2x02 - Électrochoc (11/17) - Conseil d'ami
L'heure de la pause déjeuner venue, Iz pousse Sam à prendre son repas en compagnie de sa nouvelle partenaire, prétextant avoir elle-même un autre engagement. Il n'est pas ravi mais accepte, se disant qu'au moins il pourra se prendre la tête avec elle sans supervision. La profileuse se doute de ce qui va se passer, mais d'une part, avec un peu de chance, elle est pessimiste, et ils vont au contraire enfin réussir à s'entendre. D'autre part, elle veut justement profiter de cette plage horaire pour aller chercher de l'aide face à leurs chamailleries perpétuelles.
La brune en jupe fendue se rend à l'adresse de Patrick en transports en commun, entre dans le bâtiment grâce à son SD qu'il a validée lors de sa toute première visite, et monte frapper à sa porte. L'inspecteur hors service ouvre en jogging et débardeur, une serviette éponge sur les épaules et un torchon dans une main. Si elle devait deviner, elle dirait qu'il s'est mis à cuisiner juste après avoir pris une douche. Il est grand temps qu'il reprenne du service et avec ça une routine correcte, mais chaque chose en son temps.
— Hey, Randers, Iz le salue avec un sourire.
— Hey, Jones ! Tu m'avais pas dit que tu venais aujourd'hui…
Malgré son évident et compréhensible étonnement, il ouvre la porte un peu plus grand lorsqu'il reconnaît sa visiteuse.
— Je sais, je suis pas là pour ça. J'ai voulu m'annoncer, mais c'était plutôt une décision de dernière minute. J'espère que je ne te dérange pas ? J'ai besoin de tes lumières, elle explique sa présence, consciente de son timing pas forcément arrangeant.
— Ah oui ? Bah, si ça peut pas attendre, j'espère juste que l'odeur des oignons frits ne te dérange pas, il lui offre cependant en l'invitant à entrer du geste.
Ce n'est pas comme s'il avait quoi que ce soit de prévu et que la présence de sa collègue allait l'importuner. Au contraire, il ne dit pas non à un peu de compagnie. Il pourrait même lui parler de sa rencontre avec Ben… s'il trouve quoi en dire avant qu'elle ne reparte, bien sûr.
— Pas du tout ! Merci, Iz accepte en franchissant le seuil.
Il ne mentait pas, et l'odeur de ce qu'il est en train de mijoter emplit effectivement le loft presque tout entier. Elle le laisse fermer la porte avant de le suivre jusqu'à son espace cuisine, s'asseyant à une chaise haute à sa table tandis qu'il retourne à ses fourneaux.
— T'as mangé ? il demande, se rappelant ses manières.
— Avant de venir, c'est gentil, elle répond tout en retirant sa veste.
Elle avait préparé son déjeuner la veille, soit avant de décider de lui rendre visite, et se voyait mal pique-niquer au milieu de son appartement. Elle avait ainsi englouti sa salade en repassant sur quelques dossiers, avant de prendre le chemin de chez lui.
— Alors, c'est quoi ton souci que je suis apparemment le seul à pouvoir t'aider à résoudre ? il entre enfin dans la vif du sujet, tout en surveillant sa casserole.
— C'est à propos de Sam, elle commence.
— Je te préviens, je donne pas de conseils amoureux, il annonce d'entrée de jeu, voulant éviter un malaise.
Iz sourit à l'idée qu'il ait pu s'imaginer qu'elle le dérangerait pour ça. Ce n'est pas le genre de relation qu'ils ont, même si ses récentes visites pour l'aider à gérer les retombées de la fusillade les ont un peu rapprochés, c'est vrai.
— Tant mieux, parce que je ne compte pas t'en demander ! C'est à propos du boulot. Il y a une nouvelle… stagiaire, au commissariat, et Sam a… comme qui dirait un petit problème avec elle.
Elle essaye d'exposer la situation sans pour autant entrer dans des détails dont elle jugerait déplacé de faire mention à Randers. Et c'est plutôt ardu.
