2x03 - Prise au piège (7/17) - Investigation

Puisque son coéquipier n'était une fois de plus pas à son poste ce matin, Fred a profité d'être en quelque sorte au chômage technique pour s'entraîner au tir. Depuis l'enlèvement de sa nièce, le maître-chien n'a pas fait beaucoup plus qu'acte de présence au commissariat. Il est souvent en vadrouille, et lorsqu'il est là, on ne peut pas exactement le qualifier de disponible. Ça agace sa jeune partenaire, mais puisqu'il n'est justement que peu dans les parages, elle n'a pas trop l'occasion de le lui faire savoir. Alors, elle tire son parti de la situation, et en profite même pour se défouler un peu au passage.

Lorsqu'elle était à la brigade Cyber, le port d'arme n'était pas obligatoire, et la forme physique n'était pas tenue aux mêmes standards stricts qu'elle peut l'être dans d'autres départements de Police. Elle n'a que rarement participé à des interventions de terrain, et à chaque fois, elle était là pour ses compétences techniques et c'est l'équipe autour d'elle qui s'est occupée de toute opposition éventuelle. Le port du holster lui est d'ailleurs encore un peu inconfortable, parfois. Mais elle va s'y faire.

L'inspectrice remonte du sous-sol du commissariat en consultant la numérisation de ses cibles sur sa tablette avec une moue insatisfaite. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'est pas une excellente tireuse. Elle s'améliore, mais sa progression lui paraît d'une lenteur désespérante. Il faut dire aussi qu'elle est habituée à apprendre rapidement. Elle a toujours été une élève récalcitrante, et n'a jamais mieux maîtrisé quelque chose qu'en l'ayant étudié en autodidacte. Sa précédente spécialité en atteste, d'ailleurs. Mais apparemment, elle a peut-être juste eu de la chance jusqu'ici, et tous les domaines ne se prêtent pas forcément à cette méthode.

Éteignant le gadget avec un soupir agacé alors qu'elle atteint le haut des escaliers, elle fronce ensuite les sourcils en découvrant quelqu'un debout devant son bureau :

- Hey, éloigne-toi de là ! elle interpelle le jeune homme blond qui pianote sur son plan de travail.

- Vous avez raison de vous méfier : votre sécurité n'est pas aussi hermétique que vous le pensez, lui répond Jack, sans même se retourner.

Le rejoignant enfin, elle le saisit par l'épaule et l'écarte de force de son poste, après quoi elle le toise en croisant les bras. Sans s'offusquer du contact, l'adolescent lève les mains à hauteur de sa tête avec un sourire mutin, en signe de reddition joueuse.

- Comment est-ce que tu sais accéder aux logs d'une surface, et qu'est-ce que tu cherchais ? l'interroge Fred.

Elle s'efforce de ne pas laisser paraître à quel point son jeune âge la surprend. De dos, il semblait plus vieux. Les tatouages qui dépassent de son col, peut-être. Et puis, pour faire ce qu'elle a deviné qu'il était en train de faire, il faut un peu de pratique.

En effet, sans SD apposée, au même titre que n'importe quelle autre surface intelligente classique, un bureau ne présente pour ainsi dire aucun intérêt, puisqu'il ne s'agit pas d'un point de stockage. C'est simplement une interface d'accès aux données ; sa mémoire locale est extrêmement limitée. Il est cependant possible, si on sait comment s'y prendre, d'accéder au peu d'informations que le meuble conserve de ses dernières actions. La démarche est néanmoins peu connue et encore moins usitée.

- Je m'ennuyais un week-end. Et le dossier de l'enlèvement de Maena Quanto. On m'a dit que c'était l'îlot de son oncle…

Le petit génie ne cherche même pas à cacher ses intentions, et a même l'audace de paraître déçu de ne pas avoir trouvé ce qu'il cherchait. Quel sans-gêne !

- Ça l'est. Mais c'est un inspecteur des Homicides ; on ne traite pas les kidnappings, ici, explique la jeune femme à la coupe garçonne, se voulant péremptoire.

Le blondinet s'esclaffe. Elle n'espère tout de même pas qu'il va la prendre au sérieux quand elle lui sort des âneries pareilles ?

