2x02 - Électrochoc (14/17) - Rançon du succès

Après avoir passé la matinée dans son laboratoire à domicile, à travailler sur les hologrammes de Caroline et Robert, et aussi un peu chercher les dossiers verrouillés dont lui a parlé ce dernier (sans succès malheureusement), Aleksander a décidé d'aller faire des courses. Il s'est rendu compte, en se préparant à déjeuner, qu'il était grand temps. Réfrigérateur comme placards étaient en effet suffisamment vides pour que ça en devienne un problème le soir venu et ses enfants rentrés. Et puis, le commissions sont aussi un peu une excuse pour lui pour prendre l'air. Depuis qu'il n'a plus à se rendre sur son lieu de travail chaque matin, il a tendance à oublier de sortir. Et il a aussi du mal à le faire juste parce que, sans raison pratique.

Alors qu'il inspecte le vaste rayonnage de fruits et légumes du marché le plus proche de chez lui, une voix féminine l'interpelle soudain :

- Professeur Quanto ?

Alek se retourne pour découvrir un beauté d'ébène de pas plus d'une trentaine d'années. Elle lui est parfaitement inconnue, et pourtant, elle lui sourit comme quelqu'un qui viendrait de retrouver son animal de compagnie qui aurait été perdu.

- Er… Oui. Je peux vous aider ? il répond poliment à la jeune femme qui vient de s'adresser à lui.

- Bonjour ! Oui, sans doute. Je m'appelle Ann, Ann Kampbell, elle se présente, quoique sans tendre la main vers lui, gardant ses poings dans les poches de sa veste de cuir.

- Ravi de faire votre connaissance. Malheureusement, j'ai bien peur que votre nom ne me soit pas familier, il s'excuse.

Il est mis un peu mal à l'aise par le fait qu'elle semble si enthousiaste à sa présence alors qu'il n'a en ce qui le concerne aucune idée de qui elle peut bien être. Kampbell n'est pas un patronyme qui résonne particulièrement à ses oreilles. Pas plus qu'à celles de n'importe qui d'autre, en tous cas, pour un nom aussi classique. Et le visage de la jeune femme lui est étranger également, ce qui réduit grandement la probabilité qu'elle soit de la famille de quelqu'un qu'il connaît. En admettant qu'elle soit du même domaine que lui, leur différence d'âge interdit qu'ils aient fréquenté les bancs de l'école à la même époque. Et enfin, même si c'était par sa réputation qu'elle le connaissait, son visage n'en fait pas partie, et elle ne pourrait donc pas l'aborder ainsi.

- Ça, c'est pas très étonnant ! Mais je suis une très grande fan de votre travail, elle le rassure sur son ignorance, seulement pour le laisser à nouveau perplexe dans la seconde qui suit.

- Mon travail ? il relève.

Même si techniquement du domaine publique, la grande majorité de ses travaux restent de l'ordre du secret défense. Cela signifie donc qu'on ne peut pas y accéder sans être soi-même dans ce cercle bien particulier. Or, celle qui lui fait face à cet instant ne lui paraît pas du tout avoir quelque affiliation gouvernementale que ce soit. Elle a ce côté rebelle des Alternatifs, qu'il commence à bien connaître à travers Jena. Ce ne sont pas seulement la veste de cuir, les bottines, et les jeans, non, c'est cette étincelle au coin de l'œil et du sourire. Rien d'inquiétant, mais pas adapté à un travail de bureau, en tous cas certainement pas dans l'administratif.

- La chute de DeinoGene était pratiquement une œuvre d'art, à mon humble avis. C'était culotté, en tous cas, elle précise son propos.

Cette mention nonchalante de l'organisme qu'il a effectivement contribué à faire tomber il y a un peu plus d'un mois fait tiquer Alek. Sa participation était en partie confidentielle et pour le reste carrément clandestine. Ainsi, que cette parfaite inconnue semble en avoir connaissance pourrait presque l'inquiéter. Mais au mieux, même avec les bons accès aux bons dossiers, tout ce qu'elle devrait pouvoir savoir, c'est que c'est une intrusion dans son laboratoire qui a lancé l'enquête qui s'est achevée par le démantèlement de DG, rien de plus. Malgré cette certitude rassurante, sachant que ce détail est tout de même classé secret défense, l'ingénieur décide tout de même de se montrer prudent dans sa réponse :

- Je… Je vois de quoi vous voulez parler, mais je n'ai rien à voir avec cette affaire. Vous devez faire erreur sur la personne, il tente de se défiler.

