2x02 - Électrochoc (10/17) - Accord des violons

Lorsque Markus quitte l'enceinte de son université à la mi-journée, Jena l'attend. Elle est à demi assise sur une barrière du trottoir, jambes tendues devant elle et mains dans les poches de sa veste en cuir. Elle ressemble tellement à l'un de ces mannequins qu'on voit dans les galeries photo que son petit ami se demande parfois pourquoi elle n'en fait pas sa profession. Il ne pense pas que ce soit une voie fermée aux Alternatifs, en plus. Mais sans doute ce domaine n'intéresse-t-il tout simplement que peu la jolie brune. Elle a besoin de se sentir utile, et il y est vrai qu'il y a plus épanouissant pour quelqu'un de son tempérament que de se reposer sur son apparence.

- Salut, beau gosse ! elle l'accueille dès qu'il l'a repérée et s'approche, avec un grand sourire.

Elle se redresse de son appui et vient déposer un baiser sur ses lèvres, qu'il savoure avec un soupir d'aise. Non, la vraie question ce n'est pas pourquoi elle n'est pas top model, c'est pourquoi elle est avec lui. Il n'a pas spécialement de problème d'estime de lui, mais combien d'hommes sortent-ils avec leur béguin du lycée ? Et même sans ça, combien sortent-ils avec quelqu'un à ce point hors de leur ligue ? Elle est belle, indépendante, et aventureuse, alors qu'il est juste un étudiant en médecine. Qu'est-ce qu'elle lui trouve ? En quoi s'emboîte-t-il avec son mode de vie ?

Plutôt que de s'interroge à voix haute sur la chance qu'il a, il préfère cependant s'enquérir de la raison derrière la bonne humeur contagieuse de sa partenaire :

- Bonjour, jolie demoiselle. Qu'est-ce que tu as fait de beau ce matin ?

- Pas grand-chose. J'ai majoritairement essayé de rattraper mon retard de sommeil. Mais sans grand succès. Toi ? elle lui retourne la question, son engouement sans cause particulière, apparemment, juste parce que.

Glissant son bras autour du sien, elle l'entraîne le long du trottoir vers leur destination de déjeuner habituelle lorsqu'elle amène un pique-nique, un parc à quelques rues de là. Fin Avril, cela fait déjà quelques semaines que la météo est suffisamment clémente pour se permettre une telle escapade.

- Cours de psycho. Intéressant. Et Rob est passé me voir, aussi, Mark résume succinctement sa matinée, ne voulant pas l'ennuyer avec des détails.

- Oh ? Qu'est-ce qu'il avait à raconter ? elle relève la dernière partie de ce qu'il vient de dire.

- Attends, il ne t'a pas parlé ? il s'étonne alors, fronçant les sourcils.

Il était pourtant sûr que c'est ce que Rob était parti faire après être passé le voir lui. Il ne voit pas qui mieux qu'elle aurait pu l'informer sur les agissements de Caroline.

- Qu'est-ce qu'il était supposé me dire ? Jena lui retourne sa perplexité, soudain perdue.

- De ce que j'ai compris, il était inquiet pour ta sœur. Il ne la trouvait pas, ou elle ne voulait pas lui dire pourquoi elle avait verrouillé des fichiers, je suis pas sûr, Markus retranscrit du mieux qu'il peut ce qu'il a pu interpréter des symboles déposés par son meilleur pote.

La jeune femme à son bras secoue la tête à la négative, restant sur son infirmation première, selon laquelle elle n'a en ce qui la concerne pas croisé leur ami commun aujourd'hui.

- Il ne m'a rien dit.

- Mais tu sais où est Caroline ? lui demande alors son compagnon.

S'il a mal compris la situation, qu'est-ce qui s'est passé, alors ?

- "Où" est un bien grand mot, mais on s'est parlé ce matin, oui, valide la grande sœur, acquiesçant du chef cette fois.

- Et elle ne t'a pas parlé de verrouiller quoi que ce soit ? Mark poursuit son interrogatoire.

Sur le moment, il ne pouvait rien faire pour apaiser Robert, donc il n'a pas eu d'autre choix que de le laisser filer. Néanmoins, penser qu'il pourrait se débrouiller tout seul pour résoudre son anxiété l'avait aussi aidé à mettre ses questions de côté. S'il n'y a pas eu de réponse, dans quel état doit-il être à présent ? Si seulement il était aussi facile pour eux de le contacter qu'il est facile pour lui de les joindre…

- Er… Non, ce n'est pas venu dans la conversation, Jen répond presque malgré elle, avec une expression de plus en plus perturbée.

Voyant son visage et comprenant qu'elle ne partage pas du tout son alarme et en est même un peu dérangée, son petit ami décide de prendre du recul sur ce qu'il est en train de faire. Ce n'était pas dans ses intentions de la cuisiner de la sorte. Il soupire et marque une pause.

- Je suis désolé. Je panique. Encore. Comme avec le coup des poussins, il s'excuse, se sentant soudain bête.

