1x12 - Grandes respirations (16/16) - Au revoir
Alors qu'Alek retrouve seulement son frère dans le hall, Mae fait les cent pas à l'extérieur de l'hôpital. Elle attend l'arrivée de Markus et de son oncle, qu'elle ne sait pas être l'un comme l'autre déjà dans les locaux. Elle ne sait pas non plus ce qu'elle va leur dire lorsqu'ils arriveront, pensant encore qu'elle va devoir se charger de les informer de la situation. Si elle ne sera jamais mise devant le fait accompli, elle s'en voudra tout de même plus tard de ne pas avoir pu se suppléer à son père dans cette tâche. Aussi compliquée elle aurait été pour elle, elle a justement déjà dû annoncer ce qui s'était passé à son géniteur, alors autant garder la responsabilité de bout en bout plutôt que partager le fardeau. Mais tant pis.
Elle a juste envoyé "911 E.R.", faisant sans trop s'en rendre compte un écho funeste au "911 Walter Payton" du jour de la prise d'otage. Ça semble cruel de ne pas donner plus de détails, mais peut-on seulement expliquer des choses pareilles par texto ?
Alors qu'elle réfléchit encore à la façon dont elle va formuler les évènements, espérant trouver mieux que les bribes décousues qu'elle a transmises à son père, une ombre à côté de la sienne la fait lever les yeux du sol entre ses bottines.
Strauss se tient là, mains dans les poches de son costume, statuesque. En plongeant son regard clair dans le sien abyssal, elle fond soudain en larmes et se jette dans ses bras, sans réfléchir.
Elle oublie qu'il est son professeur, elle oublie qu'il a l'air d'avoir dix ans de plus qu'elle et aussi qu'il a en réalité à peine plus que la moitié de son âge. Elle oublie même qu'il vient d'une autre planète. Tout ce dont elle a besoin à cet instant précis, c'est de soutien. Et quels que soient son espèce, son âge, ou son apparence, Strauss est son ami, en fin de compte. Nelson et Ellen ont été contraints de la regarder quitter leur cours d'Arts Plastiques sans beaucoup d'explications, et surtout sans possibilité de l'accompagner. Mais de toute façon, avec le secret qu'elle garde avec son professeur, n'est-elle pas plus proche de lui que de ses deux collègues, en ce moment ?
Pris de court par l'impulsion de la jeune fille, Strauss referme tout de même lentement ses bras autour d'elle, sachant que c'est la seule chose à faire. Son contact n'est sans doute pas aussi rassurant que celui d'un autre être humain, cependant. S'il a sensiblement la même température corporelle, il n'a pas de rythme cardiaque, ou de respiration. Pas sans avoir été prévenu qu'on allait être en mesure de le découvrir, en tous cas. Et même si on ne met pas toujours le doigt sur ce qui nous dérange exactement, on se rend toujours compte de ce type de menus détails malgré tout.
— Désolée. Je sais pas pourquoi j'ai fait ça, finit par déclarer Mae en s'écartant, essuyant ses larmes d'un geste rapide de la main, reprenant ses esprits.
— Ton frère va s'en sortir, Maena, il lui souffle, comprenant sans peine ce qui la met dans un état pareil.
— T'en sais rien, elle répond en secouant la tête, pas méchamment, vocalisant simplement ses inquiétudes.
— Je fais confiance à Uriel, il lui retourne alors, sa conviction s'entendant dans sa voix.
Mae se demande vaguement si cette confiance lui vient par l'intermédiaire d'Andy, qui de toute évidence connaît très bien l'infirmier, ou si Strauss l'a acquise par lui-même. Si c'est la seconde hypothèse, elle se demande bien quand, puisqu'elle ne les a presque jamais vus ensemble. Peut-être lors de la cellule de soutien ? Même si ça semble un peu léger pour se faire une opinion de ses compétences de soignant. Mais après tout, c'est un extraterrestre, il perçoit peut-être des trucs que le commun des mortels ne peut même pas imaginer.
— Est-ce que tu aurais pu faire quelque chose, toi ? elle l'interroge soudain, hantée par le fait qu'il ne soit à aucun moment entré dans la pièce où se trouvait Caesar, inconscient et en sang.
