2x02 - Électrochoc (2/17) - Mauvaise rencontre

Patrick sort de son immeuble, un sac de sport dans une main, son SD dans l'autre. Depuis que Sam l'a confronté au sujet de son absence du commissariat, il se sent un peu mieux. Pas suffisamment pour reprendre du service encore, mais mieux. Il ose même admettre que les quelques visites de Lizzie, durant cette dizaine de jours, ne sont pas non plus étrangères à son regain de confiance en lui. Leurs entrevues lui ont été plus bénéfiques qu'il ne l'aurait cru. La jeune femme a un certain talent pour mettre les choses en perspective, et surtout une capacité à ne pas juger dont il n'a pas encore vu les limites. Il n'aurait pas pensé qu'il serait aussi facile de lui parler. Elle n'est pas comme les autres psys à qui il a eu l'occasion d'être envoyé au cours de sa carrière, en tous cas. Peut-être que c'est parce qu'il la connaît dans un autre contexte. Ou peut-être que c'est juste la toute première fois qu'il a réellement besoin d'aide, ou est seulement prêt à l'accepter.

Après un geste survolant au-dessus du coffre de sa voiture avec sa main qui tient sa carte, l'inspecteur ouvre le compartiment et y balance son chargement. Il a un punching-ball dans son appartement, mais rester chez lui toute la journée n'est pas bon pour son état d'esprit actuel, peu importe combien c'est la seule chose qu'il a envie de faire ces temps-ci. Alors, il se rend au gymnase. C'est Jones qui l'a incité à reprendre ses habitudes, maintenant qu'il n'a plus à aller chez le rééduc', sa seule activité ou presque depuis la fusillade. Il a eu du mal à être suffisamment à l'aise pour suivre ce conseil, mais il ne regrette pas d'avoir franchi le cap.

Alors qu'il claque son coffre, son regard est attiré par une ombre de l'autre côté de la rue. Elle n'a été là qu'une seconde, juste au coin de son champ de vision, mais elle ne lui est que trop familière. Il n'arrête pas d'entrevoir cette silhouette partout. Elle est même présente lorsqu'il ferme les yeux. Elle semble masculine, avec un haut blanc et un bas noir, mais il est incapable de distinguer plus de détails, quelles que soient les circonstances dans lesquelles la silhouette lui apparaît. C'est cette vision qui l'a conduit à douter de lui-même en premier lieu. Qu'est-ce qu'un souvenir flou et surtout erroné du moment où il était sur le sol de cet entrepôt à se vider de son sang viendrait faire à chaque coin de rue ?

Serrant les poings, Patrick longe le trottoir du regard, dans la direction par laquelle il pense avoir vu partir le fantôme. Pour peu qu'il ait seulement été là. C'est un exercice que lui a suggéré Lizzie, encore une fois : dès qu'il croit voir le mystérieux inconnu, il est supposé le chercher des yeux. Deux possibilités s'offrent alors à lui : soit il ne trouvera jamais personne et il est effectivement victime d'une légère paranoïa, soit il n'est pas fou du tout et il finira forcément pas trouver quelqu'un. Jusqu'ici, il n'est jamais tombé sur qui que ce soit, mais aujourd'hui pourrait être son jour de chance.

— Hey ! Hey, toi ! Qu'est-ce que tu me veux ? Pourquoi est-ce que tu me suis ? il admoneste la jeune homme qu'il entrevoit clairement maintenant s'éloigner sous le couvert de la pénombre offerte par les arbres du parc d'en face.

Courir après celui qu'il aura trouvé lors de ses recherches, la psycho-psychiatre ne lui a pas conseillé de le faire. Mais personne n'aurait pu s'attendre à quoi que ce soit d'autre de la part de quelqu'un comme lui.

— Qui ? Moi ?

L'interpellé s'arrête brusquement dans son avancée, et ne se retourne que dans un second temps, après avoir parlé, une fois qu'il n'a plus de doute que c'est à lui qu'on s'est adressé.

