2x01 - Cause perdue (16/17) - Ciel

Comme souligné par Mae plus tôt dans la journée, et comme l'ont remarqué un peu tous ceux qui l'ont côtoyé récemment, Mr. Uglow, l'infirmier du lycée Walter Payton, est ces deniers temps plutôt déprimé. Il aimerait dire que c'est uniquement à cause du geste désespéré de l'un des adolescents dont il a la charge, mais il préfère être honnête avec lui-même, et admettre que ça a beaucoup plus à voir avec l'absence de la belle Andy. À vrai dire, il n'a pas de chance, car chacune de ces deux raisons pour sa morosité ne fait qu'aggraver l'autre.

Lorsque Brennen a fait irruption dans son bureau pour l'amener à Caesar, il n'a pas réfléchi, il a juste agi. Il était dans le moment, comme lorsqu'il travaillait aux urgences, pour le bien immédiat de son patient. Ce n'est que plus tard que la gravité de la situation l'avait frappé. Et sa première envie avait été d'en parler à la jolie blonde.

Sauf que voilà, elle n'était pas passée le voir ce soir-là. Ni le jour suivant. Ni celui d'après. Elle n'était même jamais revenue au lycée depuis.

D'abord, il s'était inquiété, se demandant s'il n'était pas arrivé quelque chose à la jeune femme pour qu'elle ne donne plus signe de vie de la sorte. Il aurait compris que, suite au départ de son colocataire de son poste de remplaçant, elle ait moins l'occasion de se rendre sur les lieux. Mais dans ce cas, elle aurait quand même gardé le contact avec lui, non ?

Finalement, le trentagénaire s'était rendu à l'évidence qu'elle l'avait quitté, tout simplement, sans même un au revoir. Il s'y était résigné sous le coup de la honte, en se rendant compte qu'il n'avait aucun moyen de la joindre, et qu'il n'était jamais allé chez elle, pas plus qu'elle n'était venue chez lui d'ailleurs. Ils ont fait des choses ensemble qui le font encore rougir rien que d'y songer, et elle n'est même pas dans son répertoire. Comment est-ce qu'il s'est seulement retrouvé dans une situation aussi scandaleuse ? Ce n'est vraiment pas son genre. Mais elle a bouleversé toutes ses habitudes. Et elle a fait ça avec tant de facilité qu'il n'arrive pas à comprendre que ce soit aussi difficile pour lui de revenir en arrière. C'est pourtant bien ce qui se produit. Il est distrait, maussade. Sa performance n'en pâtit pas, mais c'est tout juste.

Les mains prises par une pile de linge blanc, puisqu'il doit changer les draps d'un des lits de son arrière-salle suite à un incident survenu dans l'après-midi, l'infirmier pousse la porte de son bureau avec son dos. En temps normal, il ne resterait pas si tard au lycée, mais dernièrement, les couloirs vides lui sont presque apaisants, alors il hésite moins à rester après tout le monde ou presque.

Lorsqu'il fait volte-face, il tombe cependant en arrêt. Il manque même de laisser tomber son immaculé chargement. Ce n'est que de justesse qu'il parvient à le rééquilibrer.

— Salut, l'accueille Andy.

Elle est assise sur le bord de son bureau, en appui sur ses bras tendus à ses côtés.

Il reste un long moment interdit, à la fixer. Elle se tient précisément là où il avait enfin réussi à ne plus s'attendre à la trouver en entrant. Il avait d'ailleurs été surpris de la coriacité de cette habitude, à chaque fois que la déception l'étreignait alors qu'il franchissait le seuil.

— Qu… Quoi ? Tu… Tu… il balbutie finalement, bien qu'incapable de former une phrase cohérente.

— J'étais partie. Mais maintenant je suis de retour, elle explique la situation de manière simple, devinant que c'est ce dont il essaye de faire sens.

Il ouvre la bouche une nouvelle fois, sans qu'aucun son n'en sorte d'abord. Puis, il se ressaisit enfin suffisamment pour formuler une idée :

— Tu es partie. Sans dire au revoir. Et sans me laisser aucun moyen de te contacter. J'ai… il corrige les légers oublis dans le résumé qu'elle vient de lui donner, de taille, à son humble avis.

Il n'arrive cependant pas à finir. En partie parce qu'il est encore extrêmement interloqué de l'avoir trouvée là, et en partie parce qu'il est un peu honteux de l'état dans lequel l'absence de la jolie blonde l'a mis, et n'est donc pas particulièrement désireux de le lui décrire en détails. Il s'est retrouvé plusieurs fois sur le pas de sa porte, connaissant son adresse par le dossier de Strauss, sans oser aller frapper, ne sachant même pas si l'un de ses anciens colocataires vivait encore là. Il a aussi failli aller à la Police pour la signaler disparue, avant de se reprendre, à défaut de posséder suffisamment d'informations à son sujet pour que sa déclaration soit crédible.

