2x01 - Cause perdue (14/17) - Viens là
En fin d'après-midi, Sam est installé au bureau de Patrick. Il est occupé à transférer une petite pile d'objets divers et variés de la surface du meuble à l'intérieur de ses tiroirs. Il en ouvre parfois plusieurs avant de décider dans lequel va ce qu'il tient en main ; difficile de ne pas perturber l'ordre établi par son collègue quand sa logique n'est pas la plus limpide à deviner.
Un compartiment entier est dédié aux balles anti-stress, situé à l'opposé de celui réservé aux jouets de Sing Sing, mais c'est bien la seule décision qui ait du sens. Après ça, il y a un tiroir consacré à la nourriture, mais dans lequel se trouvent aussi bien une boîte de friandises pour chien qu'un paquet de chewing-gum. Les trophées de Patrick sont stockés avec son kit de nettoyage d'arme à feu, et ses bandages de boxe recouvrent ses écouteurs et ses menottes de rechange. Que ses gants de cuir, pour éviter de contaminer une scène de crime, soient rangés avec quelques sachets pour pièce à conviction semble cohérent, mais qu'un ours en peluche leur tienne compagnie un peu moins. La présence du nounours en elle-même est normale, chaque inspecteur en détenant un voire plusieurs afin de distraire les jeunes enfants qui se retrouveraient potentiellement au commissariat. Mais quelle idée de le mettre là !
— Hey. Qu'est-ce que tu fais ? Iz interroge doucement Sam.
Elle s'approche de lui, après l'avoir vu froncer les sourcils sous le coup de la perplexité alors qu'elle passait par là. La journée touchera bientôt à sa fin, alors elle peut bien lui accorder un peu de temps.
— Je mets mes affaires dans le bureau de Randers, explique inutilement l'inspecteur.
Elle peut bien le voir, puisque son nom figure sur certains des éléments qui n'ont pas encore été distribués. Il semblerait qu'il ait été couronné vice-champion de tir couché il y a quelques années, comme Randers a lui aussi remporté l'argent au tournoi amical inter-commissariats de boxe la suivante. L'un comme l'autre ne ramène visiblement que ses médailles d'or chez lui.
Mais ce qui intéresse la jeune femme en l'occurrence, ce sont plus les raisons de cette activité que l'activité en elle-même. Elle peut cependant admettre qu'elle a mal formulé sa question. Elle change donc de pronom interrogatif :
— Pourquoi ?
Il n'y a pas de réprimande dans son intonation. Au contraire, elle se prépare mentalement à être amusée par la réponse. Il ne cherchait sans doute pas à l'envoyer sur les roses juste avant, il est tout simplement absorbé par sa tâche, aussi triviale puisse-t-elle paraître. Et sur lui comme sur n'importe qui, la concentration peut retirer quelques filtres. Au moins il semble calme. Et elle ne voit le cadavre de la jeune Fred Insley nulle part, ce qu'elle considère comme un bon début.
— Parce que je voulais pas qu'Insley le prenne, alors je lui ai donné le mien, répond Sam, comme si ça coulait de source.
Iz retient un éclat de rire, mais uniquement parce qu'elle ne voudrait surtout pas le vexer. Si complètement infantile, cette façon de gérer la présence de la nouvelle arrivante a au moins le mérite de ne pas faire recourt à la violence. Ni au retour de la novice d'où elle est venue. On progresse.
— D'accord. J'en déduis que ça s'est moins mal passé avec elle la deuxième fois ? la profileuse préfère tout de même chercher à confirmer.
Elle n'a pas entendu de cris en provenance de cet endroit, mais elle n'a pas non plus revu leur dernière recrue dans les parages depuis que le maître-chien a accepté d'aller la confronter à nouveau en début d'après-midi. Même si ses actions sous-entendent qu'il ne tente plus de s'en débarrasser, ça ne garantit pas encore leur entente cordiale.
— Elle est rentrée chez elle pour me laisser faire ce que j'avais à faire. En un seul morceau. Pour le moment, en tous cas, explique l'oncle, cynique.
Il a peut-être trouvé un moyen de ne pas être aussi irrité par la simple présence de la jeune femme aux cheveux courts qu'il l'était initialement, mais ça ne signifie pas qu'il l'a acceptée pour autant. Elle a encore tout à prouver, et très peu de chances d'y parvenir, à son avis. Il pourrait difficilement dire que leur deuxième conversation s'est moins bien passée que la première, mais rien n'est encore gagné. Et il espère que la psycho-psychiatre se contentera de ce bilan pour aujourd'hui, parce qu'il n'a pas l'énergie pour lui en offrir un meilleur.
— Et tu as passé trois heures à transvaser tes affaires d'un bureau à l'autre ? s'étonne la jolie brune de la chronologie des évènements qu'il lui décrit.
