1x12 - Grandes respirations (5/16) - Quadrillage

Lampes torches à la main, à l'affût, Randers et Quanto examinent l'énième entrepôt abandonné sur leur liste, Sing Sing à leurs côtés, la truffe tantôt au sol tantôt en l'air.

Une fois le principe de parcimonie appliqué, il s'était hélas avéré qu'Eugène n'avait élu domicile dans aucun laboratoire Citoyen, même à l'insu des occupants légitimes. Aucune des machines nécessaires à la synthèse du composé jaunâtre répertoriées n'a été volée, ni utilisée pour une activité qui pourrait correspondre à la synthèse de l'étrange mixture laissée par le tueur sur ses scènes de crime. Aucune banque de matériel génétique n'a subi de retrait non plus, autorisé ou non. Ainsi, il ne reste que la piste du local clandestin où le psychopathe concocterait son composé fétiche, malgré le fait qu'aucune zone géographique de prédilection n'a pu lui être déterminée. Chaque duo d'inspecteurs affecté à la traque du serial killer ratisse ainsi un cadran de la ville, dans l'espoir de tomber sur l'alambic artisanal plus ou moins par hasard, à la façon d'une battue de grande envergure.

— Je vais plus jamais déménager de toute ma vie, déclare à un moment donné Patrick, tout en abaissant son faisceau lumineux, maintenant qu'ils atteignent une zone périphérique du bâtiment, baignée par la lumière du jour.

— Quoi ? relève Sam, haussant un sourcil et imitant son geste, ne voyant pas où il veut en venir.

— J'en peux plus de visiter entrepôt après entrepôt ; c'est pire que de visiter des apparts. Et pour enfoncer le clou, on a déjà fait ça avant ! s'explique le plus jeune, exaspéré.

Seul point positif de cette chasse à l'homme un peu à l'aveuglette : certains de leurs collègues sont tombés sur d'autres criminels qu'Eugène, durant leur exploration des zones supposées désertes de la ville. Et c'est toujours ça de pris.

— Dis-toi que la dernière fois, on était seuls sur le coup, essaye de le consoler son partenaire, gardant lui aussi un souvenir pénible de leur dernière démarche similaire.

— Sur une zone réduite, proteste Pat, refusant d'admettre qu'il a connu pire que la situation actuelle.

— Qui était quand même plus grande que celle qu'on a à fouiller en ce moment, ne cède pas l'autre, plus raisonnable.

En vérité, la distinction de surface n'est pas si grande, même si elle est réelle.

— Tu sais quoi, je t'aime pas, quand t'es optimiste. Je vais reconsidérer l'influence de Jones sur toi, si tu continues, lui lance alors son équipier, à court d'arguments légitimes pour soutenir sa complainte.

— Oh, non ! Mais qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire si tu n'approuves plus de notre union ? désespère faussement l'oncle, retenant un éclat de rire et secouant la tête.

L'attaque de Randers est d'autant plus ridicule que l'attitude actuelle du maître-chien n'a strictement rien à voir avec sa relation avec la jeune femme et il le sait ; Sam prend toujours le contrepied de son partenaire, c'est systématique, ça fait partie de leur équilibre de fonctionnement.

— Tout ce que je dis, c'est que t'en as autant plein les pattes que moi, c'est même pas la peine d'essayer de me faire croire le contraire. Même ton cabot en a marre, cherche à conclure Pat, tenace dans son aigreur.

Il espérait sans doute s'en sortir avec cette prise à témoin de l'animal, mais Sing Sing revient malheureusement pour lui à point nommé vers son maître, la queue battante et la langue pendante, aussi frais qu'il l'était au premier jour de leurs recherches. Il adore être sur le terrain. C'est une bête d'action.

— Oh oui. Il a l'air d'en avoir marre, raille Sam en se retenant une nouvelle fois de franchement éclater de rire.

— Mais ouais, regarde, c'est clairement la bouille d'un chien qui est mort à l'intérieur ! insiste l'autre en désignant le Rottweiler du geste, foutu pour foutu.

Cette fois, Sam ne se retient plus de rire à la mauvaise foi de son coéquipier, tout en initiant une percée vers la dernière grande salle du bâtiment qu'ils sont en train d'explorer.