Ce n'est probablement rien. Si elle avait un souci, Caroline saurait en faire part à sa sœur. Et aussi volatile elle puisse être à son âge, elle n'inquiéterait pas Rob inutilement pour autant. Ils sont dans le même bateau. La panique communiquée par son pote tout à l'heure doit donc sans doute venir d'un malentendu, voilà tout. Non ?

- Tu veux dire canetons ? la brunette le corrige avec un sourire amusé.

- Poussins, canetons : bébés oiseaux ! tranche gentiment l'étudiant.

La cocasserie de ces termes dans cette conversation pourtant supposément sérieuse le laisse un peu désabusé.

- C'est normal que tu t'inquiètes, Mark. Mieux vaut prévenir que guérir. Mais je sûre que si Caro a effectivement interdit l'accès à certaines choses à Rob, c'est pour son bien, le rassure Jena.

Maintenant, elle se sent mal de l'avoir fait culpabiliser d'un sentiment tout à fait légitime. Elle pose son autre main sur son bras pour amplifier l'effet apaisant de ses paroles. Il se détend un peu à ce contact, mais pas complètement.

- Pourquoi elle ne lui en parlerait pas, alors ? il demande, pas encore entièrement convaincu qu'il n'y a pas matière à s'alarmer.

Il a tellement confiance en Rob qu'il a beaucoup de mal à croire qu'il puisse commettre une telle erreur, même dans sa condition actuelle. Son collègue est friand de théories du complot, c'est vrai, mais elles ne l'inquiètent jamais de cette façon. Il les considère plutôt comme des vérités générales sans conséquences, de la même manière qu'on accepte que le ciel est bleu et que le soleil se lève à l'Est avant d'avoir appris et compris pourquoi. Et si tout ça n'était que l'une de ses fameuses plaisanteries, on en aurait déjà vu le bout à l'heure qu'il est. Non, quelque chose cloche, Markus n'arrive pas à se défaire de cette impression. Il a réussi à mettre ses interrogations de côté pendant les cours, mais maintenant qu'il y repense, ça le taraude.

- Je sais pas comment ça marche, entre eux. Si ça se trouve elle ne peut pas, ou alors il n'a pas compris, Jen continue quant à elle de dédramatiser, faisant le choix opposé.

Si elle prenait peur à chaque fois qu'elle recevait un message étrange de Caroline, elle ne serait jamais sereine. Elle n'est déjà jamais vraiment tranquille de base en ce qui concerne sa sœur, rien dans cette situation n'étant normal, alors se faire une montagne de tout et n'importe quoi lui semble superflu. De manière générale, elle préfère adresser chaque problème en son temps, dès qu'elle en a confirmation, et pas avant. Elle ne sait pas si elle a développé cette approche avant de fuguer ou après, mais en tous cas elle peut certifier qu'elle lui a rendu bien des services dans ses moments les plus difficiles. La seule raison pour laquelle Markus se laisse submerger, c'est parce qu'il ne l'a jamais vraiment été avant aujourd'hui. Par conséquent, il n'a jamais eu l'occasion de se forger une stratégie appropriée. Il a toujours eu la chance de pouvoir traiter tous ses soucis de front, et est confronté pour la première fois à la nécessité de prioriser.

- Je sais que c'est injuste de ma part de souhaiter ça, mais j'aimerais qu'il apprenne à communiquer de façon claire un peu plus vite, déclare l'étudiant après un lourd soupir.

Malgré son intime conviction que Rob ne l'a pas alerté pour rien, il entend tout de même la validité du propos de sa petite amie. Il y a encore beaucoup d'inconnues dans le fonctionnement de la conscience humaine sur un support numérique, et il est donc difficile de savoir à quel point elle est aussi fiable qu'elle l'était sur support organique. Et Caroline est dans cet état depuis plus longtemps que Robert, il serait donc rationnel de lui faire plus confiance à elle qu'à lui. En fin de compte, Mark ne sait plus trop quoi penser.

- Tout va bien se passer. Promis, lui offre alors Jena, avec une certitude dans sa voix qui le fait tiquer.

Comment est-ce qu'elle peut être aussi sûre d'elle à chaque fois qu'elle lui dit ça ? Ça ne dépend pas d'elle. Autant qu'il sache, elle est tout aussi impuissante que lui, dans cette histoire. Même son père, avec toutes les compétences qu'il possède pour tenter de comprendre ce qui se passe, ne peut pas lui promettre une chose pareille. Et pourtant, il ne lui semble pas qu'elle lui mente quand elle lui donne sa parole de cette façon. Il ne croit même pas qu'elle se mente à elle-même. Ce n'est pas seulement qu'elle est convaincue, c'est comme si elle savait quelque chose qu'il ignore.

Puisqu'il n'a aucun moyen de statuer sur la question pour le moment, et n'en a de toute manière pas envie dans l'immédiat, Markus décide de changer de sujet, afin de ne pas gâcher l'entièreté de sa pause déjeuner. Il a suffisamment peu de temps avec Jena depuis son changement de job pour vouloir en profiter un maximum. Après avoir annoncé son intention, il s'enquiert donc de ce que la jeune femme a prévu de faire avec sa petite sœur cet après-midi. Il y a très peu de risque que ça l'inquiète, ça, au moins.

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