2x02 - Électrochoc (5/17) - Miroir, miroir…

Cette année scolaire, le Jeudi est le jour de la semaine le moins chargé, pour la classe de Mae, Ellen, et Nelson. En plus de terminer leur après-midi à 15h ce jour-là, ils ont également une heure de libre en milieu de matinée. Avec un peu de chance, la petite blonde du trio avait donc espéré pouvoir décaler son rendez-vous avec Strauss, ou en tous cas avoir l'occasion de l'annuler. Malheureusement pour elle, la prise de contact s'est avérée plus compliquée qu'elle ne l'avait anticipé.

En effet, pour des raisons évidentes de discrétion, elle ne peut pas communiquer avec son ancien professeur – et désormais quelque part un peu élève – par SD interposée. Ce serait trop direct. Elle avait donc misé sur la présence d'Andy dans les locaux pour transmettre le message de son empêchement, mais comme par hasard, juste quand elle a besoin de croiser l'alien décolorée, celle-ci n'est nulle part en vue !

— Allô Mae, ici la Terre ? la voix d'Ellen la tire soudain de ses considérations.

L'interpellée sursaute presque. Elle lève les yeux de ses devoirs de Français, qu'elle regardait sans les voir de toute façon, pour les braquer sur sa camarade. Comme souvent les Jeudis à cette heure-ci, Mae est installée à une table de la bibliothèque du lycée, Nelson à côté d'elle et la marginale en face. Eux deux travaillent sur leur Espagnol, et elle sur sa propre seconde langue, puisque c'est le cours qui suit ce trou dans leur emploi du temps, quel que soit l'idiome en question.

— Huh, quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu n'as pas écrit un mot depuis qu'on est arrivés ; je te demandais si tu avais besoin d'aide, Ellen reformule la question qui n'a clairement pas été entendue.

— Er… Non, ça va, je réfléchis, Mae refuse poliment.

Elle sait que l'exercice ne lui posera sans doute pas de grandes difficultés, une fois qu'elle s'y mettra pour de bon. Elle est juste distraite, toute à ses pensées.

— Je vois ça. Mais j'ai pas l'impression que ce soit à ce que tu es en train de faire, Ell' se permet alors de lui faire remarquer, perspicace.

Paniquant à l'idée de révéler ce à quoi elle songeait réellement, la blondinette annonce alors la première chose à peu près crédible qui lui passe par la tête :

— Je… Je pense à Holden, c'est tout.

Ce n'est pas entièrement un mensonge, puisqu'elle considérait son incapacité à trouver sa petite amie, ce qui signifie indubitablement qu'elle est avec lui. Depuis son retour, Andy vient le voir tous les jours, soit bien plus fréquemment qu'auparavant. Le temps libre est sans doute l'un des avantages de ne plus avoir à traquer un autre extraterrestre ayant dévié en tueur en série. Mais si seulement elle pouvait passer ce temps en public, ça aurait arrangé Mae, aujourd'hui. Elle pensait vraiment avoir une bonne chance de croiser la Protectrice, et c'est un argument supplémentaire pour être d'autant plus frustrée que ça n'ait pas été le cas.

— Holden ? relève Nels, fronçant les sourcils.

Il s'était attendu à plein de préoccupations de la part de sa camarade, mais pas celle-ci. Pas Caesar ? Ni le meilleur pote de son frère ? Ou la sœur de sa petite amie ? Ou même son propre père ? Voire le coéquipier de son oncle ? Les Quanto n'ont pas été à la fête, depuis quelques mois. Ils sont solides, et ils font de leur mieux, mais elle aurait une excuse pour être distraite par tout ce qui se passe. Et pourtant, c'est l'infirmier du lycée qui la préoccupe ?

— Oui. Je me demande si… il ferait pas confiance à Andy un peu trop vite, Mae improvise sur sa lancée, retenant de justesse une grimace insatisfaite.

Elle se trouve à la fois trop et pas assez douée à ce petit jeu de dissimulation.

— Je croyais que tu lisais pas le Paw Print…? s'étonne Ellen.

Sa surprise vient du fait qu'un nouvel article concernant le couple a été publié dans le journal du lycée, suite à la réapparition de la belle blonde. Et il exprimait des inquiétudes similaires. L'infirmier, la gentillesse et la bonté incarnées, est cher à tous les élèves. Personne n'a apprécié ou n'est seulement resté indifférent à sa période semi-dépressive en l'absence de sa dulcinée. C'était donc un bon sujet pour FYI.

— C'est le cas. Mais je les ai vus ensemble, et je trouve ça un peu rapide, l'autre adolescente défend sa capacité à en arriver aux mêmes conclusions que n'importe lequel des journalistes de Walter Payton.