— Oui, toi ! Je te vois me suivre partout. Chez moi, à la salle de sport, … Tu es partout ! Randers continue dans ses accusations, à sa hauteur maintenant, après avoir traversé la route.

Bien qu'il n'ait jamais eu une image très nette de cette figure qui s'est introduit dans sa mémoire par un chemin inconnu, il est certain qu'il s'adresse à la bonne personne. Il le sent dans ses os, c'est viscéral. Mais paradoxalement, alors qu'il a accumulé tant de ressenti pour cet inconnu aux traits indistincts, maintenant qu'il l'a en face de lui, il n'arrive pas à se sentir menacé. Il pourrait, pourtant, à sa dizaine de centimètres de plus que lui pour une largeur presque équivalente à la sienne, et sa dégaine de rebelle. Quelque chose dans ses yeux noirs lui inspire pourtant confiance. Comme si l'image n'était pas déjà assez dérangeante…

— Je… Je travaille dans le quartier, c'est tout, s'excuse maladroitement Ben, secouant la tête pour nier ce qu'on lui reproche.

Il ne s'attendait pas à ce que Patrick le repère. Ça fait plus d'un mois qu'il surveille ses progrès de loin, inquiet pour lui depuis qu'il n'a pas pu le traiter convenablement suite à sa rencontre avec Kayle. Il avait été très heureux de constater que la chirurgie humaine avait fait son œuvre, ce qui n'était pas couru d'avance, même avec une blessure aussi parfaite que celle laissée par Andy. Mais récemment, il s'inquiète que l'état mental de l'inspecteur ne soit pas le reflet de sa condition physique. C'est sans doute ce sentiment qui l'a rendu imprudent dans sa filature. Et le voilà maintenant comme un faon dans les phares.

— Mais bien sûr… Je suis flic, mon coco, je sais quand je suis suivi, lui rétorque Randers, qui ne se laisse pas duper.

Machinalement, il croise les bras, comme il le ferait en interrogeant un suspect. Non, en fait, il parle sans doute comme ça à la plupart des gens. Même dans les circonstances les plus anodines.

— Je… er… D'accord. J'aime bien votre voiture, finit par balbutier le grand brun ténébreux.

Après avoir jeté un coup d'œil à droite et à gauche en quête d'inspiration, il improvise. Pourvu que ça fonctionne.

Patrick ne le suit pas, et plisse les yeux dans sa totale incompréhension.

— Huh ? il éructe.

— J'aime vraiment bien votre voiture. Je travaille réellement dans le quartier, je suis mécano, et je fais toujours un détour pour la voir, Ben étaye son invention, brodant sur une part de réalité.

Le garage où il a tout appris des engins mécaniques à son arrivée sur Terre n'est effectivement pas très loin d'ici. Et si ce n'est pas son occupation principale, il lui est arrivé de tirer quelques personnes d'embarras d'ordre automobile, en plus du fait qu'il adore bricoler toutes sortes de machines dans son temps libre. Les raisons de son passage dans cette rue, en revanche, ne sont pas liées au véhicule de Patrick mais bien à son propriétaire. Le pourcentage de vérité dans ce qu'il vient de dire lui paraît cependant suffisant pour ne pas avoir trop mauvaise conscience.

— Sérieusement ?

L'inspecteur a du mal à avaler cette explication. Son expression est figée dans l'incrédulité.

— Oui. Je suis désolé si je vous ai fait… peur, s'excuse platement l'extraterrestre, entièrement sincère cette fois.

Comme toujours, tout ce qu'il voulait, c'était rendre service. Il est si bon Soigneur en partie parce qu'il ne supporte pas la vision de quelque chose d'endommagé. Et s'il est en plus indirectement complice des dégâts en question, son inconfort ne se fait que plus grand.

À l'air penaud de son interlocuteur, l'enquêteur se radoucit un rien, mais il ne laisse pas encore toutes ses suspicions derrière lui pour autant.

