1x12 - Grandes respirations (15/16) - Salle d'attente
Dans le hall du Northwestern Memorial Hospital, où se trouvent en fin de compte tous les Quanto sans le savoir, Sam fait les cent pas le long d'une rangée de sièges, sur l'un desquels est assis Chuck. Le bout de ses doigts liés, coudes sur ses genoux, le grand agent blond subit l'interrogatoire de l'inspecteur sans broncher, suivant ses allées et venues devant lui de ses yeux clairs. Ses vêtements tachés, il a posé sa veste et sa cravate sombres à côté de lui, mais même si sa chemise blanche a évité le plus gros, les traces de sang y restent particulièrement voyantes.
— Refaites-la moi encore une fois, s'il vous plaît, lui demande le maître-chien, exceptionnellement séparé de son compagnon à quatre pattes, étant donné l'endroit où il se trouve.
Les animaux n'étant pour des raisons d'hygiène préférentiellement pas admis dans les hôpitaux, il a laissé Sing Sing dans sa voiture, fenêtre bien évidemment ouverte, mais certain qu'il n'en bougera qu'en cas d'extrême urgence. Et il se dit qu'après la fusillade, il ne devrait pas avoir à faire face à une autre catastrophe aujourd'hui, donc la bête n'ira nulle part.
— Ça ne va pas vous aider, Inspecteur… Denton essaye de le raisonner, compatissant à sa situation et voulant l'aider à sortir de sa tourmente inutile.
— S'il vous plaît, insiste l'oncle, braquant ses yeux vers celui qu'il questionne, sans appel.
Chuck soutient son regard, impressionné à la fois par sa ténacité en tant qu'enquêteur mais aussi par la solidité du lien qui doit l'unir à son coéquipier pour que le fait qu'on lui ait tiré dessus le mette dans un état pareil. Il a arrêté de compter les années qu'il a passées en compagnie de Kayle, et pourtant tout ce qu'il a su lui dire à l'heure de son exécution est qu'il est désolé. Et quelques heures plus tard, il reste stoïque par rapport à sa disparition. Les humains sont décidément des créatures bien étranges.
— Votre partenaire était déjà inconscient sur le sol quand je suis entré. Le suspect était sur lui, je n'avais pas de ligne de tir dégagée ; tout ce que j'ai pu faire est négocier, expose alors l'agent avec concision, comme il a déjà été amené à le faire de nombreuses fois ces dernières heures, la plupart à cet exact interlocuteur d'ailleurs.
— Et ça s'est passé comment, ça ? Sam réitère une autre question qu'il a déjà posée.
— Il a fini par s'enfuir, sans faire plus de mal à l'Inspecteur Randers qu'il n'en avait déjà fait, mais le laissant tout de même dans un état suffisamment critique pour que je n'aie pas le loisir de le suivre, Chuck préfère en venir directement à la conclusion de la situation, pourtant fabriquée pratiquement de toute pièce, espérant accélérer l'arrivée de la fin de ses questions répétitives.
— De quoi est-ce que vous avez parlé, exactement ? Sam persiste cependant à entrer dans les détails une nouvelle fois.
— Il a essayé de m'expliquer qu'il n'avait pas l'intention de blesser Randers, que c'était un accident. Il a dit qu'il voulait simplement lui parler, lui faire comprendre pourquoi il faisait ce qu'il faisait, le grand blond retranscrit les propos tenus par Kayle, part de vérité dans le mensonge.
— Mais pourquoi lui ? Pourquoi est-ce qu'il l'a approché lui ? Parce qu'il était seul ? n'arrive toujours pas à comprendre Quanto.
Il est évident qu'il s'en veut atrocement d'avoir accepté de se séparer pour fouiller les entrepôts où pouvaient potentiellement se terrer le psychopathe. C'était une décision contraire au protocole ; il n'aurait pas dû se laisser convaincre.