Il la dévisage, comprenant qu'elle fait référence à ce qu'il a l'habitude de dissimuler. Ils ont beau avoir beaucoup échangé sur le sujet, depuis qu'elle a découvert ses origines il y a quelques semaines, il a toujours du mal à se faire à l'idée qu'elle est au courant. Pour les siens, dissimuler sa nature est primordial, lorsqu'en séjour sur cette planète. Et ce n'est pas comme s'ils en parlaient beaucoup entre eux, de la même manière que le sujet de la nature humaine n'est pas le plus fréquent parmi les Terriens.
— Je ne suis pas Ben. Et il n'aurait rien pu faire non plus s'il avait été là, il a épuisé presque toutes ses ressources pour sauver cet inspecteur, il la détrompe aussi doucement qu'il le peut.
Le mécanicien est en effet présentement en train de recharger ses batteries, presque au sens propre, dans leur jardin. Il va encore lui falloir quelques jours avant d'être en état de fonctionnement optimal, après les réparations étendues qu'il a dû effectuer sur Patrick.
— Tu as mis le mercenaire dans les vaps, pendant la prise d'otage. C'était pas rien, Mae objecte après une courte réflexion, le trouvant bien modeste.
En dehors du fameux contact qui a suffi à la mettre dans des états pas possibles, elle l'a aussi déjà vu refermer une égratignure. Mais c'est vrai que c'était sur sa propre main.
— En réalité, j'ai mis plusieurs heures à altérer la seule enzyme de défense que je connaisse, sans assurance qu'elle fonctionne comme je le voulais. J'ai eu de la chance que cet homme ne présente aucun symptôme incohérent. Crois-moi, avant d'être capable de refermer une plaie sur quelqu'un d'autre, j'aurais beaucoup de travail, il reste cependant ancré dans son humilité, conscient de ses lacunes, avec un sourire amusé à ce qu'elle s'imagine de lui, aussi rationnelles ses conclusions soient-elles étant donné les éléments dont elle dispose.
— Je te crois sur parole, elle répond presque tout bas avec un bref haussement de sourcils, mal placée pour estimer la difficulté de quoi que ce soit dont les Homiens sont capables.
— Il y aussi le fait que, même si j'avais pu faire quoi que ce soit pour les blessures de Caesar, je n'aurais rien pu faire pour le reste. Ni Ben, ni personne, d'ailleurs, poursuit Strauss, les justifications de son inaction finalement nombreuses.
— Le reste ? relève Mae, fronçant légèrement les sourcils.
— Eh bien, Caesar s'est fait ça à lui-même. Il s'est coupé le bras volontairement. Si je l'avais soigné, il aurait fallu lui effacer le souvenir de ce qu'il avait fait, et rien n'aurait alors garanti qu'il ne recommencerait pas ; il n'y a encore jamais eu aucun Homien capable d'altérer les motivations humaines. Pas sans conséquences terribles, en tous cas, expose posément le mathématicien.
— Caesar n'aurait pas essayé de se tuer, refuse de croire l'adolescente, fervente dans sa confiance en son frère.
— Je ne sais pas ce qu'il a essayé de faire. Mais une chose est sûre, personne n'était avec lui dans la pièce quand il s'est coupé, l'assure tout de même Strauss, bien que sans la contredire vraiment.
— Je veux pas entendre ça, elle déclare alors, secouant la tête dans son déni.
Elle se détourne, pour aller s'asseoir sur un banc à proximité, la tête dans mes mains. Elle est déjà suffisamment inquiète de la blessure pour ne pas en considérer les implications psychologiques pour le moment. Et puis aussi, qu'est-ce que peuvent bien être en train de fabriquer son oncle et Markus pour ne pas encore avoir reçu son message ? Ils devraient l'un comme l'autre avoir largement eu le temps d'arriver, maintenant.
— Mais… Qu'est-ce que tu fais là, au fait ? elle interroge tout à coup Strauss, relevant la tête vers lui, toujours debout près d'elle, silencieux.
Aussi appréciable sa présence lui a-t-elle été, elle serait étonnée qu'il soit venu uniquement pour la rassurer. Ce n'est pas le type de relation qu'ils entretiennent. C'est toujours elle qui vient le voir, d'habitude, avec des questions sur ses origines.
— Je suis venu dire au revoir, il répond néanmoins, rompant la coutume.
— Au revoir ? elle ne comprend pas.
— C'est ce dont je voulais te parler tout à l'heure, dans le couloir, il lui apprend.
Sans y réfléchir ou en avoir vraiment conscience, il l'attendait un peu, à ce moment-là.