Comprenant malgré tous ses efforts très bien ce à quoi elle fait référence, Patrick s'esclaffe. C'est sympa de sa part d'essayer de faire preuve de tact, mais elle n'a pas de crainte à avoir. Il est tout à fait à l'aise avec l'idée que Sam travaille avec quelqu'un d'autre que lui. Il ne souffre pas d'être remplacé. Il s'inquiète plus pour la personne qui le remplace, en fait…
— Ah, ça ! Je peux comprendre qu'il a besoin d'un équipier, tu sais. T'as pas à prendre des pincettes. En plus, il m'en a parlé ! Il a pas utilisé le terme stagiaire, mais il y avait une certaine richesse dans son vocabulaire quand même…
Iz est soulagée qu'il prenne ce développement avec autant de détachement. Ce n'est pas facile pour tous les officiers de voir un ancien partenaire avec un nouveau, et ce quelles que soient les circonstances. Sachant qu'il est blessé et non pas promu ou muté, ça aurait tout à fait pu être un sujet d'autant plus délicat pour lui. Ouf ! La psycho-psychiatre juge malgré tout bon de le rassurer une dernière fois :
— Elle ne te remplace que sur le papier, tu n'as pas à t'inquiéter.
— Je m'inquiète pas ! J'ai pas de raison. Je vois pas qui à part moi serait assez débile pour vouloir se coltiner le pire partenaire de toute la ville, il explique sa sérénité sans mâcher ses mots.
— Tu ne le penses pas ! elle le reprend.
Le pire de toute la ville ? Vraiment ? Est-ce que ce n'est pas un peu extrême, comme description ?
— T'as lu son historique ? Il est pratiquement impossible à apparier, donc si, je le crois. Et tu le devrais aussi, il persiste et signe, avant de couper le feu sous ses onion rings.
Sentant qu'ils n'arriveront pas à se convaincre ni l'un ni l'autre, la brunette décide de laisser tomber ce débat.
— De toute façon, c'est pas ce que je voulais dire. Elle a juste pris la première place qui s'est libérée aux homicides de Chicago, c'est tout, elle ajoute comme précision à son propos initial.
— Ah ouais ? Pourquoi ça ?
Il ne comprend pas. Les dossiers de transfert sont usuellement beaucoup plus étudiés que ça. Il paraît en effet idiot d'envoyer quelqu'un dans un endroit où on sait qu'il ne sera pas accueilli dans les meilleures conditions. Une mutation n'est ordinairement approuvée qu'une fois un partenaire adapté sélectionné en aval, et la relève assurée en amont. Des ratés surviennent, comme l'aurait été l'association de Fred à Sam si ça avait été fait dans les règles de l'art, mais de manière générale c'est une façon de procéder assez satisfaisante pour tous les partis concernés.
— De ce que j'ai réussi à glaner, son transfert a été accéléré par un haut gradé. Personne ne cherchait spécifiquement à te remplacer, Sam est très bien juste avec Sing Sing en attendant ton retour, mais apparemment il y avait urgence sur son arrivée, révèle Iz, qui a fait ses petites recherches sur le sujet.
Elle aurait dû être consultée pour l'affectation de Fred à Sam, puisque la fédération des relations interpersonnelles au commissariat du dix-huitième district fait partie de ses responsabilités. Malheureusement, elle n'a en l'occurrence pas eu son mot à dire. Elle ne lui a pas menti, en disant qu'elle ne pouvait rien faire pour lui.
— C'est franchement pas de chance pour elle ! Patrick s'exclame à propos de la jeune inspectrice.
Il essaye de ne pas ricaner à son sort, mais c'est difficile. Il s'efforce donc de se concentrer sur le déversement de sa nourriture dans l'assiette qu'il avait préparée à cet effet.
— Certes. Mais ce n'est pas le sujet. Ce qui m'intéresse, c'est de faire en sorte que tout se passe bien au commissariat. Et je m'en sors pas, avec ces deux-là ! Est-ce que tu n'as pas une petite idée de comment je pourrais faire en sorte que Sam lui lâche un peu la grappe ? la jeune femme brune supplie pratiquement son collègue.
— Tu peux pas. S'il a un chien, c'est pour pouvoir prétendre qu'il n'est pas le plus têtu en présence, lui répond hélas Randers sur le ton de l'évidence, haussant les épaules alors qu'il place sa poêle désormais vide dans l'évier.
— Je ne lui demande même pas de l'apprécier. Vu le tempérament de Fred, ça n'est pas près d'arriver, et je peux le comprendre et l'accepter. Mais est-ce qu'il est obligé d'être tout le temps après elle ? elle raisonne tout haut, presque plus pour elle-même que pour son hôte.
