2x01 - Cause perdue (4/17) - Maison hantée

Assis sur son siège à roulettes dans son bureau à domicile, Alek examine attentivement plusieurs séries de relevés. De large volutes de vapeurs s'échappent doucement de la tasse de thé entre ses mains. Les graphiques qu'il observe s'étalent sur tous ses écrans, disposés en mosaïque, en fins traits verts ou bleus sur fond noir.

Dès qu'il a été complètement remis de son agression, l'armée a annoncé au professeur qu'il était le bienvenu pour revenir travailler. Il n'avait cependant pas eu beaucoup de scrupules à leur dire non. Ce sont les militaires qui l'ont mis en contact avec DeinoGene en premier lieu, et en dehors de ce qui en est ressorti, il n'a pas oublié la façon cavalière dont ils l'ont fait. Avec une simple semaine d'avance, par courrier, sans possibilité de négocier… Si le général en question avait alors avancé de bons arguments quant aux raisons que le père de famille aurait de rester malgré sa contrariété, l'équilibre de cette balance a largement changé depuis, après ce qui s'est passé avec le laboratoire de Biologie. Ils n'ont pas été capables de préserver son anonymat comme ils s'en étaient vanté. Et il semble apparent qu'à part des moyens matériaux, ils ont moins à lui apporter que l'inverse. Ainsi, voilà plusieurs semaines que l'ingénieur travaille à son propre compte, chez lui.

En d'autres circonstances, ça l'aurait sans doute extrêmement frustré de ne pas pouvoir partager ses recherches avec qui que ce soit, mais il s'avère que ses sujets d'études actuels sont bien trop sensibles pour être analysés par n'importe qui d'autre. Il avait compris le besoin de confidentialité dès que le problème lui était tombé dessus, et il en est d'autant plus convaincu aujourd'hui.

De plus, il accueille la distraction d'un problème tout particulièrement inédit à bras ouverts.

Vingt-huit jours. Voilà vingt-huit jours que son plus jeune fils n'est pas rentré à la maison. Il a le chiffre en tête parce qu'il les compte, ces jours. Peut-être qu'il ne barre pas les cases d'un calendrier d'un petit X rouge, mais c'est tout comme. Et pour ne rien arranger, il ne sait toujours pas ce qui est passé par la tête de son adolescent, ce qui ne fait qu'augmenter son inquiétude à son sujet. Le nombre de fois où sa psychiatre l'a assuré qu'il faisait des progrès importe peu.

Voilà pourquoi travailler avec Caroline et Robert est une échappatoire opportune, pour Alek. S'il ne peut rien faire pour faciliter le prompt rétablissement de son propre enfant, autant s'atteler à venir en aide à la progéniture d'autres.

Et puis bon, même en dehors des avantages qu'elle présente pour le patriarche Quanto spécifiquement, l'étude du cas des deux jeunes gens est de toute façon fascinante en elle-même. Chacun d'eux s'habitue à son nouvel environnement à son propre rythme, et développe ses propres moyens de communication. L'adolescente est par exemple toujours très friande d'images voire d'extraits de films, bien que muets, tandis que l'étudiant est plutôt axé vers les émoticônes et les courtes séquences audio. Autant dire tout de suite que l'ingénieur a dû passer pas mal de temps à rechercher les origines des clips visuels comme auditifs pour comprendre l'un de ses patients comme l'autre, mais c'est un moindre mal comparé aux découvertes qu'il a ainsi pu faire en ce qui concerne leur situation.

Pendant qu'il apprenait à la jeune fille les meilleures méthodes pour passer inaperçue sur la toile, afin qu'elle puisse venir en aide aux autorités dans l'enquête qui les a menés à DG sans risquer de se faire démasquer elle-même, il n'avait pas pu se pencher sur son mode de fonctionnement. Il fallait parer au plus pressé. Aujourd'hui, il sait en revanche par exemple qu'elle n'est plus du tout limitée aux langages qu'il avait pu observer dans les traces de ses tout premiers passages par son labo. Elle a même carrément sa propre syntaxe, qu'il peut dénicher, par bribes, en fouillant bien, lorsqu'elle ne s'applique pas à rester furtive et ne fait donc exceptionnellement pas le ménage derrière elle. Et puisqu'il a deux sujets d'études, le chercheur a également noté que chacun avait développé son propre style, en écho à leurs modes de communication bien personnels. Non pas qu'il y comprenne quoi que ce soit au-delà de simplement les identifier comme les séquelles de leur présence. Et encore, ce n'est qu'à défaut d'une autre explication. Mais c'est toujours mieux que de ne même pas être en mesure de déterminer si oui ou non ils sont dans les parages numériques.

De toute évidence, ni Caroline ni Robert n'ont conscience de la façon dont ils exploitent le support sur lequel ils évoluent à présent. De la même façon qu'un jeune enfant utilise des mots sans savoir comment ils s'écrivent encore, ils font usage de certaines procédures informatiques sans s'en rendre compte, presque instinctivement, bien qu'il n'y ait strictement rien de naturel dans leur état.

Mais s'ils sont en effet dans un environnement entièrement nouveau et impossible à comparer au précédent, ils essayent tout de même d'y ramener des éléments connus, comme le prouvent leurs choix de transmissions, tantôt visuelles tantôt sonores. Clairement, ils n'ont pas oublié qu'ils sont capables de voir et d'entendre, ils n'ont simplement plus à disposition les organes dont ils faisaient usage pour ça auparavant, et doivent se contenter de pâles imitations. Dès qu'il a compris ça, Alek a d'ailleurs installé de meilleurs capteurs dans son bureau, pour faciliter la tâche aux prisonniers de la machine.

Car oui, s'il en apprend beaucoup sur leur condition, il n'est hélas pas beaucoup plus près d'y remédier qu'au premier jour. Malgré la simplicité avec laquelle Jena avait compris le problème – "si ça a été traduit dans un sens, ça peut forcément l'être dans l'autre" –, le scientifique a bien peur que la réalité soit beaucoup plus complexe.

Ce qu'il est justement en train de comparer, ce sont les signaux d'entrée des jeunes gens dans le monde virtuel, en comparaison avec leurs signaux actuels. Et autant dire tout de suite que l'équivalence est loin d'être évidente. Il a même en fait du mal à croire qu'il mesure les mêmes indicateurs.

Aleksander prend une gorgée de thé dans sa tasse, aussi bien machinalement que pour tenter de dissimuler les plis qui se forment sur son front dans sa réflexion. En effet, une petite diode dans un coin de son plan de travail indique que l'un de ses patients au moins est en présence, et il ne voudrait pas les inquiéter outre mesure, maintenant qu'ils ont accès à un flux vidéo haute définition de la pièce. Tout le monde semble avoir confiance en lui, ce serait dommage que ce soit sa propre assurance qui leur fasse défaut.

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