— Non. Il est venu vers lui parce qu'il a été le premier à noter un motif récurrent dans ses meurtres, le corrige Chuck, espérant lui faire passer son sentiment de culpabilité qu'il comprend enfin, grâce à sa dernière hypothèse, qu'il n'avait pas encore formulée à haute voix jusqu'ici.
— Est-ce que ça veut dire qu'Iz est aussi en danger, pour avoir craqué son message ? Est-ce qu'il va essayer de contacter un autre détective pour s'expliquer ? s'inquiète alors Sam, écartant les bras au moment de faire volte-face dans ses allers retours, désemparé.
— J'en doute, répond instantanément le grand blond, avec un certain dédain, détenteur d'éléments lui permettant d'être plus sûr de cet état de fait qu'il ne peut le laisser paraître dans ses mots.
— Pourquoi pas ? C'est un cinglé, oppose l'inspecteur, n'ayant aucune raison de partager cette certitude, lui.
— Cette tentative de discussion aura très probablement été bien trop infructueuse à son goût. Souvenez-vous de sa réaction lorsqu'il a tué la jeune femme enceinte sans le vouloir, tente d'argumenter Chuck, tout en sachant secrètement que ce qui s'est passé n'aurait pas suffi à empêcher Kayle de poursuivre son action s'il n'avait pas été arrêté par Andy, Strauss, et Chad.
— Il a pris du recul et arrêté de tuer. Pendant une semaine seulement. Et ça l'a pas empêché de s'en prendre aux gens d'une autre façon, Sam revient sur ce qui s'est produit après le meurtre de Teresa Lance, n'estimant pas que ce soit particulièrement en faveur de l'opinion de celui avec qui il discute.
— Avec un peu de chance, il aura compris que l'humanité ne veut pas de son aide, tente alors l'agent, baissant la tête vers le sol entre ses mains.
C'est toujours plus difficile de mentir lorsque ça concerne quelqu'un qu'on connaît. Et il s'avère qu'il connaît Kayle mieux que quiconque. Il sait notamment pertinemment qu'il était conscient que l'humanité ne voulait pas de l'aide qu'il a pensé lui offrir. C'est même l'une des raisons pour lesquelles il a décidé d'agir en premier lieu, parmi d'autres. Et il n'a jamais perdu l'espoir de les amener à voir la lumière.
Mais Chuck ne peut pas décemment raconter tout ça à l'inspecteur en face de lui, à la fois parce qu'il ne pourrait pas justifier comment il le sait, mais aussi et surtout parce que ça ne ferait que l'inquiéter sans raison, puisqu'aussi convaincu de sa cause Kayle puisse-t-il être là où il est, il ne peut plus faire de mal à personne, désormais. Ce qu'il ne peut pas lui dire non plus. En conséquence, l'agent soutient l'inverse de la vérité, pour le même résultat net.
— On en est là ! À s'en remettre à la chance ! Merde, rage l'oncle, s'asseyant enfin à côté de son interlocuteur et prenant son visage dans ses mains.
— Vous n'avez pas à vous en vouloir, reprend alors Chuck, sachant qu'il n'a pas encore atteint son objectif de le rassurer, relevant les yeux vers lui.
— J'étais juste à côté. J'étais le plus près. J'aurais dû être là en moins d'une minute. Si seulement cette foutue porte ne s'était pas enraillée sans raison ! s'agace Sam, partageant sa frustration.
C'est quand, la dernière fois qu'une porte s'est retrouvée coincée dans une ville comme Chicago ? C'est pas comme si c'était le Groenland, à la fin ! Ici, même les buildings désaffectés sont fréquentés suffisamment régulièrement pour ne pas que les portes rouillent au point de ne plus s'ouvrir au besoin !
— Vous ne savez pas s'il y aurait eu quelque chose à faire. Peut-être qu'Eugène a tiré moins d'une minute après que Randers a passé son appel, avant que vous n'ayez eu le temps d'arriver même si cette porte ne vous avait pas barré la route. Ou peut-être que si vous aviez été là, vous seriez tous les deux sur une table de chirurgie à l'heure actuelle, voire un scénario encore plus tragique. Tout ce que vous pouvez faire maintenant, c'est être reconnaissant que votre partenaire ne soit pas plus grièvement blessé, l'autre lui explique alors calmement en quoi son insatisfaction n'a finalement pas lieu d'être.
