2x03 - Prise au piège (11/17) - Qui va à la chasse…

Sam n'arrive au commissariat du dix-huitième district pour la première fois de la journée qu'en début d'après-midi. Tandis qu'il discute avec un collègue qui l'accompagne, son fidèle canidé trottine derrière eux, un bout de tissu fièrement serré entre ses crocs. Les deux hommes conversent encore jusqu'à atteindre le premier étage, où ils concluent leur échange par une main sur l'épaule de l'autre et un regard entendu avant de se séparer, chacun rejoignant son propre poste de travail.

Si le partenaire de l'inspecteur sans chien l'accueille avec un sourire amical, ce n'est pas le cas de la coéquipière de l'oncle. Fred l'attend de pied ferme, assise sur le bord de son bureau, les bras croisés et le visage fermé.

- T'étais où ? elle le questionne sèchement, clairement furibonde.

- Depuis quand ça t'intéresse ? rétorque Sam, ne se laissant pas attaquer.

- Depuis que j'ai dû refiler une affaire à Fields parce que t'étais pas là, elle répond sans hésitation.

Elle a attendu de lui lancer ça au visage depuis que c'est arrivé, une petite heure plus tôt.

La maître-chien jette un œil du côté de l'îlot de l'inspectrice qui vient d'être mentionnée, pour constater qu'elle et son partenaire en sont effectivement absents. Aucune culpabilité ne l'étreint cependant à l'accusation de sa jeune équipière :

- C'est pas grave. Fields est meilleure en crimes de gangs, de toute façon, il commente simplement, la contournant pour rejoindre le bureau de Randers.

Fred doit faire un effort pour masquer sa confusion au fait qu'il ait des informations sur l'affaire qui leur est passée sous le nez. Il n'était même pas là ! Et il n'a pas pu croiser le duo affecté à l'enquête en arrivant, puisqu'ils sont partis depuis une bonne demi-heure déjà.

- Comment est-ce que tu pourrais savoir si c'est un crime de gangs ? elle proteste à sa dédramatisation.

- Parce que c'est le milieu de journée. En règle générale, on trouve un corps en plein milieu de journée à Chicago pour l'une de trois raisons : la méthode de disposition était typique d'un gang, on a été témoin du meurtre mais personne ne veut parler parce que c'était un gang, ou on a été témoin du meurtre et le tueur a été attrapé la main dans le sac comme pour la majorité des crimes passionnels. Puisqu'il y a enquête, je suppose que ce n'est pas la réponse trois. Ergo : crime de gangs, la maître-chien explique rapidement, avant de s'accroupir près de son animal pour le contraindre à enfin lâcher prise sur le lambeau de jeans qu'il a toujours dans sa gueule.

Fred est laissée bouche bée par sa nonchalance. Elle ne sait pas ce qui l'irrite le plus : qu'il ait raison sur tous les points - aussi bien la nature du crime que la compétence supérieure de Fields à le résoudre - ou bien qu'il le lui prouve avec aussi peu d'efforts, avec un mépris total pour son outrage. Le seul avantage à ce qu'il ne soit pas plus investi que ça dans la conversation, occupé à féliciter Sing Sing pour son bon travail, c'est qu'il lui laisse le temps de réfléchir à sa répartie :

- Ça m'impressionne pas, tu sais, est cependant tout ce qu'elle trouve à répondre, même si le ton dédaigneux y est.

- Ça devrait pas, c'est la base des Homicides.

Il ne se laisse toujours pas ébranler par son agressivité. Il ne relève même pas les yeux vers elle.

Quittant l'appui de son bureau pour se redresser de toute sa petite hauteur, se voulant le plus intimidante possible pendant qu'il est encore accroupi, Fred passe alors à une attaque un peu plus personnelle :

- T'étais aux Personnes Disparues. Encore.

- Et tu devrais te mêler de tes affaires. Encore, il lui renvoie son phrasé, bien que lui accordant enfin son attention.

- Qu'on le veuille ou non, on est partenaires, donc tes activités me regardent. Tu me dis tout le temps que je suis pas à ma place aux Homicides, et après tu fais un truc comme ça ? C'est hypocrite.

Qu'il soit aussi inconscient de ses propres incohérences la fait rager. Est-ce que lui mettre le nez dedans va améliorer quoi que ce soit ? Elle en doute. Elle avait osé espérer qu'au moins ça la soulage, lui permette de passer ses nerfs, mais même pas.

Sam soupire et prend appui sur ses genoux pour se redresser. Lentement, il vient se mettre debout bras croisés devant la jeune femme, en miroir de sa posture, quoique beaucoup plus convainquant du simple fait de sa stature. Il ne se départit pas de son calme, mais les muscles de sa mâchoire inférieure sont dangereusement saillants.

- Tu as de la famille, Insley ? il lui demande.