Les endroits de leur liste sont pour la plupart gigantesques mais n'ont jamais été réaffectés à défaut de besoin. Il y a déjà largement la place de loger tous les habitants et les entreprises de la ville, alors pourquoi vouloir continuer à construire ? Et tant que les vastes hangars ne sont pas excessivement laids dans le paysage, les démolir ne présente pas d'intérêt non plus. D'autant que parfois, ils s'avèrent utiles, lors du transit exceptionnel de certains chargements volumineux, par exemple.

— Tiens, tu savais que Denton a trouvé des crimes abominables à attribuer aux preneurs d'otages ? reprend Randers au bout d'un moment, sérieusement cette fois.

Il n'est pas usuellement le plus loquace des deux équipiers, mais l'ennui accumulé ces derniers jours doit exceptionnellement le pousser à remplir le silence.

— Ah ouais ? s'étonne Sam, qui n'avait pas entendu la nouvelle, à cause du peu de temps qu'ils passent au commissariat depuis une petite semaine.

— Yep. Au moins, on est fixés sur le lien à Walter Payton, confirme l'autre, un peu déçu que son intuition ait été erronée.

— C'était pas une mauvaise hypothèse. Et c'était quoi, leurs crimes contre l'humanité, alors ? Quanto tente de le distraire de ce qui n'était pas un réel échec de toute façon.

— Torture, à ce que j'ai compris. Du temps où ils étaient dans des forces spéciales, ils auraient été déployés dans des zones de combat et n'auraient pas vraiment été des gentlemen, résume son partenaire.

— La guerre est une telle connerie ! Quand tu penses qu'il y a encore près de 20% des forces armées qui sont pas dans des zones de catastrophes, en mission de secours, commente Sam, secouant la tête dans son incrédulité à la déraison humaine.

— C'est l'exacte même question pour notre job, quand t'y penses. Quelle foutue raison les gens peuvent bien encore avoir de s'entre-tuer ? tente de relativiser Patrick, sans avoir tort d'ailleurs.

L'abondance de ressources aurait selon toute logique dû supprimer tout conflit il y a bien longtemps. Et pourtant.

— Un cinglé isolé, je peux gérer ; une masse de psychopathes qui attaque toute une population pour lui imposer une idée ou squatter un territoire qu'ils pourraient partager, ça me dépasse, répond simplement l'oncle, sans désaccord, déclarant juste une limite personnelle.

— Pas faux, concède Randers, avec une moue convaincue.

Leur balayage visuel de la dernière salle terminé, et Sing Sing en ayant fait trois fois le tour sans rien rapporter de suspect non plus, ils se dirigent tous les trois vers la sortie comme un seul homme.

En chemin, chacun des inspecteurs tire machinalement un carnet électronique de la poche intérieure de sa veste, y apposant son RFSD pour pouvoir rayer l'adresse qu'ils viennent de visiter de leur liste. Lorsqu'ils la voient, ils constatent que s'ils ont déjà éliminé beaucoup d'endroits, il leur en reste encore un certain nombre à visiter tout de même, ce qui les fait grimacer de concert.

— Au fait, tu sais si Fields a trouvé où notre gars pourrait avoir été entraîné ? demande Sam, se disant que s'il a des nouvelles de Chuck, son partenaire en a peut-être aussi d'autres équipes qui ne sont pas impliquées dans le quadrillage de la ville auxquels ils sont eux-mêmes assignés.

— Bah, c'est pas un ancien gangster, déjà. Crime Organisé ont accepté d'essayer de faire parler leurs indics habituels, mais ils avaient à peine commencé qu'il y a carrément eu toute une vague de lieutenants qui se sont manifestés pour attester qu'aucun des leurs, connu ou non de nos services, n'avait pété les plombs. Et comme ils ont coopéré, on peut difficilement se dire qu'ils mentent, raconte Patrick, décidément bien renseigné.

— J'aurais bien aimé voir ça ! commente l'autre.

Il s'imagine les sous-chefs d'organisations criminelles concurrentes tous ensemble à l'accueil du commissariat, à se regarder de travers sans rien pouvoir faire puisqu'en présence d'une multitude d'officiers de Police. Et la tête de uniformes à ce spectacle a dû valoir le détour également.

