2x01 - Cause perdue (12/17) - Grésillements

Markus ne passe pas par la bibliothèque après son cours de l'après-midi. Il n'y a plus aussi grand intérêt, depuis que Robert ne l'y rejoint plus. Plus vraiment, en tous cas. Il se contraint à s'y rendre de temps en temps, pour conserver son environnement de travail habituel, et faire bonne figure, mais l'absence de son camarade est parfois trop difficile à supporter. Et au bout du compte, il se dit que personne n'a de raison de se soucier de son absence là-bas, et qu'il arrive tout autant à se concentrer à domicile. Pourquoi alors s'imposer un lieu dans lequel il n'est plus toujours aussi à l'aise qu'il a pu l'être par le passé ?

— J'suis rentré ! s'écrie le jeune homme en franchissant le seuil.

Il pose sa veste sur l'un des crochets de l'entrée prévus à cet effet, tandis que la porte se referme derrière lui. Aucune réponse ne lui parvient. Il n'est cependant perplexe qu'un instant, car il se souvient rapidement pourquoi annoncer sa présence n'était pas utile en le cas présent. Les Lundis à cet horaire, son père est à l'Institut psychiatrique où séjourne son petit frère, pour sa visite hebdomadaire. Et ce n'est pas qu'il a déjà pris le pli que son paternel soit à la maison en milieu d'après-midi, puisque ce dernier ne travaille au domicile familial que depuis deux mois à peine, mais comme il rentre lui-même usuellement beaucoup plus tard, tout le monde est en conséquence la plupart du temps là pour l'accueillir. Avoir la maison à lui tout seul reste rare, même en ces temps troublés pour eux tous, et il a donc encore de quoi en être dérouté lorsque ça se produit. C'est un développement récent auquel il n'est pas encore accoutumé. Et auquel il n'aspire pas particulièrement à s'habituer, d'ailleurs.

Le seul avantage de cette solitude presque inquiétante est qu'il peut au besoin échanger un peu plus librement avec son meilleur ami, notamment sans avoir peur d'être entendu par sa petite sœur. Mae n'a en effet toujours pas connaissance de la situation que Caroline et Robert partagent. Elle les croit dans un coma tout ce qu'il y a de plus standard, et par pure coïncidence. Et autant qu'elle sache, leur père a été blessé dans une explosion à son laboratoire, pas par une mise à tabac de la part de deux mercenaires un peu zélés. Même une fois DeinoGene neutralisés, ni Mark ni son paternel n'ont en effet jugé nécessaire de mettre la benjamine de la famille au courant de ce qui s'était tramé les mois précédents. Elle a déjà suffisamment à s'inquiéter pour Caesar, de toute manière. Quel bénéficie y aurait-il à la perturber avec les histoires d'une organisation clandestine aux technologies illicites, fréquentée par la petite amie de son frère par le passé ? Surtout si l'organisation en question est hors-jeu.

Renonçant à toute possibilité de compagnie pour les prochaines heures, l'étudiant en médecine gravit les escaliers pour se rendre jusqu'à sa chambre et y déposer ses affaires. Il balance son sac au pied de son lit et son SD sur son bureau, puis retire ses chaussures avant de s'asseoir dans son siège. Se frottant les yeux, il fait ensuite apparaître sur la surface intelligente les notes qu'il a prises un peu plus tôt en amphi. S'il ne regrette jamais sa décision de se former à cette profession, il doit bien admettre que la masse de travail à fournir lui paraît quelquefois presque insurmontable.

Plus tard, s'étant concentré avec moins de peine qu'il ne l'aurait cru, il est déjà repassé sur une bonne partie de ce qu'il a écrit. Par moment, il se surprend lui-même d'arriver à se relire. Il est en train d'approfondir un passage particulièrement délicat par des recherches parallèles, lorsqu'une image animée fait soudain son apparition dans un coin de son écran. L'étudiant a alors un mouvement de recul du menton, circonspect.

L'apparition d'éléments sans intervention de sa part dans son environnement de travail, curieusement, c'est l'un des rares changements récents auxquels il commence à se faire. Ce qui le surprend plus en l'occurrence, c'est que ce type de clip muet est caractéristique de Caroline. Ce n'est pas du tout le style de Rob. Or, il est assez rare que la petite sœur de Jena s'adresse à lui directement. À vrai dire, à chaque fois qu'il a été témoin de ses manifestations, elle communiquait avec son père ou Jen, et il était dans la pièce par hasard. Aussi, il a toujours eu l'impression qu'elle se souciait peu de ce qu'elle interrompait, superposant son message à ce qui est déjà affiché sur la surface sur laquelle elle veut qu'il apparaisse, en plein milieu, pas dans un coin. Tout dans ce petit chat roux et blanc acculé dans le coin d'une boîte par des canetons est donc étrange. En plus du fait qu'il s'agit d'un chaton assailli par une armée d'oisillons, bien sûr…

— Caroline ? Markus appelle sur un ton interrogateur.

Il sait qu'elle peut l'entendre, même si elle est un tout petit peu moins à l'aise que Robert avec ce mode d'échange.