- Pfft ! Mais bien sûr ! Comme si le caractériel et surprotecteur Oncle Sam n'allait pas se mêler de la traque des kidnappeurs de sa nièce…

- Qui es-tu, pour commencer ? lui demande alors Fred.

Elle n'apprécie pas qu'on lui manque de respect de la sorte. Aussi, elle en a un peu ras la casquette d'entendre parler de l'enlèvement de Mae Quanto. Ce n'est pas son enquête, ce n'est pas celle de Sam, et ce serait bien si tout le monde arrêtait de prétendre que si. Elle est désolée pour la pauvre gosse, mais à chacun son travail.

- Un ami de la famille. Il paraît, Jack lui offre vaguement.

Il est peu désireux de mêler ses parents à ses transgressions du jour. Dans certains cas, les mentionner peut lui accorder une petite impunité, mais il ne pense pas que ça s'applique ici. Quelque chose cloche dans cette histoire, il lui reste juste à déterminer quoi, exactement. Tant qu'il n'en a pas le cœur net, il préfère ne pas prendre de risque avec la réputation de ses géniteurs, ni s'exposer à des bâtons dans les roues de leur part en aval.

- Si tu veux des informations, tu devrais aller voir les Personnes Disparues. C'est leur dossier, lui conseille l'inspectrice en face de lui.

Elle essaye de se radoucir, de faire preuve d'un peu de compassion, même si ça ne lui vient pas naturellement. Elle n'est pas enchantée que son coéquipier enquête sur une affaire qui ne relève pas de leur juridiction, mais elle peut comprendre à quel point un évènement pareil peut affecter les proches de la victime. Ça n'excuse en rien le comportement du jeune délinquant qu'elle a sous les yeux, mais bon, on lui a déjà dit qu'elle devait travailler sur ses compétences de communication.

- Je suis déjà passé par chez eux, et quelque chose me dit qu'ils n'ont pas toutes les infos, le blondinet écarte cette suggestion avec un geste et une moue de dédain.

Il y a bien évidemment déjà songé. Il ne fait rien au hasard. S'il avait trouvé ce dont il avait besoin ailleurs, il n'aurait pas pris le risque de croiser Sam ici et se faire écarter de l'enquête une fois pour toute. Mais il avait bien dû se rendre à l'évidence que les informations qu'il cherche, les pièces manquantes pour que cette affaire commence à avoir un sens, ne sont détenues que par la famille Quanto. Alors, puisqu'il préfère encore faire face à l'oncle qu'au père, il a commencé par là.

- Je vais devoir te demander de partir.

Ça y est, Insley est arrivée au bout de sa dose de gentillesse. Ce gamin ne lui fait pas l'effet d'un camarade de classe éploré. Et même si c'était le cas, il n'aurait tout de même rien à faire ici. Ce n'est pas comme s'il allait trouver quoi que ce soit dans la mémoire flash de son bureau, mais ce n'est pas une raison pour le laisser fouiner.

- Et si je te dis que je peux t'aider à trouver Anubis ? il lui propose alors, vif d'esprit comme toujours.

La voilà détrompée sur sa dernière présomption qu'il serait bredouille. Il a donc bel et bien réussi à extraire quelque chose de son bureau. Son fond d'écran, a priori. Le pseudonyme qu'il vient de citer figure de manière proéminente dans le compte rendu qu'elle utilise à cet effet. Elle n'est cependant pas impressionnée pour autant. Même si très peu de gens savent le faire, et qu'il faut un peu s'y entraîner, accéder aux logs d'une surface n'est pas bien sorcier. Le môme est culotté de tenter un bluff sur le sujet, rien de plus. Car il y a bien une chose qu'il ne pouvait pas deviner à la lecture…

- Bien essayé, mais ça se prononce Anubis, avec un accent sur le U, pas le A, elle le corrige.

Étrangement, l'adolescent affiche une moue déçue. Il ressemble presque à un clown triste.

- Mes excuses, je pensais que vous traquiez une hackeuse, pas le dieu Égyptien des morts, il raille gentiment.