— Je ne t'ai pas quitté. Je suis juste partie, Andy insiste sur une subtilité de ce qu'elle est en train de dire, comme si ça allait tout arranger.

— Et… est-ce que ça risque de se reproduire ? est tout ce qu'il trouve à lui demander en fin de compte, curieusement convaincu par ce qu'elle lui présente.

Elle a toujours eu une façon de s'exprimer particulièrement inattendue, et pourtant étonnamment claire, honnête. Si elle dit qu'elle ne l'a pas quitté, il la croit, comme s'il lui était impossible de proférer un mensonge, peu importe à quel point il avait fini par se convaincre du contraire. Et si elle ne l'a pas quitté, le problème est donc qu'elle se soit absentée. Et la solution serait qu'elle ne le fasse plus. D'où sa question, tout simplement. Dans un coin de son esprit, il sait qu'il s'en voudra sans doute plus tard de ne pas avoir été plus inquisitif sur cette annonce, mais il n'arrive pas à s'y amener dans l'immédiat.

— Pas si j'ai mon mot à dire. Et si je ne l'ai pas, je ferais de mon mieux pour au moins te prévenir. Qu'est-ce que tu en dis ? répond et propose Andy, inhabituellement diplomate.

— J'en dis que quelqu'un t'as suggéré de me dire ça, il devine, hochant la tête en appréciation de sa propre perspicacité.

Il connaît en fin de compte la jolie blonde mieux qu'il ne s'en donnait crédit il y a quelques minutes encore. Il n'a peut-être pas ses coordonnées, mais il sait comment elle est. Ça doit bien compter pour quelque chose.

— C'est le cas. Mais ça ne veut pas dire que je le pense pas, elle ne lui cache pas, d'une franchise presque brutale, comme elle l'a toujours été.

C'est Strauss qui l'a conseillée sur la bonne chose à dire. Lorsqu'il a annoncé qu'il se rendait à Walter Payton pour faire part de leur retour sur Terre à Maena, Andy s'est dit qu'elle allait en faire de même avec Uriel. Lorsqu'elle déclaré ses intentions, ses deux colocataires avaient cependant grimacé. Ils savaient qu'elle n'avait pas averti l'infirmier de son départ pour commencer, et se doutaient, contrairement à elle, usuellement beaucoup moins intéressée par les subtilités des interactions humaines, qu'il n'allait pas en être ravi. Elle déteste que ses deux cadets se piquent de lui apprendre quoi que ce soit, mais elle s'est pour une fois laissée faire, au nom du trentagénaire dont elle apprécie tant la compagnie. Elle n'a toujours cherché qu'à lui faire du bien, après tout.

Holden reste encore un moment silencieux après cet aveu. Il considère ses options. Un autre que lui choisirait sans doute de continuer à en vouloir à la jeune femme pour ce qu'elle lui a fait subir en partant comme elle l'a fait. Mais ce n'est pas dans sa nature de se mettre en colère après qui que ce soit, pour quelque raison que ce soit. Il ne lui en a voulu à aucun moment durant son absence, et il ne va pas commencer maintenant. Il s'en est pris à lui-même, pour sa naïveté, mais pas à elle, quel que soit le degré de malice qu'il y aurait pu y avoir derrière cette disparition inopinée. À défaut d'être réellement en colère, il pourrait tout de même au moins garder ses distances, ne serait-ce que pour ne pas commettre la même erreur qu'auparavant et lui faire confiance trop vite. Ça serait un bon compromis, non ? Sauf que…

— Mon Dieu, tu m'as manquée ! il laisse finalement échapper.

Après avoir déposé son linge sur la table d'examen à sa gauche, dans un curieux mélange de vitesse et de précaution, il se précipite vers la jeune femme. Elle a à peine le temps de se redresser avant qu'il n'arrive sur elle. Il passe sa main derrière sa nuque, sous ses longues mèches blondes, comme s'il l'avait fait la veille encore, et amène ses lèvres aux siennes. En une seconde, il oublie qu'elle a jamais été partie. Tout ce qui compte c'est qu'elle soit là, maintenant, dans ses bras. Son odeur, la forme de son corps, la douceur de sa peau, sa façon de bouger à chaque fois qu'il pose la main sur elle, … Il ne peut pas lui en vouloir, et il ne peut pas rester loin d'elle. C'est au-dessus de ses forces.

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