2x01 - Cause perdue (8/17) - ;-)

À la Newberry Library, en fin de matinée, Markus est assis seul à une table tout au fond de la grande salle de lecture. C'est l'une de ces zones où la plupart des visiteurs ne s'aventurent qu'en cas de grande affluence. Ce n'est pourtant pas la foule qui étouffe les lieux aujourd'hui, seuls quelques groupes d'étude installés ici et là dans l'immense pièce. Mais l'aîné des enfants Quanto a une autre bonne raison que la surpopulation pour son choix d'emplacement : c'est tout simplement là qu'il est le plus à l'aise pour recevoir les messages de Rob, depuis que ce dernier a commencé à prendre contact.

L'isolement évite en effet les yeux indiscrets par-dessus son épaule, et donc sur les conversations parfois très insolites qui peuvent s'afficher sous ses yeux, entre lui et son meilleur ami. En effet, ne recevoir de réponses que sous forme d'émoticônes, à chaque envoi, est hautement inhabituel et pourrait interpeller. Lorsque Markus est à la maison, son ami utilise aussi des sons pour communiquer avec lui, mais ici, même si les tables étaient pourvues de haut-parleurs, en faire usage ne serait pour des raisons évidentes pas indiqué. Il y a bien des prises audio, mais l'étudiant se sentirait très suspect à potasser avec des écouteurs sur les oreilles, puisque ce n'est pas du tout dans ses habitudes. Et s'il y a bien une chose qu'il est préférable d'éviter dans toute cette histoire, c'est d'attirer l'attention.

Le risque d'être découvert est certes moins élevé aujourd'hui qu'il ne l'était du temps où DeinoGene étaient toujours en activité, mais le danger qui y est lié n'en est pas moins réel. Heureusement, une aubaine dont Mark bénéficie sur ce sujet, c'est que se mettre à l'écart ne semble pas jugé étrange par ses camarades de promotion. Une terrible infortune s'est abattue sur son partenaire de révisions, et personne ne lui reproche de ne pas chercher à le remplacer. Il a reçu juste assez de manifestations de sollicitudes pour confirmer que ceux qui partagent sa vocation sont dotés de la compassion attendue dans cette voie, mais pour le reste, il est bien content qu'on lui laisse son espace vital.

Lorsque son pote actuellement numérique manifeste sa présence pour la première fois de la journée, Markus est en train de mettre au propre les notes qu'il a prises lors de son dernier cours magistral. Un sourire étire instantanément ses lèvres. Il est toujours plus heureux de ces interventions impromptues qu'il n'en est gêné dans son travail. Ce qui est un comble, car il a souvent prié Rob de se taire lorsqu'ils révisaient ensemble en chair et en os. Circonstances atténuantes, sans aucune doute. Une série de cinq mains accompagnées de vaguelettes de mouvement apparaissent entre ses pages manuscrites :



Mettant de côté son stylet et faisant apparaître un clavier virtuel, Mark s'empresse de taper une réponse à cette salutation :

Hey, Rob.

Comme la plupart des gens, il a beaucoup plus l'habitude de l'écriture cursive, mais son camarade n'en est pas encore là dans sa compréhension de son nouveau monde. Alors, il fait un effort. La sœur de Jena, Caroline, est semble-t-il bien plus douée pour visualiser l'écran qu'elle projette que Robert, qui n'a pour le moment accès qu'à l'envers du décor, autant qu'Alek puisse en juger. Pourquoi alors lui est-il encore compliqué d'utiliser des lettres plutôt que des icônes, le mystère reste cependant entier sur ce point. Après tout, s'ils avaient tout élucidé de la situation des deux infortunés électrisés, ils pourraient certainement les en sortir.



Par ce visage féminin générique suivi d'un point d'interrogation, Markus se voit alors questionné sur l'absence de Jena.

En plus d'éventuellement venir lui proposer une pause-café en milieu de matinée, la jolie brune le rejoint typiquement à l'approche de l'heure du déjeuner. Du temps où Robert était encore parmi eux au sens matériel, elle n'avait que rarement manqué à ce rendez-vous implicite. Et le teneur de chandelle s'était déjà systématiquement enquis de ses raisons, même si elles s'avéraient toujours anodines. Il a un côté fouineur, même si rien de bien méchant.

Non, elle est pas en ville aujourd'hui, explique Mark.

L'idée que même dans ces conditions particulières son vieux pote reste fidèle à lui-même lui tire un nouveau sourire.



J'ai pas tout suivi, mais je crois que c'est plus Detroit mais Cleveland, cette semaine, répond l'étudiant à la question qu'il devine porter sur la localisation exacte de la jeune femme, si elle n'est plus à Chicago.

Il n'a pas toujours interprété les petites images avec pertinence, mais il s'est vite amélioré. Ou alors c'est Robert qui s'est adapté à son auditoire, mais puisque ce dernier interroge – sciemment ou par contrainte – sur une ville autre que Chicago en utilisant la statue de la Liberté de New York et le pont du Golden Gate de San Francisco, la logique indique que c'est le lecteur qui a assimilé la façon parfois détournée de s'exprimer, pas que la méthode de communication de son correspondant s'est affinée.