Il pensait vraiment que, avec l'impressionnant dossier qu'elle détient sur le sujet, Fred aurait connaissance de la subtilité de prononciation que la pirate informatique applique à son nom de scène. Ce n'est pas comme si c'était un secret. C'est même explicitement précisé dans l'encyclopédie clandestine des pirates qui ont commencé à se faire un nom, qu'ils utilisent pour revendiquer leurs actions, ou au contraire démentir des méfaits qu'on leur prête à tort. L'endroit virtuel n'est même pas particulièrement difficile d'accès, et est à vrai dire carrément en partie dédié aux peu d'échanges qu'ils ont avec les forces de l'ordre. Est-ce qu'elle n'y a réellement jamais fait un tour ?

- De un, j'en ai rien à carrer de respecter quelque préférence que ce soit exprimée par un criminel, d'autant plus pour une prononciation fautive d'un pseudonyme. Et de deux, Anubis est un homme, insiste Insley, sûre d'elle.

Bon, même en admettant qu'il ait raison pour l'accent sur le mot, placé à un endroit inhabituel sur ce terme pourtant reconnu dans la mythologie égyptienne, ça ne la surprendrait pas de la part du mécréant qui a choisi de le revendiquer. Aucun respect pour rien. C'est presque un prérequis, dans leur branche. Pour le reste, en revanche, elle n'y croit pas. Tout dans ce que le hacker fait pue la masculinité. Elle se sait elle-même pratiquement pas féminine, mais elle ne pense pas renvoyer une telle image pour autant.

Jack grimace. Il déteste rencontrer de nouvelles personnes. Ou plutôt, il déteste devoir attendre que les nouvelles personnes qu'il rencontre se rendent compte à quel point il est en avance sur elles. En tout point. Personne ne présume jamais qu'il fait face à un génie. Et c'est bien normal, d'un point de vue statistique. Mais en ce qui le concerne, c'est agaçant. Et curieusement, plus celui à qui il s'adresse est un expert dans son domaine, plus il a de mal à admettre qu'il en sait plus qu'eux, même sur un seul point.

- Et moi qui croyais que le sexisme était mort… Je suis sûr qu'elle serait très vexée d'apprendre que la personne assignée à son dossier pense ça, il continue dans sa taquinerie.

Bon, en l'occurrence, le fait qu'Anubis soit une femme n'est pas divulgué dans l'encyclopédie. Il l'a déduit d'autres paramètres. Mais ça ne l'empêche pas d'être sûr de lui.

Fred perd patience pour la seconde fois et pose à nouveau la main sur lui, afin de le guider vers la sortie cette fois.

- Je ne vais pas mordre à ton hameçon. Au revoir.

- Insley, c'est ça ? Fred Insley ? il demande vérification, pointant un index vers elle, mais sans résister à la pression qu'elle exerce sur son épaule.

Il a sans doute trouvé son nom sur son fond d'écran également. N'appréciant pas l'insinuation, la jeune femme resserre son emprise sur sa clavicule :

- Est-ce que tu cherches à me menacer, maintenant ?

- Je serais pas aussi subtil si c'était le cas. À la prochaine, Freddy, il la détrompe d'un ton toujours aussi joueur, avant de se dégager dans un mouvement fluide.

Fred s'exaspère de cette défilade, mais elle ne pouvait pas deviner que c'est loin d'être la première fois de sa vie qu'il est soumis à cette prise. Elle lui est d'ailleurs usuellement appliquée par des individus bien plus imposants que la jeune inspectrice. Si elle savait ça, cette dernière se sentirait sans doute moins vexée qu'il lui ait échappé.

Sur ce, avec un semblant de salut militaire sans rigueur, de l'index et du majeur, Jack la laisse plantée là au milieu de l'open space. Il rejoint ensuite de lui-même les escaliers en direction de la sortie du bâtiment. Il ne lui a même pas donné son nom. Elle reste, comme la plupart des gens ayant rencontré le jeune prodige ces derniers jours, particulièrement perplexe à la conversation qu'elle vient d'avoir, teintée de surréalisme. Qui était ce gamin ? Et qu'est-ce qu'il voulait, exactement ? Mais surtout, qu'est-ce qu'il a obtenu ? Une fois qu'il a disparu, elle considère son bureau avec perplexité, mais elle sait qu'elle pourra tirer encore moins de son passage qu'il n'a pu retirer de son utilisation quotidienne.

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