Ce qui est d'autorité publique sur l'affaire, il peut en admettre la connaissance. Avec le domaine dans lequel il est expert, dont cette jeune femme a sans doute connaissance pour l'avoir interpelé par son titre, il serait même suspect de sa part de prétendre ne rien savoir sur le sujet. Même s'il n'avait pas été concerné de si près, il en aurait entendu parler. Au-delà de ça, en revanche, il préfère ne rien avancer.

Le sentant tendu, Ann veut immédiatement apaiser ses craintes, et tend une main à plat vers lui :

- Oh, vous n'avez pas besoin d'avoir peur ! Je suis pas avec eux, croyez-moi. Je salue sincèrement ce que vous avez fait en les amenant à la justice. Une des plus belles performances de piratage que j'ai jamais vues.

- Je suis content que vous ayez été impressionnée, mais encore une fois, je n'ai rien eu à voir avec ça, il persiste dans son déni.

Elle ne fait sans doute que pêcher pour des informations, mais trop de choses sont en jeu pour qu'il laisse filtrer quoi que ce soit. Caroline et Robert, pour commencer. Et toute sa famille, à en croire les menaces proférées par le Docteur Vurt avant sa disparition. Il n'a aucune raison de croire la jeune femme sur parole lorsqu'elle dit ne pas travailler pour la funeste entité démantelée. Et même si elle dit vrai, plus le nombre de personnes au courant de la situation augmente, plus le risque d'être repérés est grand. Et Alek ne souhaite pas contribuer à ce résultat.

- Vraiment ? Vous allez être un bon petit soldat et vous en tenir à votre histoire que tout ce que vous avez fait c'est donner l'alerte, et ensuite vous êtes resté à distance de l'enquête comme on vous l'a demandé ?

La jeune femme ne comprend pas sa réticence à admettre ce qui à son sens est un haut-fait. Mais comment le pourrait-elle, si elle ne dispose pas de tous les détails de la situation ? Sans qu'elle le sache, son incompréhension rassure plus l'ingénieur sur ses intentions que ses paroles précédentes. Mais qu'elle ne soit pas une menace immédiate n'implique pas qu'il compte lui dire la vérité pour autant. Il ne semblerait pas qu'elle soupçonne quoi que ce soit au sujet des deux comateux, ce qui est un bon début, mais qu'elle s'imagine que c'est Alek lui-même qui était derrière leurs agissements n'est pas exactement une victoire.

- Je n'ai rien à dire sur le sujet. D'autant plus à une parfaite inconnue, il déclare, avec un peu plus de conviction qu'auparavant.

Dans l'espoir de lui inspirer confiance, Ann dévoile encore un peu plus son jeu :

- C'est amusant, parce que mon mari et moi avons travaillé très dur pour trouver qui a donné le coup de pouce qu'il fallait aux autorités sur cette affaire. Et on a tout tracé jusqu'à vous.

- Dans ce cas, je suis désolé de devoir vous dire que vous et votre mari avez fait erreur. Bonne journée, il lui répond gentiment, tentant à nouveau de se débarrasser d'elle en douceur.

- On ne fait pas d'erreur, elle lui affirme, sûre d'elle, frôlant l'arrogance.

En l'occurrence, elle a raison. Mais avec le peu d'éléments dont elle dispose visiblement, elle ne devrait pas en être si certaine. Ce doit être dans son caractère.

- Sauf sur ça. Faites-moi confiance : laissez tout ça tranquille, il lui conseille alors.

Ses mots l'exposent sans doute un peu plus qu'il ne le voudrait, mais il sent qu'elle est du bon côté et n'a simplement pas idée de ce dans quoi elle est en train de mettre les pieds.

Hélas, elle semble prendre ce qu'il vient de dire pour une menace, parce qu'elle a un brusque mouvement de recul.

- Ou quoi ? elle lui soumet, ne se laissant pas intimider.

