussi à rester sous les radars jusqu'ici, et puisque sa propre sœur est mêlée à tout ça, elle a tout intérêt à bien choisir ses amis. Et qu'est-ce qu'il pourrait bien faire pour l'en empêcher, de toute manière ?

- Parce que quand on fera sortir Mae - puisqu'on va la trouver et la faire sortir - il faudra une explication. Une bonne explication. Du genre que je ne serai pas en mesure de donner.

Sans rien dévoiler explicitement, son interlocutrice le laisse comprendre la réelle raison de sa visite par lui-même.

- Du genre qu'un flic peut fournir, il complète.

- Précisément, elle confirme.

- Donc, tu veux que je te couvres, paraphrase Sam, mettant en évidence à quel point ce qu'elle attend de lui est peu orthodoxe.

- Oui, elle valide à nouveau.

Elle ne semble même pas embarrassée par la nature de sa demande. La vérité, c'est qu'elle est au-delà des questionnements moraux. Bien au-delà. C'est comme ça qu'elle a été entraînée, et c'est ce qui la rend performante dans sa profession. Elle peut se permettre du sentimentalisme en dehors des missions, pas durant. Et depuis que Mae a été enlevée, la retrouver et la ramener à la maison est la seule et unique mission de la jeune femme, quoi qu'il en coûte. Elle est devenue Alternative parce qu'elle croyait en la notion de mérite, et ça implique qu'elle met également un point d'honneur à assumer ses erreurs et les réparer du mieux qu'elle peut. Elle n'a pas su protéger Mae, alors elle compte bien être celle qui la récupérera des griffes de ses kidnappeurs.

Sam lit la détermination dans ses yeux verts. Qu'il soit prêt à faire ce qu'elle lui demande ou non, ça ne l'empêchera pas d'agir. Elle n'a pas besoin de son aide, elle demande par courtoisie, pour son bénéfice et celui de sa nièce. D'une part, ça inquiète un peu la maître-chien sur ce qu'elle a prévu de faire exactement, et donc ce qu'il devra glisser sous le tapis le moment venu. D'autre part, ça le rassure quant à ses chances de revoir la fille de son frère un jour.

Dans le fond, il sait aussi qu'il va devoir colorier en dehors des lignes quoi qu'il advienne. Il y a une très forte probabilité pour que Mae soit retenue dans un laboratoire. Et pour beaucoup, c'est suffisant pour soupçonner l'expérimentation humaine et exiger sa mise à mort. Sans que personne ne l'ait jamais énoncé à voix haute, ils sont tous conscients de cette éventualité. Quelle que soit la façon dont ils la récupèrent, si l'hypothèse se confirme, il faudra de toute façon broder pour couvrir les arrières de l'adolescente, c'est certain.

- Je peux faire ça, il finit donc par accepter après un moment de réflexion, hochant lentement la tête.

Jena plisse les yeux. Elle est étonnée qu'il accède à sa requête avec aussi peu de résistance. Elle s'était attendue à ce qu'il ait besoin de temps pour y réfléchir, voire qu'il ne s'y résolve qu'une fois au pied du mur. C'est comme s'il avait été préparé à sa visite. Sauf que Markus n'est pas passé le voir, il ne l'a pas appelé, et il ne lui a pas écrit non plus.

- Tu n'es pas plus surpris que ça ? Que je sois… plus qu'une barmaid ? elle demande alors à l'inspecteur, cherchant à comprendre sa placidité inattendue face à ses activités réelles.

Le coin des lèvres du maître-chien s'étire légèrement, et c'est son tour de détourner le regard l'espace d'une seconde.

- J'ai lu la transcription de ton témoignage. Disons que je me suis douté qu'il y avait anguille sous roche quand tu as commencé à décrire les armes par leurs noms techniques, il lui avoue.

