2x02 - Électrochoc (15/17) - Interventionisme

Depuis son retour au commissariat après sa visite chez Patrick, Iz guette le moment opportun pour s'entretenir avec Sam. Elle sait bien que Randers lui a conseillé de laisser couler, mais à peine a-t-elle posé les yeux sur le duo d'enfer en revenant, encore en train de se chicorer, qu'elle a su qu'elle ne pourrait pas s'y tenir.

Elle n'est pas encore certaine de ce qu'elle va dire au maître-chien exactement. Elle n'a pas menti en disant ne pas vouloir lui demander de s'aplatir, d'une part parce qu'il n'obtempérerait jamais, et d'autre part parce qu'elle sait à quel point ce serait injuste. Mais elle ne peut tout bonnement pas rester les bras croisés avec ces deux-là à la gorge l'un de l'autre en permanence. La tension est si palpable qu'elle pourrait presque la prendre à pleine main. Si seulement. Elle pourrait alors peut-être lui tordre le cou, qui sait.

Si elle n'est pas encore au point sur le propos qu'elle va tenir précisément, Iz a en revanche une idée de la façon dont elle va s'y prendre pour le faire passer. Elle ne souhaite pas convoquer Sam et encore moins le prendre en embuscade lorsqu'il quitterait son bureau pour une raison ou une autre, car l'isoler ne ferait que le rendre moins ouvert à ce qu'elle veut lui faire comprendre. Au lieu de ça, elle attend que ce soit sa partenaire qui s'absente de son siège, pour agir devant témoins. Ça a un côté manipulateur, mais elle fait ça pour son confort, pas pour le piéger.

- Il faut que tu lâches les basques de Fred, elle entre dans le vif du sujet sans introduction.

Elle ne sait pas combien de temps la petite nouvelle sera partie, alors elle préfère ne pas perdre de temps.

- Je suis pas à ses basques, c'est elle qui est aux miennes ! proteste immédiatement Sam.

Il n'a nullement besoin d'échauffement pour entrer dans ce débat. La brunette n'a cependant ni le temps, ni la patience pour sa mauvaise foi :

- J'espère sincèrement que tu plaisantes, là…

- Elle est assise à mon bureau. Mauvais départ, insiste puérilement l'inspecteur.

- Elle est assise à ton bureau parce que tu as refusé qu'elle prenne celui de Randers, lui rappelle Iz, croisant les bras, gentiment sévère.

Le maître-chien l'imite, buté, prêt à camper sur ses positions. C'est si rageant, quand les meilleures qualités de quelqu'un sont aussi ses pires défauts.

- Je vois pas ce que ça change.

- Sam ! Je ne te demande pas de l'apprécier, je veux juste que tu la laisses tranquille, la profileuse tempère sa demande.

Elle a bon espoir qu'après avoir commencé fort, qu'elle diminue ses attentes donnera l'impression à son interlocuteur d'avoir le dessus et le rendra ainsi plus favorable à l'écouter.

- Pourquoi ? s'étonne cependant son homme, plissant les yeux dans son incompréhension.

Pourquoi maintenant est la vraie question. Fred est au dix-huitième depuis une dizaine de jours, et ils sont donc constamment en train de se lancer des piques à qui mieux-mieux depuis tout ce temps. Mais il a parallèlement tenu sa promesse de ne pas arracher la tête de la petite bleue, il travaille avec elle, aussi pénible ça lui soit. Qu'est-ce qu'il faut de plus à la jolie brune ?

- Parce que votre petite guéguerre de gamins perturbe tout le monde autour de vous, Iz justifie son intervention.

- À part toi, personne n'est venu se plaindre, lui oppose Sam.

Il est étonné que ses collègues soient soudain pris à parti dans cette discussion. Ce qui se passe dans un duo d'inspecteurs ne regarde personne mais ces deux inspecteurs. Le seul compte qu'ils ont à rendre à qui que ce soit est la qualité de leur travail ; pour le reste, ils se débrouillent comme ils veulent et surtout comme ils peuvent. Et malgré leurs difficultés notoires, Fred et Sam remplissent leur fonction, comme en atteste l'affaire qu'ils sont en train de classer aujourd'hui.

- Comme si qui que ce soit allait se mesurer à toi ! insiste la profileuse sur les raisons de son interférence.