— Je croyais que tu voulais juste me dire que vous aviez attrapé Kayle, elle avoue ses présomptions, pas illégitimes d'ailleurs.
— Et comme on l'a neutralisé, il est temps pour nous de rentrer, il donne les implications de ce constat.
— Chez vous ? elle s'assure, signifiant bien évidemment leur planète mère.
— Oui, il confirme en toute simplicité.
— Pour toujours ? elle ne peut pas se retenir de demander, une légère panique dans la voix et le regard.
— Pas nécessairement. Il faut juste qu'on… fasse notre rapport, si tu veux, il la rassure, avec un sourire à l'alarme qui est passée dans ses yeux l'espace d'une seconde, bien qu'il n'en comprenne pas tout à fait les raisons.
— D'accord. Et ça peut prendre combien de temps ? elle insiste pour avoir une durée précise.
— Je n'en ai aucune idée. Ça dépend de plus de paramètres que je ne peux en estimer, il admet son ignorance sans complexe.
D'après ce qu'il lui a expliqué, ce n'est en tous cas pas le trajet qui prend le plus longtemps. Mais elle a par ailleurs très peu d'informations sur la façon dont les choses se déroulent un fois là-bas, c'est vrai.
— Ça veut dire que Mrs. Hemmerson va revenir, est finalement la seule conséquence de cette nouvelle que Mae ose prononcer à haute voix.
Elle lui a déjà demandé, par le passé, si lui et/ou l'un de ses acolytes avaient fait quelque chose à l'enseignante afin de lui assurer une place dans l'établissement. Il s'était heureusement empressé de répondre que non, et que sa couverture était assurée par un Homien au gouvernement. La mathématicienne a simplement été appelée sur un autre projet le temps qu'il finisse ce qu'il avait à faire à Walter Payton. Non pas que Mae ait encore bien compris en quoi sa place dans l'établissement scolaire était un avantage dans sa recherche pour le serial killer, mais soit.
— Oui. Mais si tu te poses encore des questions sur nous, si tu as besoin de quelqu'un à qui parler, sache que Ben va rester. Il a un patient dont il voudrait assurer le suivi, Strauss devine que la détresse de la jeune fille n'est pas seulement due à la perspective du retour de sa professeure, mais à celle de son absence à lui.
Non pas qu'il soit capable d'en estimer toutes les implications pour elle. Elle ne saurait pas les lister toutes elle-même, après tout. Il est vrai qu'avoir un interlocuteur sur le sujet des aliens dont elle connaît maintenant l'existence est plutôt bienvenu, mais il est plus que ça pour elle. Ça fait de lui le seul ami avec qui elle est entièrement honnête, comme elle s'en est déjà plus ou moins fait la remarque un peu plus tôt, au moment de se jeter dans ses bras. Et il est aussi effectivement le meilleur prof de Maths qu'elle ait jamais eu, accessoirement.
— D'accord… capitule la blondinette sans élaborer ses angoisses à haute voix, baissant les yeux vers ses mains sur ses genoux pour cacher son trouble.
— Au revoir, Maena Quanto, il annonce alors, formel, attirant une dernière fois son regard marron clair au sien, abyssal.
— Au revoir… Strauss, elle s'efforce de répondre avec la même solennité, la voix serrée mais le menton haut.
Un sourire étire doucement ses lèvres, puis il se penche légèrement en avant pour la saluer, avant de s'éloigner à reculons. Elle le regarde partir, toute seule sur son banc, finalement plus triste qu'elle ne l'était lorsqu'il est apparu.
Elle reste là encore un moment après son départ, puis décide qu'elle ne va pas se laisser déprimer aussi facilement. Tout va bien se passer, sur tous les plans. Caesar va se remettre, et Robert aussi. Et Strauss reviendra sans doute un jour, peut-être même dans pas si longtemps, qui sait. Elle a retrouvé Nelson aujourd'hui, et son père n'a presque plus de séquelles de l'accident à son labo. Tout va bien se passer.
Prenant une grande inspiration pour se donner du courage, Mae se lève et retourne dans le hall de l'hôpital, où elle sait qu'elle trouvera au moins son père. Peut-être que Sam et Markus sont arrivés par une autre entrée. Et peut-être aussi qu'Ellen et Nelson vont la rejoindre après les cours. Dans tous les cas, l'espace d'attente sera le meilleur endroit pour ne pas rester seule, et c'est bien tout ce dont elle a besoin à cet instant précis, pas grand-chose d'autre.
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