Depuis un peu plus de deux semaines maintenant, Jena a changé de travail. Derrière cette décision, il y avait un peu du fait que le bar où elle prenait du service rappelait trop l'incident de Bob, à elle comme à son petit ami, mais aussi une certaine lassitude d'être tous les jours au même endroit à faire la même chose pour les mêmes personnes ou presque. Pour une aventureuse nomade comme elle, ce n'était pas idéal. C'est ainsi qu'elle s'était retrouvée à offrir ses compétences de barista au département des transports. Sa paie est apparemment meilleure, bien que ça ne parle absolument pas à son entourage, mais surtout elle voit du pays, tant au sens littéral que figuré.

rebondit Rob, bien évidemment au courant de ce développement. 

La série de l'avion au décollage, la locomotive, puis l'avion à l'atterrissage, indique à Markus que c'est le mode de locomotion qui est remis en question, après la destination.

Train, toujours. Elle préfère, même si c'est plus long, tapote Mark, non sans une brève grimace qu'il n'arrive pas à contrôler.



Comme Rob fait visiblement allusion par cette succession d'images à son absorption redoublée dans ses études, dernièrement, il perçoit clairement sa frustration. Même de là où il est. Il est sans doute guidé à la fois par son propos et son expression, puisque toutes les bibliothèques du pays sous surveillance, étant donné la valeur historique de leur contenu papier. Curieusement, ça ne donne jamais à Markus la sensation d'être épié. Il déplore plus de ne pas bénéficier de ces indicateurs de la part de son interlocuteur qu'il n'est vexé qu'il y ait accès de manière unilatérale. Comment pourrait-il envier la position de son pote ? Il est pratiquement coupé du monde, alors il ne peut pas lui reprocher le peu d'avantages qu'il aurait sur lui.

L'étudiant soupire à l'idée que ses habitudes de travail s'intensifient en effet peu à peu, presque malgré lui. Il est vrai que ce léger revirement de carrière de la part de la brunette n'est pas tombé à pic, de son point de vue. En l'espace d'une quinzaine de jours, il s'était d'abord vu retirer son meilleur ami, puis son frère. Et voilà qu'une semaine plus tard, sa copine lui annonçait qu'elle allait devoir quitter la ville de manière régulière, et pour des durées parfois prolongées. Difficile de ne pas se sentir un peu délaissé, aussi infantile ça puisse sonner.

On a beau dire, ces communications par écrans interposés avec Rob ne remplacent pas sa présence réelle, quand bien même les deux étudiants échangeaient déjà parfois de cette façon auparavant. Quant à Caesar, les nouvelles de lui que sa psychiatre communique à son grand frère tous les Jeudis lorsqu'il passe la voir ne lui font évidemment pas oublier qu'il n'est plus à la maison, aussi discret a-t-il toujours été. Non, vraiment, avec tout ça, l'aîné Quanto se sent seul, ces derniers temps.

Il y a pas qu'elle qui me manque, envoie Markus après une courte hésitation, la gorge soudain serrée.

Il s'efforce de ne pas penser à tous ces gens éloignés de lui pour des raisons diverses. Et se plonger dans les bouquins l'aide beaucoup dans cette démarche, il ne le nie pas. Mais comme son père avec son étude des cas des deux téléversés clandestins, ou sa sœur avec les élucubrations d'Ellen, sa méthode est loin d'être infaillible. Voire, pire, lorsqu'elle cesse de fonctionner, il se dit qu'il est peut-être même encore plus déprimé qu'il ne le serait s'il ressassait tout le temps ses idées noires.

est tout ce que Robert trouve à afficher en réponse.

À la vision des deux personnages masculins main dans la main, certainement supposés les représenter eux deux, Markus ne parvient à étouffer son éclat de rire qu'in extremis. Il s'empresse alors de regarder autour de lui, pour s'assurer qu'il n'a dérangé personne. Par chance, étant donné l'heure, la plupart des visiteurs sont déjà partis déjeuner. Ce qui lui fait d'ailleurs penser qu'il devrait en faire de même.

Merci, vieux, il écrit tout simplement.

Il paraît que trente minutes de rire franc par jour font des miracles pour la santé. En l'occurrence, un simple gloussement aura suffi à remonter le moral de l'étudiant. Ça lui redonne presque plus espoir que les paroles rassurantes de Jena ce matin. Il sourit même encore alors qu'il rassemble ses affaires puis quitte le bâtiment. C'est quand même un comble que ce soit la victime qui rassure ses proches sur son sort. Une preuve sans doute, s'il en fallait une, du pouvoir de contagion de la bonne humeur du comateux. Et s'il ne perd pas espoir, comment ses proches le peuvent-ils ?

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