Là, le maître-chien fronce les sourcils. Il n'apprécie pas l'allusion. Il est féroce mais tout de même ! Qu'on ait du mal à travailler avec lui, il ne peut pas le nier, mais aucun de ses collègues n'a jamais hésité à venir lui dire quoi que ce soit en face. Et il n'y aurait aucune raison à ça, d'ailleurs. Ils sont tous égaux à cet étage, et on n'atteint pas cette position dans les forces de Police sans avoir un peu de courage. Aucun enquêteur n'a jamais eu peur d'élever la voix, et quand ça en vient aux mains, c'est toujours à bon escient. Un commissariat est un écosystème particulier mais non moins équilibré qu'un autre. Il aurait pensé qu'Iz s'en serait rendu compte, après y avoir passé plus de six mois.

- Hey ! Je vais peut-être pas gagner un concours de popularité demain, mais on se respecte les uns les autres, ici ; si quelqu'un a un souci, il vient me voir.

- Parfois, les gens ne savent ce qui est bon pour eux, propose alors la profileuse comme explication de cette absence d'objection au dérangement causé par Fred et lui.

Patrick, qui connaît Sam le mieux, s'est lui-même rangé à l'idée que laisser la tempête passer est le meilleur moyen de la gérer. Il n'est donc pas très étonnant que le reste de la bridage en soit arrivé à la même conclusion. Mais la jeune femme n'accepte pas que la résignation soit la seule solution. C'est en raisonnant comme ça qu'on en vient à des dictatures !

- Et toi tu sais ? son compagnon relève sa condescendance, un brin vexé.

L'ego d'un enquêteur n'a bien souvent d'égal que la solidarité qu'il a pour ses frères d'armes. En se plaçant comme plus maligne qu'eux, Iz se place comme plus maligne que lui. Et dans ce contexte, il n'est pas d'humeur à l'accepter, alors qu'il l'est dans la plupart des autres.

- C'est mon travail de le savoir, elle se justifie simplement.

Sur ça, il ne devrait pas décemment pouvoir la contredire, puisqu'il est le premier à l'avoir poussée à assumer ouvertement et pleinement son rôle.

En guise de réponse, il décide donc de mettre la balle dans son camp. Il estime après tout avoir fait tous les efforts nécessaires de son côté :

- Très bien ! Tu veux que j'arrête de me prendre la tête avec Fred ? Trouve-lui un autre partenaire, alors !

- Je t'ai déjà dit que ça ne dépendait pas de moi. Et puis, même si c'était le cas, ce serait trop facile !

Elle refuse de le laisser emprunter le chemin de moindre résistance. En ce qui le concerne, il ne trouve cependant pas que quoi que ce soit dans cette transition ait été facile pour lui. Bien au contraire. Il l'invite donc à étayer son propos :

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Vraiment, Sam ? Utiliser la terreur pour obtenir ce que tu veux comme un caïd de maternelle ? Tu vaux mieux que ça, Iz élabore son sous-entendu, frôlant l'insulte.

Piqué, il plisse son regard bleu et joue un instant avec sa mâchoire inférieure avant de répondre. Sans le savoir, il se fait une remarque similaire à propos d'elle qu'elle s'est faite à propos de lui à peine plus tôt : comment est-ce que son audace, l'un des traits de caractère qu'il préfère chez elle, et rendu d'autant plus spécial qu'il est assez rarement observé, peut aussi être précisément celui qui le met le plus hors de lui ?

- Sauf que, qu'elle parte, ce n'est pas ce que JE veux ; c'est ce que TU veux. J'aime pas spécialement bosser avec elle, mais je m'en fous, de me l'emplafonner constamment ; c'est toi, que nos scènes de ménage dérangent, il se permet de lui faire remarquer.

Être le seul remis en cause dans cette histoire ne lui plaît pas trop. Il conserve son calme, mais ça l'agace quand même, dans le fond.

- T'es vraiment pas croyable ! Retourner la situation contre moi ? s'offusque Iz, scandalisée, la bouche en O et à deux doigts de taper du pied.

Il soupire puis décroise enfin les bras avant de se pencher vers elle dans son siège, comme s'apprêtant à partager une confidence :

- Je sais pas si tu te rends compte, mais il n'y a pas une seule personne ici avec qui il n'est pas potentiellement difficile de travailler pour une raison ou une autre. Je suis un sauvage, Martins est un gros lourd, Fields est une groupie… Je dois continuer ? Et malgré ça, on est tous bons dans ce qu'on fait, il commence à lui exposer.

