2x03 - Prise au piège (13/17) - Contrecoup

Aujourd'hui a été une journée plutôt calme, et puisque sa dulcinée n'est pas revenue le voir après sa visite de fin de matinée, Holden en a profité pour avancer dans la lecture de son roman. Son inventaire est à jour, ses lits sont faits, tout son matériel est correctement entretenu et rangé, et il n'a aucune action particulière à mener ou à préparer, alors pourquoi pas. Comme pour tous les métiers, il lui arrive parfois d'être désœuvré. Plus souvent qu'on ne pourrait le croire même si pas aussi souvent qu'il ne le souhaiterait pour le bénéfice de ses patients, mais ça lui arrive. Il étouffe aussi sa culpabilité en se disant que partager les références culturelles de ses patients peut être un plus. Et comme il a parfois des lacunes de ce côté-là, il rentabilise son temps sur ce point.

Quelques coups à la porte font soudain marquer sa page à l'infirmier, après quoi il se lève et invite le visiteur à entrer de la voix. Brennen apparaît alors dans l'encadrement, plus pâle qu'à l'ordinaire. Le grand adolescent referme derrière lui et fait quelques pas proches de titubants dans la pièce. Il ne prend pas appui sur le mur mais presque.

- Bonjour, Holden. Je me sens pas super, il annonce comme si ce n'était pas évident sur son visage.

- Tu es au bon endroit ! Qu'est-ce qui t'arrive ? le soigneur lui demande des précisions, tout en l'invitant du geste à venir s'asseoir sur sa table d'examen, afin qu'il puisse l'ausculter.

Et aussi afin d'éviter qu'il ne tombe de trop haut s'il venait à perdre connaissance, ce qui semble être une possibilité, à son teint.

- J'ai l'impression que ma tête va exploser, résume le jeune journaliste.

Tout en hésitant à considérer qu'il vient d'utiliser une hyperbole, il se force à sourire malgré son tournis. Il pensait que son mal de crâne passerait après le déjeuner, et ça a été le cas, mais il est par la suite revenu à la charge à plusieurs reprises. À chaque fois, la douleur s'est dissipée au bout de quelques minutes, mais ce n'est pas une raison pour ne pas s'en inquiéter. Ce n'est même pas que c'est inhabituel ; pour lui, c'est carrément une première.

- Il s'est passé quelque chose de particulier ? le trentenaire poursuit son questionnaire, tout en se saisissant de sa petite lampe dans la poche de sa chemise.

- Non. Je me suis pas cogné ou quoi. C'est juste une migraine sortie de nulle part, répond l'adolescent à la négative.

Laissant glisser son sac de son épaule jusqu'au sol, il se hisse sur la table. Qu'il arrive à effectuer cette manœuvre est encourageant pour son équilibre, au moins.

- Regarde droit devant toi, s'il te plaît, lui demande gentiment Uglow.

Il pointe sa lumière dans les grands yeux verts de son patient, afin d'en tester la réactivité. Tout lui paraît normal. Ses pupilles se rétractent et se dilatent à la vitesse attendue.

- Ça m'est jamais arrivé avant, raconte Brennen.

- Avec ton pedigree, je n'en doute pas. Mais tu n'as jamais été frappé au visage avec la crosse d'un fusil auparavant non plus, répond l'adulte.

Son examen terminé, il range son outil où il l'a pris, tandis que le lycéen est laissé perplexe par sa remarque. C'est peut-être idiot, mais il n'avait pas vraiment songé à corréler les deux évènements.

- Vous pensez que ça a à voir avec ça ?

Trop de choses le ramènent déjà à l'enlèvement de Mae. Il pensait que son œil au beurre noir était déjà un rappel suffisant, et maintenant il pourrait aussi avoir des migraines à cause de ce qui s'est passé ? Vraiment, il n'a pas besoin de quoi que ce soit de physique pour que ses pensées dévient régulièrement vers le souvenir de cet après-midi-là. Il se sent coupable de vouloir mettre tout ça derrière lui alors que la blondinette manque encore à l'appel, mais il n'arrive par ailleurs pas à se convaincre que sans cesse ressasser les évènements aide qui que ce soit.

- Les médecins des urgences ont écarté le traumatisme crânien, mais ça ne veut pas dire que tu n'as pas été un petit peu secoué quand même, Holden justifie sa suspicion, bien qu'il ne puisse être sûr de rien à ce stade.

- Mais pourquoi maintenant, cinq jours après ? insiste Brennen dans son incrédulité.

