2x02 - Électrochoc (16/17) - Pas si surprenant

Après une bonne heure de révisions à la bibliothèque, suite à son déjeuner au parc en charmante compagnie, Markus se rend à l'institut psychiatrique où séjourne son frère cadet. Il y a rendez-vous chaque Jeudi après-midi depuis que Caesar y est entré. S'il doit rater un cours pour honorer cet engagement, il s'arrange ; ses camarades de promotion comme ses professeurs sont tout à fait compréhensifs de sa situation. Ce n'est néanmoins providentiellement pas le cas aujourd'hui. C'est un détail, mais c'est déjà ça de moins dont il doive se soucier.

Lorsqu'il fait irruption dans le hall, l'étudiant en médecine s'aperçoit que la thérapeute résidente est justement au comptoir où il doit aller signaler son passage, et en déduit qu'il n'aura pas à l'attendre. Le programme du Docteur Conway n'est pas toujours facile à tenir, alors il n'y a aucune garantie de ponctualité. Bien sûr, Markus le comprend et l'accepte parfaitement, mais c'est toujours mieux de ne pas devoir patienter. Encore une fois, une petite note positive bienvenue en ces temps troublés.

- Bonjour, Docteur, il salue Kennedy, tout en s'approchant et apposant son RFSD au registre numérique.

- Bonjour, futur Docteur. Comment ça va, aujourd'hui ? elle lui rend sa salutation tout en relevant la tête de ce qu'elle était en train de faire.

Elle sourit autant que lui. Elle a rarement rencontré une famille à qui elle ne se serait pas attachée, mais les Quanto lui sont particulièrement agréables. Comme tout le monde, chacun d'eux a ses propres soucis, mais ils sont tout de même tous particulièrement unis dans leur volonté que Caesar aille mieux. Ils ont marqué de l'incompréhension, mais ils n'ont jamais blâmé le garçon pour son geste. Il y a quelque chose de résolu dans leur approche de la situation qui les rend sympathiques, tout simplement.

- Bien ! Ma petite amie a décidé de rester quelques jours, pour changer, Markus partage sans complexe sa bonne humeur avec la psychiatre.

Lors de sa toute première visite, il avait grandement appréhendé de devoir se confier à une inconnue, pas très à l'aise avec la simple idée de cette démarche. Et pourtant, depuis, il s'était presque lié d'amitié avec Kennedy. Le fait qu'il poursuive les mêmes études qu'elle a elle-même effectuées a été un bon point de départ pour la discussion, et ensuite leurs natures similaires avaient fait le reste. Il n'a pratiquement jamais l'impression qu'elle l'analyse, désormais, alors que c'est son rôle vis-à-vis des proches de ses patients, en plus d'une déformation professionnelle comme pour la plupart de ses confrères.

- Oh ! Peut-être que tu pourras la convaincre de passer me voir, alors ? J'ai toujours un créneau d'ouvert le Vendredi pour les Quanto et compagnie, la femme en blouse blanche rebondit sur l'annonce.

Elle ne perd pas le Nord. Elle est au courant que Jena a déjà décliné son invitation, ainsi que des raisons qu'elle a données pour ce refus. Et elle peut les comprendre. Mais elle est tout de même toujours à l'affût d'aider les personnes pouvant avoir besoin de ses conseils, qu'elles aient effectivement été touchées par le geste irréparable d'un adolescent dont elle a la charge ou non. En l'occurrence, bien que Mademoiselle Miller ne soit certes que la petite amie du grand frère de son patient, sans réel contact direct avec lui, elle faisait tout de même partie du cercle familial au moment des faits. Ne serait-ce que soutenir Markus a dû l'affecter. Et du peu que ce dernier laisse filtrer à son sujet, sa douce a de plus ses propres ennuis personnels à gérer. C'est donc une bonne candidate à une discussion avec quelqu'un d'expérimenté sur le terrain du conseil.

- Je ne crois pas qu'elle ait changé d'avis à propos de ça, grimace cependant le jeune homme.

Il entretient à vrai dire peu d'espoir pour le scénario contraire. Il connaît l'obstination dont est capable sa chère et tendre. Sans parler du fait que son désir d'indépendance est la fondation de sa personnalité. Admettre avoir besoin d'aide est tout en bas de son répertoire. Quoique, il y a bien accepter de l'aide qui doive être encore en-dessous.

- Tu lui rappelleras qu'elle n'est pas obligée de venir par rapport à Caesar. D'après ce que tu m'as raconté de sa propre situation familiale, elle a plein d'autres choses dont elle pourrait avoir envie de parler avec un tiers parti neutre, se permet d'insister gentiment la thérapeute.

Tout le monde peut toujours bénéficier d'une thérapie, prolongée comme sur une seule séance. Mais certaines personnes en ont tout de même peut-être un peu plus l'utilité que d'autres, particulièrement lorsque certains évènements se produisent dans leur vie.

- Je ne sais pas comment elle prendrait le fait que je vous ai parlé de sa sœur et de ses parents… marmonne Markus.