Ceci dit, c'est une heureuse coïncidence que quelqu'un partage les doutes qu'elle vient d'exprimer, aussi factices soient-ils. Non pas qu'elle ne s'inquiète pas sur la relation de l'infirmier avec la jolie blonde, mais ses raisons sont différentes. Apparemment le mélange des origines planétaires ne représenterait pas un risque en lui-même – du peu que Strauss a été en mesure de lui expliquer – mais Andy reste… eh bien… Andy.

— Hm. Au risque de me répéter, on connaît pas les circonstances de leur séparation. Si ça se trouve, elle lui avait dit qu'elle partait, finalement, et il était juste triste parce qu'elle était pas là, propose Ell'.

L'absence de rupture expliquerait selon elle tout à fait une réconciliation rapide, puisque justement il n'y aurait pas eu besoin de réconciliation en premier lieu. Elle est clairement la moins expérimentée en histoires de cœur de leur petite bande, mais elle se dit qu'il n'est pas impossible de se retrouver dans un état aussi pathétique que celui de leur infirmier juste parce que l'être aimé nous manque, même si son absence était prévue. Et si ça fait d'elle une fleur bleue ou un cœur d'artichaut, elle l'accepte.

— Il était quand même vachement misérable, pour un mec qui se serait pas fait larguer, proteste le garçon du groupe.

Il tient fermement à sa propre hypothèse. Il n'est toujours pas remis de son aigreur personnelle vis-à-vis des relations amoureuses. L'idée qu'un type bien comme Holden Uglow se fasse marcher dessus par qui que ce soit ne lui plaît pas. Et il a la nette impression que c'est ce qui se passe depuis le début : la colocataire de leur ancien prof de Maths le mène un peu par le bout du nez. Il se rangerait plutôt du côté de Mae, donc. L'ennui, c'est que celle-ci retourne soudain sa veste :

— Ou peut-être qu'elle lui avait dit qu'elle partait, mais pas quand est-ce qu'elle reviendrait, elle suggère.

Malgré elle, elle vient d'établir un parallèle entre l'histoire d'Holden avec Andy, et ce qui s'est passé en ce qui la concerne, avec Strauss. Après tout, il est toujours plus facile de mentir lorsqu'on brode à partir de la vérité. Et au fond d'elle, elle a envie de parler de ce qui se passe dans sa vie avec ses meilleurs amis. C'est bien naturel. C'est un peu le même sentiment qui l'a poussée à mentionner un rendez-vous à annuler, lorsque Jena l'a invitée ce matin. Et elle commence à se dire que, avec un peu de finesse, elle pourrait peut-être arriver à en parler sans vraiment en parler. Ça lui éviterait de se faire prendre et de mettre tout le monde en danger, au moins !

— Ce serait vache, commente Ellen.

À son expression faciale, elle reconnaît néanmoins que cette théorie expliquerait en effet à la fois la réconciliation rapide ET la dépression de l'infirmier. Mais c'est presque pire de la part d'Andy que de ne pas avoir dit qu'elle partait du tout, non ?

— Je trouve aussi ! Mae se surprend à acquiescer avec ferveur.

Tout à coup, elle se demande pourquoi elle n'en veut pas elle-même à son ami extraterrestre d'être parti comme il l'a fait. Ce n'était pas réglo. Certes, il ignorait que l'inspecteur blessé était le partenaire de son oncle, mais il était au courant de la situation avec Caesar, et il est parti quand même. Il aurait pu attendre ne serait-ce qu'une journée avant de rentrer faire son rapport ou quoi que ce soit qu'il a eu à faire après avoir attrapé Kayle. Et puis, il ne lui a pas dit pour combien de temps il serait parti. Si ça se trouve, il ne le savait vraiment pas, mais il est aussi revenu sans dire exactement jusqu'à quand il comptait rester, en y repensant. Il n'a peut-être plus d'obligation vis-à-vis de sa planète d'origine, mais ça n'implique en rien qu'il compte s'éterniser dans les parages, si ? Pourquoi est-ce qu'ils n'ont pas abordé le sujet la semaine dernière ? Comment elle a pu retomber aussi rapidement dans le confort de leurs tête-à-tête sans le remettre plus en question que ça ? Qu'est-ce qu'il y a chez le mathématicien qui la rend si stupide dès qu'il est question de lui ?

— D'accord, je suis perdu : vous étiez tristes qu'il soit misérable sans elle, mais maintenant qu'elle est revenue et qu'il est heureux, vous vous inquiétez toujours ? Nelson reprend sur le sujet de l'infirmier.

Il est tout à coup frappé par l'incohérence du comportement de ses camarades. Surtout Mae. Elle a non seulement d'autres choses dont s'inquiéter, mais son avis sur la situation dont il est question paraît instable. Elle a tendance à être plus décisive, en générale. Parfois même un peu trop.

— On n'aimait pas ta copine, et on était quand même tristes que tu te fasses jeter, rétorque Ellen, sans peser ses mots, comme souvent.