- Le corps humain a parfois des réactions étranges, ne peut que lui offrir l'infirmier, haussant les épaules avec un sourire compatissant.

Pour n'importe quel autre élève, il aurait pu croire à une coïncidence, qu'il couvait autre chose, de complètement indépendant de ce qui lui est arrivé quelques jours plus tôt. Mais pas Brennen Watson. Il n'est jamais malade. Il est littéralement un cas d'école. Ce qui explique d'ailleurs sans doute sa réaction à ce qui se passe, le manque d'habitude ne rendant jamais une situation plus facile à gérer. À choisir, même si ça impliquerait que son occupation l'accapare encore plus qu'elle ne le fait déjà, l'adulte préférerait néanmoins probablement que tout le monde soit aussi attentif à son état de santé que le lycéen en face de lui. Ça éviterait au moins les visites trop tardives.

- Qu'est-ce que je fais, alors ? demande l'adolescent, à la recherche d'une réponse un peu plus concrète.

Il serait bien plus à l'aise avec un diagnostic précis, mais il pourrait se contenter d'un traitement effectif. Son coquard va passer ; ces étranges maux de têtes sont juste une autre séquelle qui va devoir en faire de même, voilà tout. Et s'il pouvait participer à accélérer l'arrivée de ce résultat, ce serait top.

- Tu as d'autres symptômes ? Perte d'équilibre, vision trouble, nausée ? l'interroge le trentenaire, consciencieux.

- Non. Juste… C'est comme si mon cerveau était en feu, par moments.

Bren a des difficultés à décrire ce qui lui arrive. Et en tant que journaliste, il en est presque plus gêné que par la migraine en elle-même, qui est déjà en train de se calmer peu à peu. Mais si les dernières heures depuis le déjeuner sont représentatives, elle va hélas revenir d'ici quelques temps.

- D'accord. Ce qu'on va faire, c'est que je vais te donner quelque chose pour la douleur et avertir ton médecin. Si ça persiste ou empire, je veux que tu ailles le voir pour des examens complémentaires. Compris ? décide de lui prescrire Holden.

Il ne peut pas faire mieux sans plus d'éléments. Le fait que le lycéen soit assis devant lui, éveillé et cohérent, déjà moins pâle que lorsqu'il est entré, lui fait penser que rien de grave ne l'affecte. C'est selon toute probabilité effectivement un retour de flamme de son coup au visage, tout simplement. D'ailleurs, son absence de symptômes supplémentaires fait encore diminuer le risque que ce soit une complication.

- Compris. Merci, Holden, Brennen accepte l'aide qu'il lui offre en hochant la tête.

Aussi basique cette solution puisse-t-elle sembler, il a toute confiance en l'infirmier. Il n'a pourtant pas souvent été son patient, en dehors de vérifications nominales, mais il l'a notamment vu à l'œuvre lors des quelques épidémies à avoir frappé ses camarades de classe. C'est l'un des avantages d'être le rescapé systématique de ce type d'occurrences. Il a aussi été amené à l'interroger comme témoin pour plusieurs de ses articles. Et enfin et surtout, il a en tête l'exemple particulièrement parlant de sa gestion de ce qui est arrivé à Caesar. C'était plus impressionnant que toutes les blessures et maladies qu'il avait déjà pu le voir gérer auparavant. S'il a su quoi faire dans cette situation-là, celle-ci devrait presque lui paraître triviale.

Alors que le jeune journaliste quitte l'infirmerie, un patch analgésique appliqué au creux de son poignet et son teint et son équilibre rétablis, Uriel se trouve amusé que le seul patient à avoir franchi sa porte aujourd'hui soit justement l'adolescent sur lequel Andy lui a posé des questions dans la matinée. Elle était curieuse à propos de l'enlèvement, de l'état de la personne qui en avait été témoin. Il lui arrive parfois de montrer un intérêt particulier pour un élève parmi les autres, pour ne plus jamais aborder le sujet par la suite. Les premières fois, son compagnon en avait été très dérouté, mais en apprenant à la connaître, il avait compris qu'il était tout simplement très difficile de conserver son attention. Ce après quoi il n'avait pas pu s'empêcher de se demander ce qu'elle pouvait bien lui trouver à lui, avant d'abandonner cette réflexion, de peur de sombrer dans la dépression ou la folie. N'est-ce pas là la question que tout le monde se pose lorsqu'on en couple, sans jamais y trouver de réponse véritable ?

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