1x12 - Grandes respirations (8/16) - Drapeau blanc
Assises à une table du réfectoire, côte à côte car encore trop habituées à ce que Nelson occupe la place en face d'elles pour avoir totalement éliminé cette configuration en son absence, Mae et Ellen déjeunent dans une tranquillité toute relative.
Malgré les contre-arguments avancés par la blondinette en cours de littérature plus tôt dans la journée, l'autre n'a apparemment pas tout à fait lâché sa théorie aberrante sur la nature de sa relation avec leur prof de Maths. Cherchant sans doute à soutirer des aveux de son amie de manière détournée, la marginale juge bon d'énumérer tous les autres couples a priori incongrus autour d'elles, notamment Uglow et Andy, dépareillés pour des raisons qu'il n'est plus nécessaire de répéter, mais aussi cette fille du même âge qu'elles et son petit ami qui lui est à l'université depuis plus d'un an.
Impassible à côté de l'excentrique, Maena s'efforce de l'écouter sans rien dire. Elle a atteint son quota de mensonges pour la journée. Aussi, si elle ose proférer quelque autre protestation que ce soit à l'encontre des soupçons insensés de sa camarade à bonnet, elle a un peu peur de vendre la mèche sur ce qui se passe réellement, et elle ne peut pas se le permettre.
Par miracle, elle est soudain sauvée de l'interrogatoire indirect par l'arrivée de quelqu'un qui vient s'asseoir en face d'elles à leur table :
— Nels ! Tu es là ! s'exclame Ellen, interrompant son monologue et ouvrant des yeux grands comme des soucoupes.
— Ouais, mais faut pas que ça te monte à la tête, confirme l'adolescent sans enthousiasme, qui vient effectivement de reprendre la place qu'il occupait tous les midis avant que ses deux camarades ne découvrent l'identité de sa petite copine secrète et qu'ils n'arrêtent de se parler.
— On dirait pas que tu nous as pardonnées… Mae ose relever le ton lugubre de son plus vieil ami, refusant de crier victoire trop vite en ce qui concerne son retour vers elles.
— T'es comme ma sœur, Mae. Je peux pas ne pas être ton pote, même quand j'suis vénèr après toi. Et puis, j'ai appris pour Rob et pour ton père. Ils vont bien ? Nelson explique son soudain changement de comportement, de l'indifférence totale à la reprise de contact.
La petite blonde ne se demande pas comment ces nouvelles lui sont parvenues. Robert est un ancien élève du lycée, et les accidents comme celui dont il a été victime sont toujours de notoriété publique. Le bar a même fermé pendant quelques jours, avant d'être mis hors de cause. Pour ce qui est de son père, la source de l'information est moins évidente, mais sachant que les séquelles se voient sur son visage et que Jack a été mis au courant par Caesar, autant dire que le chat était hors du sac dès le départ.
— Je t'avais dit que ça l'inciterait à nous reparler ! ne peut se retenir de s'exclamer Ellen, sous le coup de la surprise que l'idée qu'elle a émise en cours de sport la semaine dernière, et qu'elle avait pourtant elle-même admise inappropriée, n'ait finalement pas été si absurde que ça.
— Ell' ! Rob est au beau fixe, et Papa se remet doucement. C'est gentil de demander, Mae répond à la question après avoir donné un coup de pied dans le tibia de sa voisine, sous la table, et lui avoir fait les gros yeux, afin de lui faire comprendre à quel point son exclamation était malvenue.
Pour une fois, Ellen n'avait cependant pas besoin de cette punition, s'étant rendu compte toute seule de sa boulette. Elle pince les lèvres et baisse les yeux, penaude, laissant la conversation à la gravité qui lui correspond.
— D'accord. C'est cool. Enfin, c'est pas génial, mais je suis content que ce soit pas pire, rebondit le grand ado avec aussi peu de maladresse que possible.
D'une part, il n'y a jamais vraiment grand-chose à ajouter à ce genre de nouvelle pas vraiment mauvaise mais pas vraiment bonne pour autant non plus, pas de réaction standard établie. D'autre part, malgré sa décision de revenir vers elles, Nels est encore un peu mal à l'aise vis-à-vis de ses camarades. Le silence qui s'installe entre eux trois l'incite d'ailleurs rapidement à vouloir mettre les choses au clair sans plus attendre, afin d'éviter de prolonger ce malaise :
— Qu'on soit bien d'accord, j'ai pas merdé. Pas du tout. La façon dont tu m'as agressé était pas cool, il annonce à Mae d'un ton sans appel.
Ils ne se sont pas confrontés sur le sujet depuis ce fatidique week-end de la Saint Valentin, alors il est plus que temps qu'il vide son sac. Aussi, il hors de question que la petite blonde s'imagine que sa considération pour ses proches lui a fait passer l'éponge sur tout ce qui s'est passé entre eux par ailleurs. Ça a mis les choses en perspective, oui, mais ça ne change rien aux faits.
— Mouais. Au final, t'as un peu merdé quand même, non ? raisonne Ellen tout haut, incapable de la mettre en sourdine plus longtemps.
— Non ! Vous auriez dû me donner le bénéfice du doute. Vous aviez vos raisons de la détester, et j'avais mes raisons de l'apprécier. Vous auriez au moins pu m'écouter, peu importe qui avait juste au final, Nelson insiste, tenant bon, les foudroyant à présent toutes les deux de son regard verdoyant.
— Pour ce que ça vaut, je suis pas contente d'avoir eu juste. J'aurais eu du mal à admettre avoir eu tort, c'est sûr, mais j'aurais quand même préféré t'éviter ce qui s'est passé, est tout ce que Mae a le courage de lui accorder en guise d'excuses.