Il sourit devant sa fougue. Elle est déterminée, il doit bien lui accorder ça. Mais il ne peut qu'espérer qu'elle ne le soit pas au point de se mettre en danger. Voire pire, rendre d'autres vulnérables.

- Ou quoi ? Ou rien du tout, Mrs. Kampbell. Absolument rien du tout ne va se passer, que vous continuiez à vous intéresser à cette histoire ou non. Autant que je sache, en tous cas, il corrige sa méprise, avec toute la finesse dont il est capable pour ne pas se dévoiler plus qu'il ne l'a déjà fait.

- Écoutez. C'est normal que vous ne me fassiez pas confiance, vous ne savez pas qui je suis. C'est prudent de votre part. Mais on est venus de très loin jusqu'à Chicago pour rencontrer un nouveau talent, et c'est vous. Vous pouvez comprendre que j'insiste, elle continue de plaider sa cause, persévérante.

- Je vous assure que je ne suis pas celui que vous cherchez. Encore une fois, je suis désolé, il la rejette à nouveau.

Cette fois, c'est plus facile, parce qu'il ne ment pas. Ce n'est effectivement pas lui qu'Ann cherche mais Caroline. C'est elle, qui a aidé les autorités à faire tomber DG. Si les Kampbell ont repéré sa trace, peut-être que ça les a menés à l'ingénieur parce que l'adolescente passe le plus clair de son temps sur le réseau de son domicile. Et évidemment, ils ne peuvent pas soupçonner qu'il a une habitante numérique. Mais c'est déjà impressionnant qu'ils soient arrivés jusque-là… Et fâcheux, aussi. Le camouflage qu'il a mis en place pour la jeune fille n'est-il pas complètement efficace ? Il va durcir ses mesures de sécurité en rentrant.

- Si ce n'est pas vous, alors vous savez qui c'est, Ann devine à ses mots.

Elle est perspicace. Elle plisse les yeux et commence à retrouver son sourire initial, plein d'enthousiasme.

- Mrs. Kampbell… Vous avez été suffisamment ingénieuse pour arriver jusqu'ici, je suis certain que vous le serez suffisamment pour contacter la personne que vous cherchez. Mais je ne peux pas vous aider, il répond, toujours sans se mouiller.

- Vous protégez quelqu'un, elle poursuit sur son intuition.

Elle voit bien, à l'expression du scientifique aussi bien qu'à son choix précautionneux de mots, qu'elle vise juste. Il a un léger soupir. La sentant futée, il décide de lui soumettre une hypothèse :

- Si c'était le cas, est-ce que vous pensez réellement que me contraindre à vous mener jusqu'à eux les rendrait amicaux à votre cause ?

Elle a un mouvement de recul. Elle se met enfin à la place de celui qu'elle vient d'aborder. Elle pensait qu'il sauterait sur l'occasion d'obtenir de l'aide dans sa croisade, de travailler avec des personnes suffisamment douées pour le trouver. Elle n'avait pas envisagé d'avoir à faire ses preuves, pas dans ces circonstances en tous cas. Mais ça ne semble pas illégitime de sa part d'exiger des assurances d'elle, après tout. On n'est jamais trop prudent face au type d'adversaires qu'il s'est fait en confrontant DG.

- Je suppose que non, elle admet.

Elle se mord la lèvre inférieure, et passe une main parmi ses boucles folles. Comprenant qu'elle ne va plus essayer de le retenir, il décide de prendre congé :

- Comme je l'ai déjà dit, passez une très bonne journée, Mrs. Kampbell, il la salue une dernière fois.

Tandis qu'il se détourne enfin d'elle, elle reste plantée là où elle est, considérant déjà ce qu'elle va bien pouvoir faire pour gagner ses faveurs. Alek reverra la jeune femme, il en est presque certain. Il espère simplement qu'elle ne va pas attirer l'attention d'ici là, aussi bien sur elle-même que sur lui et les siens. Mais si elle a déjà été capable de suivre Caroline Miller jusqu'à chez lui, il est fort possible qu'elle détienne en effet les compétences nécessaires pour rester discrète. La question est maintenant de savoir si elle voudra le rester dans le cas où elle découvrirait la vérité. Le père de famille espère sincèrement ne jamais avoir à faire face à ce scénario catastrophe, car il ne veut pas penser aux choix qu'il devrait alors faire.

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