— Vraiment ? Tu vas t'engager sur cette voie ? son ami lui fait remarquer son manque de tact.

Ses épaules s'affaissent sous le coup de la consternation. Degriff n'est plus exactement un sujet tabou, mais il reste assez sensible tout de même pour l'adolescent.

— C'est ce que font les amis, non ? Ils s'inquiètent de notre bien-être même quand on se rend pas compte nous-mêmes qu'on n'est peut-être pas bien, Mae paraphrase ce qu'elle pense qu'Ell' a essayé de dire par son exemple.

La vérité, c'est qu'elle se sent tout à coup incroyablement mal de cacher des choses à ses camarades. Elle a besoin de leur avis, leurs conseils. Non pas parce qu'elle pense avoir un problème, mais parce qu'elle l'a toujours quoi qu'elle fasse, de la même façon qu'elle veille sur eux quoi qu'ils fassent. Elle n'avait pas prévu de partager ses questionnement vis-à-vis de Strauss à travers d'un parallèle maladroit avec Holden et Andy. Mais que ça l'ait effleurée l'ennuie, à présent.

— Depuis quand Uglow est votre ami ? C'est juste l'infirmier du lycée, proteste Nelson.

Il ne peut évidemment pas deviner le double-sens qu'a la conversation pour la petite blonde. Ceci étant dit, Ellen non plus, et elle semble tout autant investie.

— C'est à lui qu'on a parlé après la prise d'otages, et c'est lui qui a probablement sauvé Caesar ou ne serait-ce que son bras ; c'est peut-être pas réciproque, mais je lui souhaite que du bien, Mae se justifie avec aussi peu de maladresse que possible.

Ce n'est peut-être pas parmi ses préoccupations principales comme elle tente de le faire croire, mais elle s'en soucie. Tout le lycée a cet homme en affection, de toute manière.

— Je suis à peu près sûr qu'il ne souhaite du mal à personne de son côté… concède l'adolescent.

Il n'est pas encore tout à fait convaincu par la véhémence de Mae dans son inquiétude pour le trentagénaire, mais il peut lui accorder que cet homme n'a très certainement aucun ennemi. Il n'a pas les qualifications pour la canonisation en tête, mais à vue de nez, il dirait qu'Holden coche beaucoup de cases.

— Donc ça prouve qu'on est un peu amis, quelque part ! la marginale saute sur l'occasion de retourner son argument contre Nelson.

Il s'interrompt au milieu d'un soupir, qui sort saccadé, sous le coup d'un léger agacement. Ellen ne pense décidément pas comme tout le monde, et ça en devient parfois compliqué de débattre avec elle.

— Peu importe ! On sait ce qu'Ellen en pense, mais toi, Nels, tu crois qu'il va un peu trop vite avec Andy ou pas ? tranche la blondinette, avant qu'il ait pu rabrouer le raisonnement bancal de leur camarade gantée.

Aussi mal à l'aise ça la mette, elle cherche tout de même un commentaire indirect sur ses choix concernant Strauss. Au point où elle en est, autant aller au bout de son idée, aussi maladroite soit-elle.

L'adopté laisse échapper un nouveau soupir irrégulier, d'hésitation cette fois, avant de répondre :

— Er… J'en sais trop rien. Je crois qu'il est heureux avec elle, et que ça compte pas pour des prunes. Et je crois que c'est quelqu'un qui sait prendre les bonnes décisions à propos des gens. Et même s'il s'est trompé sur elle, je pense pas que ce serait son genre de le regretter, il énumère du mieux qu'il peut.

Ses deux amies sont laissées sans voix par la sagesse de ses paroles. Autant elle espérait une réponse honnête et pertinente, autant Mae s'attendait tout de même un peu à une tirade amère comme il en est capable sur ce type de sujet, surtout depuis qu'il est revenu vers elles après avoir rompu avec Degriff. Aurait-il accordé plus de réflexion à la question qu'elles ne l'auraient pensé ? Après tout, Holden a été triste peu de temps après lui, pour une raison similaire, alors peut-être qu'il a été plus à même de compatir qu'il ne l'aurait été en d'autres circonstances.

La seule chose qui chiffonne la blondinette, maintenant, c'est qu'aussi perspicace ce commentaire soit-il, il est bien plus applicable à l'infirmier et sa compagne qu'il ne l'est à elle et son ancien prof de Maths. Elle aurait dû se douter qu'elle ne pouvait pas avoir le beurre et l'argent du beurre, et bénéficier des conseils de ses camarades sans tout leur raconter. Il va donc falloir qu'elle se débrouille toute seule sur ce coup. Mais elle l'accepte. Ses amis méritent mieux que d'être consultés de manière détournée. Si elle veut, ou en tous cas doit, leur cacher des choses, il faut qu'elle assume.

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