Oui, un cessez-le-feu lui suffira pour l'heure. Elle n'a pas de place dans son agenda pour gérer une guerre de tranchées, mais des drapeaux blancs, même brandis à contre-cœur, ça devrait le faire.
— Non. J'ai aidé Fisher avec un truc, et après ça Martins a eu besoin d'un coup de main avec un suspect. Ça te dirait de rencontrer mon frère ? Sam répond puis enchaîne avec une question qui n'a strictement rien à voir.
Son interlocutrice est laissée pantoise, aussi bien par la raideur de la transition – ou plutôt son absence totale – que par la demande en elle-même.
— Qu… Alek ? Er… Oui. Pourquoi pas. Quand ? bafouille Iz, prise de court.
Elle n'a pas d'autre choix que de suivre l'abrupt changement de sujet. Après tout, elle a obtenu les informations qui l'intéressaient, dans une certaine mesure, alors le sujet de l'inspecteur Insley peut effectivement être considéré clos. Encore une fois, il aurait été appréciable qu'on lui demande son opinion, mais tant pis.
— Ce soir. Chez lui, propose Sam succinctement.
Il referme un tiroir sur le dernier objet qu'il avait à placer dans le bureau, puis lève enfin ses yeux bleus vers la brunette en jupe fendue. Comme si le brusque virage dans la conversation n'avait pas été suffisant pour la désarçonner. Il sait pertinemment l'effet qu'il a sur elle…
— Oh. Tu n'es pas un grand prévoyant, huh ? elle commente pour lui faire remarquer à quel point il s'y prend à la dernière minute.
— Nope. C'est nouveau ? il confirme sans la moindre honte.
Puisqu'il ne reste rien devant lui, il se lève de son siège et vient s'asseoir sur le bord du meuble où il travaillait juste avant, afin que son regard soit à la hauteur de celui de sa compagne, toujours debout.
— Est-ce qu'il est au courant que je viens, au moins ? Iz essaye de négocier, beaucoup moins à l'aise que lui avec les plans de la onzième heure.
Elle aime son côté spontané. Ce serait bête que ce ne soit pas le cas, puisque c'est l'une de ses caractéristiques les plus marquées. Et en règle générale, lorsqu'il la pousse hors de sa zone de confort, elle fait un effort et ne le regrette pas. En l'occurrence, cependant, elle n'est pas sûre d'être en mesure de suivre le mouvement. Elle ne sait pas si elle se sent capable de faire face à Alek alors qu'elle n'a pas su prévenir le geste de Caesar, lorsqu'elle l'a conseillé, après la prise d'otages à Walter Payton. Bien sûr, l'ironie qu'elle se sente coupable de cette façon alors qu'elle tente de convaincre Sam qu'il n'a pas à l'être dans sa situation similaire ne lui échappe pas. Mais si la logique pouvait toujours combattre les émotions, elle aurait beaucoup moins de travail devant elle.
— Je lui demande jamais son avis avant de me pointer, et ça l'a jamais dérangé, raconte Sam.
Il ne voit pas le problème. Sans doute faut-il plus blâmer la nature débonnaire de son aîné que sa propre tendance à l'improvisation.
— D'accord… déclare simplement Iz.
Elle n'accepte pas vraiment la proposition. Elle se donne en réalité du temps pour trouver une façon d'exprimer ce qui la dérange avec l'idée.
Sur le principe, elle est très heureuse qu'il veuille la présenter à sa famille. Et elle ne voudrait pas qu'il pense qu'elle n'en a pas envie. Au contraire, elle a tellement entendu parler d'eux qu'elle a l'impression de les connaître déjà, même pour ceux qu'elle n'a jamais rencontrés. Elle a donc hâte de découvrir comment ils sont réellement et pas à travers la lentille correctrice d'un oncle et frère aimant. Néanmoins…
Sam reprend la parole avant qu'elle ait pu vocaliser une quelconque objection :
— J'ai juste… J'ai passé une journée de merde. Et j'ai besoin d'une bonne nouvelle. Et Al' aussi, encore plus que moi. Toute la famille, en fait. Et toi… Toi, tu es une bonne nouvelle, il expose le raisonnement qui a subrepticement fait son bonhomme de chemin dans sa tête tout l'après-midi, sentant la réticence de la jeune femme.
— Vraiment ?
Iz fronce le nez. Elle a du mal à accepter le compliment, focalisée sur son malaise intérieur.
— Oui. Je vois pas ce qui te fait en douter, répond Sam avec un bref plissement des yeux, ne suivant décidément pas la même ligne de pensée qu'elle.
