1x12 - Grandes respirations (3/16) - Life imitating art
Alors que la sonnerie qui signale la fin de la première session de cours de la journée retentit doucement dans tout le lycée, Mae et Ellen savent qu'elles n'en sont en ce qui les concerne qu'à la moitié de leur cours de littérature, qui dure deux heures. Mr. Brunswick, leur professeur, n'interrompt même pas sa lecture du passage du recueil de nouvelles qu'ils sont en train d'étudier, indifférent à la petite mélodie. Heureusement que le courant imaginaire, qui réunit science-fiction, fantastique, et fantasy, n'est pas des plus soporifiques, sans quoi le bruit aurait sûrement tiré plus d'un soupir las à la classe.
— Psst. Mae. Je peux te poser une question ? Ellen interpelle tout à coup sa camarade, profitant du fait qu'elles ont toutes les deux déjà lu le livre en question pour discuter.
— Tu peux même m'en poser une deuxième, vas-y, lui répond la blondinette en souriant, joueuse.
— Ha ha. C'est juste que je sais que tu vas pas apprécier que je te la pose. Du coup je me dis que si je fais ça maintenant, tu vas pas pouvoir crier, et ce sera forcément mieux pour moi, la marginale reste sérieuse malgré la boutade.
— Pourquoi est-ce que j'aurais envie de crier ? s'inquiète alors Mae, fronçant les sourcils.
— Il y a un truc, entre Strauss et toi ? lui demande alors son amie, la faisant enfin se retourner vers elle, ce qu'elle s'appliquait pourtant à ne pas faire jusqu'ici, afin de ne pas attirer l'attention de leur enseignant outre mesure.
— Quoi ?! elle s'offusque.
— Tu vois, t'as envie de crier, Ellen confirme sa prédiction, avec un haussement de sourcils.
— Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ? Mae réitère son étonnement un peu plus intelligiblement.
— Parce que tu agis bizarrement autour de lui, récemment, s'explique tout simplement l'adolescente gantée.
— J'agis pas bizarrement ! J'agis normalement, au contraire. J'agissais bizarrement avant, mais tu m'as coachée, tu te souviens ? la petite blonde essaye de se défendre du mieux qu'elle peut.
La triste vérité, c'est qu'elle agit bel et bien différemment autour du mathématicien. Mais elle peut difficilement lui dire que c'est parce qu'elle a découvert qu'il vient d'une autre planète et est ici pour trouver un autre extraterrestre pris de folie meurtrière. D'une part, elle a promis qu'elle ne le ferait pas, et d'autre part, même Ellen, pour toutes ses excentricités, ne la croirait pas. Elle est donc contrainte de mentir. C'est la première fois qu'elle doit le faire directement au lieu de simplement omettre des informations, et ça l'embête un peu.
— Agir bizarrement par rapport à un comportement bizarre ne veut pas forcément dire que tu agis normalement. Deux négatifs ne font pas toujours un positif, raisonne Ell', logique à sa façon.
— D'accord, donne-moi un exemple de comportement étrange, l'accusée tente alors une autre approche de sa défense.
— Tu es restée à la fin du cours pour lui poser des questions, la semaine dernière. Deux fois, lui rappelle sa camarade, montrant le chiffre des doigts.
Wow. Elle a compté. Mae ne sait pas si elle doit être inquiète ou impressionnée. Elle ne peut cependant pas nier qu'il est inhabituel de sa part de vouloir s'attarder auprès d'un prof en fin de leçon.
— J'ai pas le droit de galérer avec les dérivées ? elle propose, mentant éhontément, puisque la raison pour laquelle elle s'est éternisée après la fin des heures en question est toute autre.
Toute autre, mais pas pour autant celle que sa camarade soupçonne. Donc, en un sens, elle ne lui ment pas tant que ça. Elle la détrompe, voilà tout. Ça compte.
— Ton père est genre un génie des chiffres ; depuis quand t'as besoin d'aide en Maths ? continue de protester Ellen, étonnamment préparée pour cette conversation.
— Ce que mon père est, en ce moment, c'est convalescent. Je veux pas l'embêter, c'est tout, invente Mae plus rapidement qu'elle ne s'en serait crue capable.
Elle se sent surtout terriblement coupable d'utiliser l'état de santé de son père comme couverture. Même si en l'occurrence, ça tombe un peu à pic. Et il encoure bien pire si le secret des Homiens est divulgué par sa faute, alors le calcul est vite fait.
— À chaque fois, tu m'as dit de pas t'attendre, Ellen continue à empiler les facteurs à son sens aggravants.
— Donc, ça veut forcément dire que… Quoi ? T'étais outrée par l'article qui me dénonçait à tort, et maintenant tu me crois capable d'un truc pareil ? la blonde tombe à court d'arguments et se voit contrainte de passer à l'offensive.
Elle préfère, ceci dit. Aussi légitimes les observations de son amie soient-elles, les conclusions qu'elle en tire sont, en plus de totalement erronées, vexantes. Est-ce qu'elle pense réellement qu'elle oserait entretenir une romance secrète avec un adulte ? Surtout après avoir été aussi choquée par la simple idée lorsqu'elle a été évoquée ?
— Si tu y penses, ce serait la couverture parfaite. Maintenant que Bren a discrédité la rumeur comme une pure fabrication de Degriff, personne n'y croira plus jamais, même si elle se concrétise, Ell' continue d'exposer le raisonnement qui l'a amenée à se poser la question à l'origine de cette conversation.
Parfois, il arrive à la marginale d'oublier que de vraies personnes sont concernées par ses théories fantasques. Maena soupire. La voix de Nelson, toujours plus terre à terre, lui manque cruellement, à cet instant précis.
— Tu me donnes beaucoup trop de crédit machiavélique, là. Fais-moi confiance : j'ai plus le béguin pour Strauss, j'ai juste des questions à lui poser, c'est tout, elle offre la vérité la plus totale qu'elle puisse donner.
Ellen scrute un long moment sa camarade blonde, comme pour déterminer si elle est effectivement honnête avec elle, et semble satisfaite de ce qu'elle voit, puisqu'elle se détourne ensuite en hochant la tête. Mae retrouve alors le sourire, soulagée à la fois d'avoir dissipé les suspicions absurdes de sa camarade à son sujet mais aussi de ne pas lui avoir laissé entrevoir la vérité de ce qui se passe. Elle ne la croirait pas si elle le lui racontait, mais elle serait en revanche probablement capable de le deviner toute seule avec quelques indices en apparences anodins. Et elle préfère ne pas savoir ce qu'Andy ferait si une telle chose venait à se produire.
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