Aucun humain n'écoute jamais la raison de prime abord, mais il faut qu'il l'ait entendu pour plus tard.
— Il l'avait… réplique simplement Sam avec un sourire désabusé, acceptant la logique de son voisin mais incapable de se calmer en moins d'une seconde.
Les émotions sont comme ça, on ne les contrôle pas, même avec toute la logique du monde. Ça aide, mais ce n'est jamais une solution. Conscient de ça malgré son imperméabilité personnelle, l'agent de la Sécurité Intérieure laisse donc le maître-chien digérer son hérissement sans rien ajouter de plus, lui ayant fourni tous les éléments nécessaires pour qu'il regagne une conscience tranquille en temps voulu.
— Sam ? interpelle soudain une voix familière, faisant tourner la tête à l'intéressé aussi bien qu'à celui à côté de lui.
— Al' ? Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonne l'inspecteur en se levant, fronçant les sourcils en confirmant visuellement l'identité de celui qu'il avait déjà reconnu par la voix comme son frère aîné.
— Er… C'est Caesar. J'ai reçu un appel du lycée, explique sommairement Alek en désignant le couloir derrière lui du pouce par-dessus son épaule, encore secoué de ce qu'un médecin vient de lui expliquer à l'instant.
— Caesar ? Qu'est-ce qui s'est passé ? s'enquiert l'oncle, croisant les bras.
— Il… Il s'est coupé, arrive seulement à formuler le père, quelque peu hébété encore.
— En quoi faisant ? ne comprend évidemment toujours pas son cadet, avec si peu d'éléments.
— Il a cassé un miroir, répond Aleksander, ne clarifiant toujours pas vraiment la situation pour celui qui l'interroge.
— Comment ? l'inspecteur décide de se montrer méthodique, n'obtenant pas les réponses qu'il voudrait de son grand frère mais voyant bien que le brusquer ne servirait à rien.
— Exprès, apparemment, l'ingénieur reste toujours aussi concis dans ses réponses.
— Qu'est-ce que tu racontes ? a désormais peur de comprendre Sam, attrapant son aîné par l'épaule afin de l'aider à se concentrer.
— Ils disent qu'il se serait entaillé le bras intentionnellement, reformule alors Alek, reprenant enfin un peu ses esprits.
— QUOI ?! Sam tombe des nues, ne s'étant pas attendu à ce tournant de la discussion.
— Attends, et toi, qu'est-ce que tu fais là ? le père ignore totalement l'outrage de l'oncle, percutant seulement qu'il était visiblement là avant lui, ce qui est impossible puisqu'il vient seulement d'envoyer Mae le contacter à l'instant, en arrivant lui-même.
— Pat s'est fait tirer dessus. Mais ça va aller. Reviens en arrière : Caesar a fait quoi ? l'inspecteur préfère rester focalisé sur l'urgence médicale dont il ignore encore la gravité.
Randers va s'en sortir comme neuf, après un peu de rééducation. Il a soit été extrêmement chanceux, soit Eugène est un excellent tireur, mais quoi qu'il en soit, la balle n'a rien atteint de majeur, d'après l'interne qui a rapidement été envoyée lui donner des nouvelles de la salle d'op. Ça ne l'empêche pas de rager qu'il ait été touché en premier lieu, mais ça lui évite de l'inquiétude supplémentaire, c'est vrai.
— Il s'est ouvert le bras avec un éclat de miroir. C'est tout ce dont je suis sûr, Aleksander étoffe une nouvelle fois son propos, portant une main à son front dans son anxiété.
— Et il se serait fait ça tout seul ? a toujours du mal à admettre Sam, une grimace dubitative sur le visage.