Ça n'a pas été une promenade de santé pour elle de voir son ami dans l'état dans lequel la découverte de la duplicité de la rouquine l'a mis. Il l'a dit, elle est comme sa sœur, et en retour il est bien évidemment comme son frère. Le voir dans la détresse lui a donc été particulièrement pénible, aussi distraite elle ait été par d'autres évènements sans rapport qui se sont déroulés au même moment – pour ne pas les citer, les accidents de son père et de Robert, et aussi et surtout la découverte des origines extraterrestres de son professeur de Mathématiques.
Ceci étant dit, c'est aussi précisément à cause de l'intensité de ce qui relie la blondinette à Nelson qu'elle a réagi comme elle l'a fait. C'est-à-dire comme une féroce harpie, elle peut volontiers le reconnaître. Comment est-ce qu'elle aurait pu le laisser commettre ce qu'elle savait être une erreur monumentale sans rien faire ? Comment est-ce qu'elle aurait pu garder son calme en le laissant lui expliquer ce qu'elle savait être un tissu de mensonges ? Elle n'est pas une sainte, et elle serait bien incapable de s'en excuser.
— Je sais, l'adolescent accepte cette seconde itération des excuses de sa meilleure amie, sans doute plus crédible si non moins sincère que la précédente, peu après la parution de l'article de FYI au sujet de Degriff.
— Ça veut dire que tu traînes à nouveau avec nous, maintenant ? juge alors bon de demander Ellen, carrément à quatre pattes dans le plat proverbial, à présent.
Et surtout, elle est de retour à son habituelle inconscience d'y être, après son éclair de lucidité un peu plus tôt.
— Ouais. À moins que la prochaine chose qui sorte de ta bouche me le fasse regretter, répond simplement Nelson, plus vraiment fâché mais profitant encore un peu d'avoir l'avantage.
En toute honnêteté, les excentricités de son amie gantée lui avaient manqué. Si sa fréquentation de la rousse à frange présentait d'autres bons côtés, on ne peut pas dire que les fous rires en aient fait partie. Sans doute parce que c'est quelque chose qu'il est impossible de feindre.
Voyant Ellen plisser les yeux, réfléchissant intensément à la formulation de ce qu'elle avait l'intention de dire juste avant qu'il ne pose cette condition, Mae lui donne un coup de coude, afin de s'assurer de son silence. Quelque chose lui souffle que ce sur quoi elle voudrait enchaîner est un sujet à éviter à tout prix.
— Ow ! Tout ce que j'allais dire, c'est que, puisque tu connais Mae depuis plus longtemps que moi, d'après toi, c'est quoi son type de mec ? est hélas au contraire incitée à parler l'adolescente, n'appréciant pas l'assaut, se massant le bras.
— Sérieux ? C'est ça, ta première question ? est atterré le jeune homme en face, qui trouve le sujet carrément déplacé alors qu'il est en train de revenir vers elles après une vilaine rupture.
— Fais-moi confiance, la version non-édulcorée de cette question était encore plus dénuée de tact, défend Mae bien malgré elle, en grimaçant.
Elle sait malheureusement pour elle très bien où la marginale veut en venir, et se cache le haut du visage d'une main. En plus d'être elle aussi stupéfiée par un tel manque de subtilité, elle se morfond d'une persévérance aussi poussée en ce qui concerne les théories les moins fondées qu'il soit. Et c'est d'autant plus agaçant en l'occurrence que cette insistance est dirigée à un secret bien réel, même si très différent de ce qu'elle soupçonne. La petite blonde ne peut espérer qu'une chose à présent, c'est qu'Ellen n'essaye pas de transmettre ses suspicions à Nelson, sinon elle ne sait pas comment elle va faire pour ne pas se faire percer à jour.
— C'est pas comme s'il y avait beaucoup de points de référence, mais je dirais les gars intéressants. Avec une histoire atypique. Plus que n'importe quel critère physique, répond contre toute attente le lycéen après un soupir résigné, récoltant de gros yeux de la part de la blondinette, entre ses doigts.
— Tu m'aides pas du tout, là ! elle lui souffle, affolée à l'idée qu'elle va devoir reprendre à zéro tous les progrès qu'elle avait faits pour faire lâcher l'affaire à Ellen.
Sa tactique était peut-être de la laisser s'épuiser toute seule, mais tout de même. Elle avait déjà tenu plusieurs heures sans alimenter sa folie. Et ce n'est pas un petit exploit, puisque la moindre expression faciale ou onomatopée indistincte peut mettre le feu aux poudres de l'imagination débordante de l'excentrique. Pourquoi Nels l'encourage-t-il ? Il sait bien comment elle peut être.
— Ouais, bah on a qu'à dire qu'on est quittes, alors, il rétorque simplement, avec un clin d'œil.
La blondinette reste bouche bée devant un tel culot, mais elle ne peut pas lui en vouloir quand il lui sourit comme ça. Il a l'air si fier de lui. Ça faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas vu comme ça, de près ou de loin. Son inquiétude oubliée, elle se rend seulement compte d'à quel point il lui a manqué et est tout bonnement submergée par une vague de soulagement qu'il soit enfin de retour auprès d'elles. De toute façon, elle n'a pas besoin de chercher à prendre sa revanche ; puisque sa réponse vient de renforcer la conviction d'Ellen que Mae cache une relation secrète avec leur prof de Maths, le grand ado va bientôt la regretter de lui-même. Comme elle a déjà établi que Mae ne répondrait pas à ses questions mais que lui si, il va prendre le dévolu de la lycéenne gantée de plein fouet. Mae se demande combien de temps elle va réussir à garder le silence avant d'avoir pitié de lui et voler à son secours.
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