En fait, il ne voit toujours pas où est le problème avec deux inspecteurs qui se prennent le chou. Il y a mieux, comme situation, mais c'est gérable.

- Je ne questionne pas ta performance, Sam, la profileuse l'assure.

Elle se demande soudain s'il ne l'aurait pas encore moins comprise qu'elle ne le croyait.

- Je sais. Mais tu me demandes de la remettre en cause.

Il continue d'essayer de lui faire voir que son entente (ou plutôt sa mésentente) avec Fred n'a pas à être réglée mais acceptée.

- C'est faux ! Iz proteste immédiatement, choquée qu'il puisse croire qu'elle ferait une chose pareille.

Si elle a entrepris cette démarche, c'est justement pour préserver la qualité de travail de tout le monde ! La sienne y compris, d'ailleurs. Après avoir vu la mécanique huilée qu'ils forment avec Randers lorsqu'ils travaillent ensemble, elle a du mal à croire qu'il soit tout aussi efficace avec Insley, avec qui les heurts sont innombrables.

- Pas intentionnellement, mais quand même. Si tu demandes à qui que ce soit de faire un effort ici, tu remets en cause tous leurs procédés et donc leurs résultats. C'est comme ça qu'on fonctionne. C'est à prendre ou à laisser, il termine son argument.

- D'accord… Et est-ce que tu crois que Fred ne fait pas d'efforts ? la jolie brune le retourne alors contre lui, vive d'esprit.

S'il faut juste accepter les choses telles qu'elles sont, laisser chacun être comme il est, alors il n'offre selon elle pas cette liberté à celle avec qui il fait équipe. Qu'est-ce qu'il en dit, de ça ?

- Super, on parle de moi, surgit justement la voix de la principale intéressée derrière la profileuse, de retour à son poste.

- Insley ! s'exclame Jones en faisant volte-face.

Elle est presque gênée d'avoir été prise en flagrant délit de messe basse, mais elle ne laisse rien paraître. De toute manière, Fred est au courant que l'atmosphère de travail du commissariat fait partie des responsabilités de la psycho-psychiatre résidente. Elle doit donc se douter que leur cas l'inquiète.

- Qu'est-ce que j'ai raté ? s'enquiert la petite nouvelle, mains sur les hanches.

- Qu'il faut que t'arrêtes de faire des efforts, lance Sam avant qu'Iz ait pu en placer une.

Il récolte une œillade noire de sa part, mais ça a l'effet inverse de celui escompté.

Fred lève les yeux au ciel, puis se laisse tomber dans son siège.

- Pfft. J'ai laissé tomber le deuxième jour, elle rétorque sans se formaliser du ton de son équipier.

Sam tend la main vers elle, prenant sa réponse à témoin pour rassurer sa dulcinée :

- Tu vois ? Elle est super pénible, mais c'est une grande fille. Elle comprend comment ça marche. Et si tu crois qu'elle sait pas se défendre : reconsidère.

Aussi hostiles les choses soient-elles entre eux deux, clairement, ni lui ni elle n'en souffrent particulièrement. Peut-être que, finalement, le maître-chien avait raison en accusant Iz d'être la seule à avoir un problème avec la dynamique entre Fred et lui. Elle a juste toujours été convaincue que la résolution des conflits impliquait leur dissipation, pas leur maintien à un niveau raisonnable. Elle a l'impression de manquer à son devoir, en laissant une telle situation se pérenniser.

- Je… Je vais quand même continuer à vous surveiller, elle ne parvient qu'à balbutier.

- Oui, Maman, valide Insley sans même relever les yeux de son écran sur lequel elle pianote déjà, insolente.

Alors que Sam retient un sourire, à la fois mettant de la mauvaise volonté à admettre qu'il a apprécié la répartie de sa partenaire et ne voulant pas vexer sa compagne, Iz soupire et lève les yeux au ciel à son tour. Elle est partagée entre la satisfaction de les avoir quelque part un peu unifiés en leur offrant une sorte d'ennemi commun, et la déception de ne pas avoir du tout maîtrisé son intervention comme elle l'aurait souhaité. La dernière chose qu'elle voulait était se rendre encore plus antipathique auprès d'Insley qu'elle ne l'était déjà après l'accueil plus qu'abrupt qu'elle lui a accordé son premier jour. Et aussi, comment est-ce que cet homme se débrouille-t-il toujours pour lui filer entre les doigts et prendre le dessus, même quand elle est sûre de le tenir à sa merci ?

Scène suivante >

Commentaires