— Rien n'indique le contraire. Et il s'est cogné la tête en tombant dans les pommes et n'a pas regagné connaissance, donc ils n'ont pas encore pu lui poser la question, est tout ce que peut lui offrir le barbu en guise de confirmation, son geste nerveux s'accentuant.
— C'est grave ? demande alors l'oncle, revenant sur ce qu'il y a de plus important, tout en essayant d'attirer le regard marron au sien.
— Ils disent qu'aucune artère n'a été très sévèrement touchée, ce qui est une bonne chose. Il a aussi été trouvé très vite, parce qu'un élève a entendu le bruit du verre brisé, relate le père de la victime, retombant dans ses habitudes cartésiennes rassurantes.
— Où est Mae ? s'enquiert tout à coup le maître-chien, se disant qu'elle devait elle aussi être au lycée lorsque son frère a été trouvé, et regardant machinalement autour de lui pour la repérer.
— Elle est partie prendre l'air. Et prévenir Markus. Et toi, répond Alek, lui signifiant d'un mouvement de tête horizontal que sa recherche visuelle est inutile.
Voyant son frère désorienté, en détresse émotionnelle, comme lors de la prise d'otages si ce n'est plus, Sam amène à nouveau sa main sur son épaule et l'attire vers lui. Pour toutes leurs différences, les deux frangins font au moins à peu près la même taille. Ils restent un moment dans cette étreinte, dont ils avaient finalement un peu tous les deux besoins, avant de se détacher l'un de l'autre.
— Ils vont le prendre, Sam, annonce ensuite le plus âgé, se laissant tomber sur la chaise la plus proche, dans le hall d'attente où ils se tiennent toujours.
— De quoi tu parles, maintenant ? ne comprend pas l'inspecteur, s'asseyant à côté de lui.
— S'il s'est vraiment fait ça tout seul, intentionnellement, il va être mis en observation psychiatrique et il sera interdit de contact avec le monde extérieur, s'explique l'ingénieur, joignant ses mains devant lui.
— Merde. J'avais oublié ça, l'autre se rappelle effectivement de la législation en vigueur.
Mieux vaut prévenir que guérir, et il a ainsi un jour été jugé préférable de mettre en observations des personnes qui n'ont pas de problèmes plutôt que d'hésiter à garder celles qui en ont réellement. C'est valable pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à une tentative de suicide, mais aussi pour les suspicions d'abus quelle qu'en soit l'origine. C'est une façon de s'assurer qu'enfants et femmes battus aussi bien que personnes molestées ne passent jamais inaperçus, peu importe combien ils voudraient refuser l'aide qu'on leur propose. Ça cause parfois des esclandres, mais sur le long terme, c'est mieux pour tout le monde.
— J'ai juste… du mal à comprendre comment il aurait pu faire une chose pareille, murmure Alek dans un souffle.
L'image de médecins penchés au-dessus de l'avant-bras de son fils inconscient sur un lit d'hôpital est incrustée dans sa rétine, comme si celle de lui sortant de son établissement scolaire avec du sang sur le visage n'était pas suffisante.
— Hey ! Ne commence même pas ! Il y a une explication à ce qui s'est passé, et on va l'avoir. Et quoi qu'il arrive, ton petit garçon va s'en sortir, d'accord ? Sam se pose en optimiste, plaçant une troisième fois sa main sur son frère.
Son comportement lui fait subitement se souvenir qu'il était avec quelqu'un avant que son aîné ne l'interpelle, qu'il a complètement ignoré ensuite. Il tourne la tête vers là où se trouvait Chuck au moment où il l'a laissé, mais ne trouve aucune trace de lui. Sans doute quelqu'un est-il venu le chercher pour qu'il participe à la traque d'Eugène. Il n'y a bien que lui, en tant que partenaire du blessé, qui soit autorisé à rester sur le banc. Non pas qu'il compte profiter de cet avantage plus longtemps pour une autre raison que ce qui est en train de se passer avec son neveu. Qu'on le mette dans la même pièce que le serial killer pendant cinq minutes, juste pour voir…
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