— Comment tu t'appelles, gamin ?

— Ben, répond l'alien.

Sans relever le menton, il ramène ses yeux noirs à celui qui l'interroge, se donnant sans le savoir encore plus un air de Cocker.

— Ben comment ?

— Ben Furrow.

— D'accord, Ben. Moi, c'est Patrick. Ça te dit de me montrer ce qui te plaît tant que ça dans à ma bagnole ? propose alors l'humain contre toute attente.

— Vraiment ?

Ben ne comprend pas tout de suite, et prend à son tour une expression perplexe. Patrick a toujours les bras croisés, et aux spasmes qui parcourent ses maxillaires, il n'est pas complètement calmé. Sa proposition semble donc en désaccord avec son attitude.

— Ouais, vraiment, l'inspecteur confirme cependant son offre.

Il a un bref regard sur le côté, qui n'échappe pas à son interlocuteur en face de lui. Un sourire pointe au coin des lèvres du Soigneur de l'Espace, à la fois à la malice de la manœuvre qu'à sa propre perspicacité pour l'avoir discernée, même si dans un second temps seulement :

— Vous voulez vous assurer que je m'y connais en automobiles, il devine.

Peut-être que l'inspecteur n'est pas aussi déprimé qu'il ne l'aurait pensé, s'il est encore capable de petites manipulations comme il en userait dans son travail. C'est une bonne nouvelle, de son point de vue ! C'est trop bête qu'il ait fallu qu'il se fasse repérer pour l'obtenir, mais tant pis.

— Si tu vaux quoi que ce soit en tant que harceleur, tu seras calé quoi qu'il arrive, donc ça sert probablement à rien. Mais bon, avec un peu de bol, t'es stupide, confirme Patrick.

Il ne cherche même pas à cacher ses intentions. À quoi bon ?

Le sourire de Ben atteint l'autre côté de son visage ; il se sait sauvé. Et en plus, il va pouvoir passer un peu de temps à proximité de son patient. C'est super !

— Soulevez le capot !

Le couvant du coin de l'œil, l'inspecteur lui indique alors d'ouvrir la marche en tendant le bras vers l'autre côté de la rue. Il va savoir quelle voiture est la sienne, ne serait-ce que parce qu'il vient de le voir y mettre ses affaires de sport, mais qu'il n'hésite pas sera déjà une première vérification de son histoire. Une fois ce premier test passé, Patrick place son SD sur la carrosserie sans faire mine d'ouvrir le moteur, afin de voir si le jeune homme cherche ses gestes. Ce n'est cependant pas le cas, Ben sachant très exactement où appuyer et où soulever pour exposer la machinerie. L'ultime vérification réside dans ce qu'il va dire ensuite : s'il a l'air de découvrir les mécanismes du véhicule, c'est qu'il a menti ; il s'y connaît mais n'a pas un intérêt tout particulier pour ce modèle-ci. Le grand brun finit néanmoins de confirmer ses dires en s'émerveillant directement des détails qui rendent effectivement l'automobile spéciale. Avec la disparition des chaînes de production, chaque voiture est pratiquement unique, de la configuration du moteur aux choix d'alimentation en passant par le fonctionnement de l'ordinateur de bord. Il faut une oreille extrêmement affûtée et une attention toute particulière pour deviner ce qui se cache sous un capot, deux caractéristiques qui seraient surprenantes chez un cinglé.

Rassuré, Randers se détend enfin un peu et commence à échanger plus sereinement avec le jeune homme qu'il vient de rencontrer. Est-ce qu'il serait possible que ce suiveur inoffensif se soit retrouvé bien malgré lui amalgamé avec ses souvenirs flous de la fusillades ? Ça paraît abracadabrant, dit comme ça. Mais il soumettra tout de même l'hypothèse à l'experte. Au moins, si c'est le cas, il pourrait se retrouver soulagé d'un poids, sur le long terme. Alors autant explorer cette piste. C'est toujours mieux que l'inaction totale.

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