Des fois, on a simplement besoin d'exprimer ce qui nous embête à haute voix. Or, parler toute seule à atteint ses limites pour elle sur ce questionnement en particulier, et personne à part Patrick ne prendrait sa réflexion actuelle au sérieux.
— De ce que j'en sais, elle est tout autant à ses basques que l'inverse, il se met alors à défendre son équipier.
Selon lui, il n'y a ni méchants ni gentils dans cette histoire. Pas plus maintenant que lorsque Sam lui en a fait le récit. Avec lui, il avait fait mine d'être entièrement de son côté, même s'il sait qu'il est tout autant en faute que la petite nouvelle. Avec Iz, en revanche, il ne pense pas avoir besoin de prendre de parti. Il trouve d'ailleurs curieux qu'elle semble en avoir un.
— Oui, je sais ça, mais elle est aussi nouvelle ; si je lui tombe encore dessus, alors qu'elle est toujours en train de s'adapter à son nouvel environnement, ça ne va rien arranger. Avec Sam, j'ai un peu plus de marge de manœuvre, la profileuse justifie sa vision malgré elle biaisée du problème.
Son angle d'attaque est réduit. Elle a conscience que Fred est tout aussi difficile que Sam. C'est même incroyable à quel point ils sont autant des têtes de cochon l'un que l'autre. Mais comme elle vient de le dire, elle ne peut pas se permettre de mettre autant la pression sur la jeune femme que sur son compagnon. Elle a déjà fait la leçon à Insley le jour de son arrivée, pour son manque de délicatesse dans sa façon de se présenter. Si elle recommence, la garçonne va croire que tout le monde est contre elle et ne jamais s'intégrer. Sam, en revanche, est sur son terrain, en position de force, et il est donc presque logique que ce soit lui qui fasse un effort, même si ça semble injuste.
— Tu peux pas lui demander de s'aplatir. Ça va pas le faire, l'avertit Randers.
Il se doute qu'elle en a déjà conscience, mais pense quand même que ça mérite d'être dit.
— Je sais. Et je ne ferais pas une chose pareille. Mais j'en ai aussi marre de jouer l'institutrice, confirme Iz.
Désemparée, elle prend le bas de son visage dans ses mains.
— Alors peut-être que tu devrais arrêter, lâche soudain l'autre, haussant les épaules comme si ce n'était pas grand-chose.
— Quoi ?! À quoi ça rimerait ? elle proteste à cette suggestion, qu'elle trouve insensée, levant même brièvement les mains au ciel.
— Ça leur laisserait l'occasion de trouver leur équilibre par eux-mêmes, persiste l'inspecteur en toute simplicité.
— Comme vous avez fait à l'époque, en vous tapant dessus ? lui oppose une nouvelle fois Jones.
Elle n'est pas ouverte à cette éventualité. Sam tuerait Fred, si ça devait en arriver là. Même en retenant ses coups.
— Peut-être. Peut-être pas. Est-ce que ce serait si grave ? Tu vas me dire qu'on n'est pas un super duo, Sam et moi ?
En ce qui le concerne, Randers ne voit pas le problème. Il faut une étincelle pour faire du feu. Sam a juste sa façon bien à lui d'aborder les gens. Elle devrait le savoir, puisqu'il l'a séduite à l'aide d'un défi, à la base.
Iz ouvre la bouche, mais elle ne peut pas décemment le contredire sur ce dernier point. Sam et lui forment l'une des équipes les plus solides du commissariat. Ce sont eux qui sont restés le plus longtemps ensemble, et leur efficacité n'est discutée par personne. Certaines associations ont des hauts et des bas, tandis qu'eux restent relativement constants dans leur bon fonctionnement. Mais est-ce que c'est seulement possible d'obtenir ce résultat entre Fred et Sam ? Ne serait-ce que de s'en approcher ? Est-ce que l'expérience vécue par les deux hommes est seulement répétable ?
Sur ces bonnes paroles, elle prend congé de Patrick, lui souhaitant bon appétit et le remerciant de son hospitalité. Évidemment, il lui répond qu'il n'y a pas de quoi avant de la raccompagner jusqu'à la porte. Sur le palier, elle se dit qu'elle ne sait pas trop quel est le bilan de cette petite excursion. D'une certaine façon, elle a eu ce qu'elle était venue chercher. Mais est-ce qu'elle va oser suivre ce conseil d'inaction, à son sens plus que risqué ? Elle a encore beaucoup à penser.
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