Une petite brochette de cinq jeunes filles habillées en noir, avec leur index sur leurs lèvres, apparaît alors par-dessus les bébés animaux. Malheureusement, ce remplacement a pour seul effet de rendre celui qui l'observe encore plus confus. Secouant la tête et fronçant les sourcils, il se met alors à écrire dans un fichier vierge.

Je ne comprends pas, il trace en lettres appliquées, pour augmenter les chances qu'elle arrive à le lire.

Contrairement à Robert encore une fois, elle a plus de facilité à lire le cursif que l'imprimerie. Et il sait aussi qu'elle peut écrire des messages en toutes lettres. Il sait qu'elle le peut, il l'a vue faire. Ce n'est pas toujours extrêmement cohérent ni même correctement orthographié, mais elle en est capable. Parfois, il se demande si son choix des images animées pour se faire comprendre n'est pas plus un caprice adolescent qu'une réelle contrainte pour elle. Mais en les circonstances, il peut bien lui faire faire grâce d'une telle facétie.

Un chat gris en train de se faire renifler par une portée de chiots Labrador apparaît alors, puis tout un tas de personnes ensevelies sous des petites boules de poils ou de plumes d'espèces variées. Les fragments de vidéos sans son se succèdent de plus en plus rapidement, jusqu'à ce que Markus n'ait même plus le temps de distinguer ce qui y figure.

Et brusquement, le flot s'arrête, d'un coup d'un seul, aussi soudainement qu'il est apparu en premier lieu.

Caroline ? il trace, se demandant si elle est toujours là.

Ne recevant pas de réponse, Markus tente alors sa chance avec son autre ami dans la machine :

Rob ? il tape cette fois sur un clavier.

Là encore, rien ne se passe. Aucune nouvelle image n'apparaît, les lumières ne clignotent pas, rien.

— TOBIAS, est-ce que je peux avoir un rapport de présence, s'il te plaît ? il interroge ensuite l'IA qui habite la maison.

Jusqu'à récemment, elle était cantonnée au laboratoire de son père, mais ce dernier a étendu ses privilèges à l'ensemble de la maison, depuis sa prise en charge des deux consciences emprisonnées sur la Toile. Pour le moment, Mae n'a pas remarqué le changement de périmètre du programme évolutif, mais même si elle venait à poser la question, ils ne devraient pas avoir de mal à le lui justifier sans l'informer de ce qui est réellement arrivé à la sœur de Jena et à Robert. L'intérêt principal de donner à TOBIAS accès au reste de la maison est de lui faire jouer le même rôle que la diode située sur le bureau de l'ingénieur, quoique sur commande, et ainsi permettre de détecter la présence de l'une ou l'autre des deux victimes de l'anneau sur le réseau du domicile.

— RiEn À SiGnAlEr, répond la voix de synthèse.

Un petit pli inquiet se forme alors sur le front de l'étudiant. Et s'il était arrivé quelque chose à Caroline ? La façon dont la "conversation" a été coupée n'a rien de rassurant. Pour peu que ça ait seulement été la jeune fille, puisqu'elle ne l'a jamais confirmé. Mais qui d'autre est-ce que ça aurait pu être ? Rob ne lui jouerait pas un tour pareil. Et puis, jusqu'ici, il n'a pas été capable d'imiter sa compagne d'infortune. Peut-être qu'elle cherchait à joindre sa sœur et s'est rabattue sur son petit ami, à défaut. Mais elle a toujours su trouver Jena même lorsqu'elle est en voyage, autant qu'il sache. Voilà qu'il se fait du souci pour Jen, maintenant !

Secouant la tête pour en chasser ses hypothèses aussi pessimistes qu'infondées, Mark décide qu'il va mentionner ce qui s'est passé à son père lorsqu'il rentrera, et qu'ils aviseront ensemble de ce qui a pu se produire. Ça ne sert à rien de paniquer dans le vide. Les communications des deux habitants du Réseau ont toujours été un peu absconses. Peut-être qu'il interprète mal l'échange, tout simplement. Il n'y a aucune raison que quoi que ce soit se passe mal pour l'un ou l'autre. Leur état est stable et personne ne peut leur porter atteinte, pour la simple mais non moins valable raison que personne ne sait seulement qu'ils existent. Même le funeste Docteur Vurt, pour toutes ses menaces, n'est pas au courant. Et encore faudrait-il qu'il ait réussi à revenir sur le territoire ou y envoyer un agent, sans se faire remarquer par la surveillance aiguisée d'Aleksander et ses deux protégés. Non, vraiment, il ne paraît pas pertinent de s'alarmer dans l'immédiat. Surtout que Markus serait bien incapable de quoi que ce soit seul. Ça lui reste toujours autant en travers de la gorge de se sentir aussi inutile face à l'adversité, mais il s'est fait une raison. Et puis, il préfère encore que personne ne fasse appel à ses propres compétences, aussi inachevée sa formation soit-elle. S'ils devaient en arriver là, ce serait vraiment que quelque chose serait aller de travers.

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