À nouveau, il se montre peu ouvert à la suggestion. Il grimace même, à son propre manque de discrétion cette fois. Il n'a fait mention de tout ça que pour donner du contexte à sa description de la jeune femme, lorsque le sujet a été abordé pour la première fois avec le Docteur Conway lors de l'un de leurs entretiens, mais ça ne lui paraît pas une excuse valable pour avoir tout déballé tout de même. Même si elle s'en doute peut-être, il préférerait que Jena ne soit pas directement informée des faits.

- Vous êtes en couple ; ses problèmes sont tes problèmes. Et puis, il y a cette petite chose appelée le secret professionnel, Kennedy n'accepte toujours pas sa réticence.

- C'est vrai… il capitule alors faiblement, pas convaincu mais à court d'arguments contraires.

Sans le savoir, il est un peu dans la même situation que son cadet à plusieurs reprises aujourd'hui, de ne pas avoir envie de se battre en vain et pour si peu. Comprenant que le sujet est clos, le Docteur enchaîne alors :

- Quoi qu'il en soit, je peux rendre une bonne journée encore meilleure : je suis heureuse de t'annoncer que ton frère parle, elle annonce avec fierté.

- Quoi ?!

Markus tombe des nues. Il manque même d'échapper son SD qu'il a encore en main. Il en profite donc pour glisser distraitement la carte dans sa veste, mais il rate plusieurs fois sa poche intérieure tant il est interloqué par ailleurs.

- Caesar a une voix étonnamment grave et rauque, pour sa stature, confirme indirectement la femme qui lui fait face, savourant l'agréable surprise qu'elle vient de provoquer.

- C'est génial !

Markus ne se remet pas de cette bonne nouvelle, bouche bée, yeux grand ouverts, et mains écartées maintenant. C'est la meilleure nouvelle qu'il a reçue depuis des semaines !

- Ça l'est, acquiesce une fois de plus la psychiatre, lui laissant le temps de digérer.

- J'ai trop hâte de le dire à Papa ! Et Mae. Et Oncle Sam ! s'enthousiasme le jeune homme, retrouvant peu à peu ses moyens, les mains sur le bas de son visage à présent.

- Je t'envie presque d'être celui qui va le leur annoncer, murmure le médecin, en accord avec lui.

Le caractère potentiellement déplacé de ce commentaire lui fait baisser les yeux. Heureusement pour elle, dans son allégresse, Markus n'a pas entendu pas la remarque et l'ignore complètement.

- Qu'est-ce qu'il a dit ? il s'enquiert.

- À la fois peu et beaucoup. Mais ça ne fait même pas 24 heures, et je ne veux pas le brusquer, elle reste vague, tous les détails n'étant pas forcément pertinents à ce stade.

De la même manière qu'elle est tenue de conserver ses patients coupés du monde extérieur tant qu'elle ne les estime pas prêts à y être à nouveau exposés, il lui arrive aussi de sélectionner ce qu'elle laisse revenir aux oreilles de leurs proches. Ils sont aussi à ménager, d'une certaine manière.

- Il n'a pas changé son histoire… devine le frère aîné, déçu.

- Si, en fait. D'une certaine façon. Il a dit ne jamais avoir voulu mourir, lui offre tout de même Kennedy.

Il y avait peu de doutes que la blessure de Caesar était auto-infligée, et c'est pratiquement la seule information qu'ils avaient sur la situation. L'interprétation comme une tentative de suicide avait cependant eu beaucoup de mal à convaincre. À raison, semble-t-il aujourd'hui.

- Comment ça ? ne comprend pas son visiteur, fronçant les sourcils.

- Il n'a pas tenté de se suicider. Il a juste voulu se blesser. Ça peut ne pas paraître être grand-chose, mais ça fait une différence, élabore le Docteur.

Markus marque une pause de réflexion avant de répondre :

- … Vous n'allez peut-être pas me croire, mais ça sonne tout à fait comme un truc que dirait mon petit frère, en fait, il commente simplement.

Caesar a toujours été le plus introverti de leur fratrie, le plus cérébral, le plus abstrait, et occasionnellement le plus sombre. Mae a cette exubérance pour elle, qui fait sonner ses remarques existentielles comme de grands éclats de rire. Mark, lui, est définitivement à base émotive, mais reste terre à terre, sincère, concret dans ses déclarations. Caes est celui qui parle peu mais bien. Aussi effrayant ça ait été, s'ouvrir l'avant-bras avec un bris de miroir, garder le silence pendant plus d'un mois ensuite, et reprendre la parole pour enfin dire qu'il ne cherchait pas à mourir, ça lui ressemble assez, au bout du compte.

- Je commence à le découvrir, répond Conway, une nouvelle fois du même avis que son interlocuteur.

Elle hoche doucement la tête tout en souriant avec bienveillance. Caesar a-t-il dit, depuis qu'il a recouvré sa voix ce matin, quoi que ce soit qui n'ait pas eu un écho un peu sinistre, quelque part ? Il n'est pas idiot de se demander s'il a toujours été comme ça ou bien si son geste a aggravé cette aura autour de lui. Est-ce que ses grands yeux marron ont toujours flamboyé de cette inquiétante lueur qui semble transpercer les apparences comme si elles n'étaient même pas là, ou bien est-ce que c'est frôler la mort qui leur a conféré cet éclat ? S'il a toujours été comme ça, peut-être que cette information peut apporter un contexte important à ce qu'il fait…

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