Sa relation avec elle est la seule chose qui ne va pas de travers pour lui actuellement. Leurs rythmes de vies s'entrelacent dans un ballet sans partition et pourtant sans effort et sans faux pas. L'un est toujours là quand l'autre en a besoin, sans jamais que qui que ce soit n'empiète sur l'espace personnel de l'autre. Ils commencent à se connaître suffisamment bien pour à la fois savoir et oser dire ce qu'il faut quand il le faut, ou bien justement communiquer autrement que par les mots. En vérité, l'inspecteur se demande pourquoi il ne l'a pas amenée à son frère et ses neveux avant. Mais il pensait également que le bien-être provoqué par sa présence à ses côtés était apparent pour elle, aussi bien parce qu'il ne le cache pas que parce qu'elle est particulièrement perceptive.
— Sam… J'ai conseillé Caesar, rappelle simplement Iz, baissant les yeux.
Ils en ont déjà parlé. Le soir-même où elle a appris la nouvelle. Et déjà, il n'avait pas du tout cautionné cette culpabilité de sa part. Caesar n'a rien planifié, et par conséquent personne n'aurait pu prévoir ce qui s'est passé.
— Je sais. Et ? l'oncle renvoie du tac au tac, preuve qu'il n'a même pas besoin d'y réfléchir.
— Ton frère va me demander ce que je fais dans la vie. Et je vais lui dire. Et il va faire le lien, c'est obligé, elle résume le film catastrophe qu'elle a en tête, passant une main sur son visage.
Aleksander doit savoir que le commissariat a été à l'origine de la cellule de soutien psychologique apportée à ses enfants suite à leur prise en otages. Et il doit également savoir que son organisatrice s'est occupée spécifiquement de la classe de son fils, la plus touchée de toutes. Même sans tous les diplômes qu'elle le sait détenir, il serait capable de tirer la conclusion qui s'impose. Sans compter qu'elle n'est pas toujours une excellente joueuse de poker, et en le cas présent la vérité se lira sans doute sur ses traits.
— Et comme moi, la seule chose qu'il aura à te dire sur le sujet c'est que tu as fait du très bon boulot avec tous ces mômes. On sait peut-être pas pourquoi Caes s'est ouvert le bras, mais c'est pas à cause de cette foutue prise d'otages, la rassure le maître-chien, sans le moindre doute dans son ton.
— Tu ne peux pas savoir ça ! Iz lui oppose, le toisant de son regard vert, toujours inquiète.
— Si. Parce que tu as pu rentrer dans la tête d'un serial killer. Et depuis, je t'ai vu calmer des types trois fois gros comme toi avec cinq mots et ta main sur leur épaule, alors que tu savais même pas quel était le problème à la base. Je t'ai vu pointer du doigt un assassin lors d'une séance d'identification alors que tu n'avais jamais eu le dossier entre les mains. Si Caes avait donné la moindre indication de ce qu'il allait faire, lorsque tu lui as parlé, tu l'aurais vu.
Elle pense peut-être que son opinion ne repose que sur un intuition, mais il est tout à fait capable de la soutenir par des faits concrets. Elle est douée dans son travail. Son manque de confiance en elle est un souci depuis qu'ils se connaissent, et ça a même été la raison première de leur prise de contact. Il pensait cependant qu'elle était sur la pente ascendante.
Iz ne répond pas tout de suite. Elle le considère simplement pendant un instant avec affection, touchée par cette petite tirade.
— J'aimerais avoir autant confiance en moi que tu l'as, elle lui dit finalement.
— C'est pour ça que je suis là, non ? Ou alors j'ai mal compris cette histoire de relation… Mais alors, tu viens ou pas ? il revient à sa question initiale, puisqu'il n'a toujours pas reçu de réponse définitive.
— Je suppose, oui, elle accepte enfin, convaincue un peu malgré elle.
— Viens là.
Se redressant de son appui, il l'attire à lui par la taille. Comme à chaque fois, il pose sa main gauche juste en-dessous de ses côtes flottantes droites. Il lui a déjà dit que c'était naturel pour lui, mais elle a toujours du mal à croire à cette coïncidence entre sa gestuelle instinctive et les points sensibles de son anatomie même les plus atypiques.
— Sam, on est au milieu de l'open space ! elle résiste doucement, plaçant réflexivement ses mains entre son torse et elle, surprise par son initiative.
— Et alors ? il répond, espiègle, juste avant d'amener ses lèvres aux siennes.
Des quelques duos d'inspecteurs encore présents à l'étage, certains lèvent les yeux au baiser, mais aucun n'est choqué ou mal à l'aise. La relation entre le maître-chien et la profileuse n'est à ce stade plus un secret pour personne, pas même les ressources humaines, à qui le couple a remis le formulaire nécessaire il y a un moment déjà. Alors pourquoi se plaindre d'un peu de tendresse dans ce monde de brutes ? Il n'y a pas que le clan Quanto à avoir besoin de bonnes nouvelles.
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