Ce jour-là, Jena avait envoyé valser tout faux-semblant. Quand elle a raconté ce qui s'était passé aux inspecteurs des Personnes Disparues, elle ne leur a rien caché de ce qu'elle avait vu, a tout décrit dans les moindres détails, des détails qu'elle est mieux placée que la plupart des gens pour repérer. Ils ont été un peu perplexes, mais savent mieux que de questionner une Alternative sur les origines de ses connaissances en armement. Ça peut tout autant être légal qu'illégal, et même si c'est illégal, si elle leur laisse le deviner, c'est qu'ils n'ont aucune chance de prouver quoi que ce soit. Et ce n'était pas leur préoccupation à ce moment-là, quoi qu'il en soit. Tout à son empressement de mener sa propre enquête, la jeune femme avait totalement oublié que Sam aurait accès à l'enregistrement de sa discussion avec eux…

- Pourquoi tu n'as rien dit à Markus ? elle l'interroge.

Elle est de plus en plus étonnée par l'oncle. Cette étourderie aurait pu lui coûter cher. Certes, elle doute que l'étudiant aurait pu réagir pire qu'il ne l'a fait ce midi, mais le timing aurait pu être encore plus dérangeant qu'il ne l'est déjà. Elle n'aurait pas pu gérer de front une confrontation avec son petit ami et ses recherches de suspects pour l'enlèvement. Elle pense déjà que la façon dont la situation a évolué aujourd'hui va affecter sa performance durant la prochaine phase de son enquête, mais avec un peu de chance, peut-être que son humeur massacrante lui servira lors des parties les plus physiques de ce qu'elle s'apprête à faire. Lorsque sa tâche était uniquement procédurière, toute distraction aurait été strictement malvenue.

- Parce que ce n'était pas à moi de le faire ? Parce qu'il était déjà suffisamment secoué comme ça ? Et puis, à la façon dont tu as décrit la scène, tu n'es de toute évidence pas du mauvais côté, dans cette histoire, répond simplement Sam en toute honnêteté.

Ce n'était pas le sujet, tout simplement. Durant toute investigation, des secrets font surface, et savoir déterminer lesquels sont pertinents à la résolution de l'affaire fait partie des compétences d'un inspecteur. Jena a couru, seule et sans arme, en direction de la camionnette qui a emmené sa nièce. Et elle a ensuite délivré de précieux détails aux inspecteurs des Personnes Disparues. Comment elle a été capable de tout ça n'a pas d'importance ; elle a clairement fait son maximum. Vouloir l'interroger plus en profondeur n'aurait rien apporté et l'aurait même empêchée d'en faire plus, comme elle s'y est évertuée la semaine passée. L'oncle a fait son choix.

- Merci, la brunette offre au maître-chien.

Elle préfère de loin sa réaction à celle de son neveu. Elle est d'ailleurs surprise d'à quel point une telle acceptation la touche. Si elle ne se contrôlait pas, elle pourrait le prendre dans ses bras, à cet instant précis. Elle n'avait pas conscience d'à quel point elle avait besoin de ça. Il faut dire aussi qu'elle n'avait jamais envisagé que qui que ce soit puisse être autre chose qu'outré à la révélation de son secret. Il fut un temps où cette idée satisfaisait ses envies de rébellion, mais aujourd'hui, elle se rend compte que ce n'est peut-être pas autant une bonne chose qu'elle n'a pu le croire par le passé.

- Si tu peux vraiment trouver Mae, tu n'as pas besoin de me remercier, Sam réplique en toute simplicité.

Puis, du geste, il indique à Sing Sing de se lever et le suivre, concluant l'entrevue quelque peu clandestine. Leur journée terminée, le chien et son humain montent dans leur véhicule, du chemin duquel Jena s'écarte pour les laisser partir. Elle reste ensuite encore un moment sur le parking du commissariat après leur départ, à regarder les allées et venues, discrète, près d'un arbre. La plupart des inspecteurs quittent les lieux, tandis que les uniformes de jour sont relayés par ceux de nuit. Les officiers se croisent et se saluent amicalement, allant parfois jusqu'à s'interpeler bruyamment, bon enfant. Ses propres collègues ont manqué à la jeune femme, dernièrement. Encore une fois, s'émanciper d'eux lui avait de prime abord paru une libération, alors qu'aujourd'hui, elle se rend compte à quel point leur présence peut être précieuse. Malheureusement pour elle, leurs retrouvailles ne vont cependant pas se faire dans des circonstances aussi joviales que celles des officiers qu'elle a sous les yeux. Ils ont beaucoup de travail devant eux.

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