— Il paraît que Fields a failli tomber dans les pommes, quand Frankie Leone Jr. s'est pointé, ajoute Randers pour l'anecdote, un sourire moqueur étirant le coin de ses lèvres.

La femme inspecteur ayant été transférée aux Homicides en provenance de la brigade de lutte contre le Crime Organisé, elle reste assez férue du milieu. Et la famille Leone est une dynastie de trafiquants d'art et d'objets précieux qui sévit de Chicago jusqu'à New York. Autrement dit, l'équivalent de rock stars dans leur domaine. De quoi impressionner même le plus expérimenté des enquêteurs du milieu.

— La question étant : pourquoi est-ce qu'Eugène s'en est pas pris à ces pourris-là ? remarque Quanto, sachant le sort qui a été réservé aux magnats de la drogue et des armes locaux, tout aussi coupables aux yeux de la Loi.

— C'est des contrebandiers. Ils répondent à une demande. Ils ne font pas physiquement du mal à qui que ce soit, même indirectement, justifie Pat avec détachement.

La compétition dans cette branche est effectivement plus commerciale que violente, les échanges entre rivaux pour ainsi dire plus civilisés. Et surtout, ils n'ont jamais aucune raison de s'en prendre à des civils. Peut-être le tueur en série respecte-t-il ce microcosme, dans sa logique viciée.

— T'as posé la question à Iz, avoue ? soupçonne immédiatement Sam, la réponse à la fois rapide et bien construite de Randers le surprenant.

— Yep, l'autre ne cherche même pas à nier qu'il n'est effectivement pas arrivé à cette conclusion tout seul.

Alors qu'ils atteignent enfin une porte de sortie, les inspecteurs consultent à nouveau leur liste, afin de décider de quel bâtiment aller explorer ensuite. Un trajet aléatoire a été jugé préférable dans cette situation précise, sachant que l'individu traqué aurait potentiellement pu avoir accès à un itinéraire préparé à l'avance, puisqu'il a a priori accès à des dossiers criminels pourtant extrêmement confidentiels.

— Tu sais quoi ? On devrait peut-être se séparer, suggère alors Randers, l'air de rien.

— Quoi ? s'offusque son partenaire.

— Relax, j'essaye pas de te larguer. Je dis juste qu'on couvrirait plus de terrain comme ça, se défend Pat devant une telle réaction.

— C'est contre les régulations, veut trancher Sam, son objection plus que personnelle.

— Tu vas me dire que si on avait été seuls chacun de notre côté la semaine dernière, on en serait morts ? objecte l'autre, plus concret.

— Clairement, non. Mais quand même, Quanto a du mal à le contredire de manière convaincante mais persiste dans son opposition.

— Ces adresses sont jamais à plus de deux pâtés de maisons les unes des autres. On sera jamais loin en cas de souci, plaide le plus jeune en faveur de son idée, sentant qu'il prend le dessus.

Le maître-chien soupire. L'argument est sensé. Et il a tendance à penser que même si l'un d'entre eux tombait nez à nez avec celui qu'ils cherchent, il ne lui ferait pas de mal. Ce serait contraire à son code, aussi tordu soit-il. Sous un certain angle, ils travaillent vers un objectif similaire, si avec des méthodes bien moins radicales.

— Très bien. Mais tu restes en contact ! capitule le plus âgé des deux inspecteurs, incapable de lutter contre ce qui vient de lui être exposé, et aussi en effet un peu las lui aussi de battre le pavé sans résultat, comme supposé plus tôt.

— Oui, Maman, raille l'autre, trop content d'avoir obtenu gain de cause, évènement exceptionnel entre eux deux, même si en partie parce qu'ils sont rarement en désaccord pour commencer.

Après avoir levé les yeux au ciel à la réplique puérile, Sam reporte son attention sur la liste qu'il a toujours entre les mains, afin de répartir les buildings qui y figurent entre lui et son coéquipier de façon à ce qu'ils ne soient effectivement jamais trop éloignés l'un de l'autre. Ça tombe bien que le stockage ait été historiquement effectué par zone, plutôt qu'éparpillé partout à travers la ville.

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