- Mes mères sont mortes dans un accident il y a quelques années, est tout ce qu'elle peut lui offrir.

Elle n'a jamais eu d'autre famille que ces deux femmes. Ni oncle, ni tantes, ni grands-parents. Mais c'est déjà plus que beaucoup d'orphelins, alors elle ne s'en est jamais plaint.

- Pas étonnant que tu comprennes pas le concept d'affaire personnelle, alors, Sam conclut de cette révélation.

Il en avait de toute façon déjà connaissance. Il a lu le dossier de sa future partenaire avant son arrivée. Il n'a posé la question que pour s'assurer qu'il n'oubliait pas ou ne connaîtrait pas un détail important.

- Il y a une raison pour laquelle on n'enquête pas sur sa famille, lui rappelle Fred.

Elle ne se laisse pas abattre par sa logique. Elle est sans doute pertinente mais également limitée. Elle peut se mettre à la place des autres, aussi. Elle comprend qu'il s'inquiète, qu'il veuille agir. Ce qu'elle ne comprend pas, c'est qu'il n'accepte pas qu'il vaut mieux qu'il reste à l'écart.

- Sur. Pas pour, il joue sur les prépositions.

Fred serre les poings et lève les yeux au ciel, excédée. Elle doit bien se rendre à l'évidence qu'elle ne va pas réussir à lui faire entendre raison. Elle décide donc de changer de sujet, même si elle reste dans les reproches :

- Qui est-ce que ton chien a mordu, de toute façon ? elle s'enquiert.

Elle est un brin inquiète de ce qu'il a pu faire faire à son molosse.

- L'un des indics de Callahan qui ne voulait pas coopérer, répond simplement l'inspecteur.

Décroisant les bras et la contournant, il va enfin prendre place dans son siège. Tout en fouillant dans l'un de ses tiroirs, il pose distraitement une main sur la tête de Sing Sing qui est venu s'asseoir à côté de lui. Langue pendante, le Rottweiler surveille le bout d'étoffe que son maître a posé sur son bureau après le lui avoir pris. Il sait qu'il va bientôt disparaître dans un petit sac hermétique, mais tant qu'il l'a encore à portée de croc, il ne compte pas quitter son butin des yeux. Ou est-ce trophée ?

- Et je suppose que cet indic détenait des infos cruciales sur l'enlèvement, huh ? raille Fred, convaincue que Sam ne se contrôle plus.

Enfin lassé de cette petite danse à mi-chemin entre la persécution et la leçon de morale, Sam décide de lui résumer point par point ce qu'il a fait avant d'arriver ici. Ça devrait lui clouer le bec :

- Non. Sur l'affaire en cours de Callahan. Et il a une phobie connue des chiens. Je filais juste un coup de main à un collègue. On a passé presque toute la matinée à traquer son informateur, et après on est allés prendre un burger pour le déjeuner. T'as d'autres questions ? Parce que j'ai un peu de paperasse à remplir, en fait…

Il ne fait pas mention du fait qu'il a commencé sa journée par effectivement passer par la brigade des Personnes Disparues, avant d'aller voir son frère. D'une part c'est personnel, et d'autre part elle le sait sans doute déjà. Il y a une balise dans son badge, et la connaissant, elle a dû vérifier son itinéraire avant de le cuisiner comme elle vient de le faire. Il ne ment pourtant pas, et le reste de ses activités de la matinée n'avaient pas à voir avec l'enlèvement de Mae. Callahan, l'inspecteur le mieux connecté du district, a fait passer le mot parmi ses contacts pour toute information sur le sujet, oui, mais rien ne lui est encore revenu. Ce genre d'action met du temps à porter ses fruits. En attendant, si Sam peut lui être utile pour autre chose, il accueille la distraction à bras ouverts.

Insley ne répond rien. Elle a perdu le débat, elle le sait. Et en l'occurrence, elle peut l'accepter, puisque ses suspicions de spirale descendante ne sont pas confirmées. Mais elle ne comprend ceci dit toujours pas pourquoi tout le monde est contre elle et la voix de la raison, dans cette histoire. Enquêter sur l'enlèvement de sa nièce n'est pas seulement hors de la juridiction de Quanto, c'est aussi très mauvais pour lui. Qu'est-ce qu'il va faire s'il ne la trouve pas ? Ou trop tard ? Et le pire, c'est que le reste du commissariat semble l'encourager. Elle n'est pas dupe à la raison pour laquelle Fields a sauté sur l'occasion de lui prendre son affaire ; pour laisser le champ libre à l'oncle de mener sa petite enquête parallèle. Et elle voit bien que Martins fait des heures sup pour repasser sur les potentielles vidéos du van qui a emporté l'adolescente. Il lui a même demandé si elle n'avait pas des tuyaux de Cyber pour l'aider ! La jeune bleue ne peut pas s'empêcher de penser que tout ça va mal finir.

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