1x12 - Grandes respirations (12/16) - Arrestation
En dehors d'officiers en uniformes qui ne peuvent selon le protocole pas pénétrer dans l'entrepôt sans ordre direct d'un supérieur ou sans cause probable, Chuck Denton est le premier sur les lieux de la rencontre entre Kayle et Patrick.
Tous les agents de patrouille déjà là se tournent vers lui, inquiets de ne pas recevoir de réponse de la part de Randers à la radio, mais l'agent blond décide pourtant d'entrer seul à l'intérieur du bâtiment, afin d'évaluer la situation sans mettre d'autres hommes en bleu en péril. Son ordre de tenir la position n'est pas très apprécié, mais bien évidemment obéi sans protestation ouverte.
Son arme de service à la main, le grand albinos pousse doucement la porte de l'entrepôt, enjambe le seuil, puis laisse le battant claquer lourdement derrière lui une fois qu'il s'est faufilé à l'intérieur.
Puisqu'il n'y a rien d'autre dans l'immense pièce, il repère rapidement le tueur en série, toujours à genoux aux côtés de l'inspecteur étendu par terre et inconscient.
Dans le doux frottement du métal contre le cuir, Chuck rengaine alors son pistolet dans son holster. Il ajuste ensuite machinalement le revers de sa veste, puis s'avance sans plus d'hésitation. Toisant le spectacle qui s'offre à lui d'un air soudain incommensurablement triste, il soupire.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? il demande simplement.
Les mains toujours sur la plaie par balle, les traits tirés, Kayle lève des yeux emplis de désespoir vers le nouveau venu qui le surplombe de toute sa hauteur. La flaque cramoisie sous le corps inconscient du blessé est loin d'avoir les dimensions auxquelles on aurait pu s'attendre, et il n'y est pas étranger, d'où son état de fatigue avancé.
— Je ne voulais pas. Je n'ai pas fait exprès. Il a tiré et… je n'ai pas pensé, il explique en désordre, la voix brisée.
Chuck soupire une nouvelle fois, avec toujours autant de tristesse, puis porte sa main à son badge dans la poche intérieur de sa veste, pour l'amener à hauteur de son visage :
— Ici Charlie Bravo Delta, Delta Hotel Sierra. À toutes les unités en route pour Papa November Romeo Niner, stand by. Officier à terre, suspect armé. Je répète : stand by, il communique aux troupes de plus en plus nombreuses qu'on peut entendre tout autour du bâtiment maintenant, les voix se mêlant aux sirènes.
Dès que le Central a relayé le message à qui de droit, les discussions s'intensifient au-dehors, l'excitation à l'idée d'enfin coincer Eugène remplacée par l'inquiétude à celle que l'opération dérape. Ils ont tous vu ce dont il était capable, de près ou de loin, et n'ont pas hâte que l'un des leurs en fasse les frais.
— Qu'est-ce que tu fais ? interroge Kayle, ne comprenant pas la démarche.
Il faut que les secours arrivent. S'il lâche Patrick, il mourra, et il ne peut pas laisser faire ça. Sauf que s'il ne peut pas bouger, il est par ailleurs à la merci de ses congénères, qui vont enfin pouvoir le mettre hors d'état de nuire comme ils cherchent à le faire depuis des mois. Il faut par conséquent impérativement que les secours soient là au moment où ils s'occuperont de lui ; peu importe ce qu'il advient de lui, l'inspecteur doit vivre.
— Je gagne du temps. Comme Chad l'a déjà fait en enfermant son coéquipier dans l'endroit qu'il était en train d'examiner au moment où il a reçu son appel, explique Chuck posément.
Dès que le grand blond a reçu le même appel que le reste des forces de Police de Chicago, par l'intermédiaire du Central, il n'y a pas eu une seconde à perdre. Il devait à tout prix être le premier sur la scène, afin d'éviter l'exposition de son espèce, selon les traités en vigueurs entre sa planète et celle-ci. Comme le maître-chien était le plus proche de son partenaire, Denton a demandé à son congénère encapuchonné de retarder son arrivée par tous les moyens, n'ayant de son côté pas le temps de faire un détour. L'oncle sera dans un sacré pétard lorsqu'il débarquera enfin, mais c'est bien le cadet des soucis de l'alien infiltré pour le moment.
— Je ne peux pas le sauver. Je n'ai pas les ressources, lui apprend Kayle, baissant ses yeux clairs vers son patient.
Si les Homiens pleuraient naturellement, il le ferait. À vrai dire, il pourrait le faire, mais il préfère focaliser son énergie sur la tâche bien plus importante de maintenir Patrick en vie plutôt que celle d'exprimer des émotions humaines.
— Je peux. J'ai ce qu'il faut, intervient tout à coup Ben, apparaissant comme par enchantement derrière lui.
Contacté par Chuck tout comme Chad, il est entré par une autre issue, aussi bien afin d'esquiver le plus gros des forces de Police que pour maximiser son effet de surprise sur sa cible. La présence d'un blessé lui fait cependant oublier tout besoin de furtivité, et il se jette sans attendre à genoux de l'autre côté de Patrick, pour amener ses mains au-dessus de celles de Kayle. Ce dernier le dévisage alors avec un émerveillement notable.
— Oh. Quel âge as-tu ? il lui demande, un pâle sourire étirant ses lèvres, celui de quelqu'un qui pensait tout espoir perdu et se voit détrompé.
— Jeune. Je peux prendre le relais ? le mécanicien répond succinctement, ne voulant pas s'éloigner du problème le plus pressant.
— Tu es sûr de pouvoir ? Son cœur est en lambeaux, le met en garde le tueur en série, qui n'est pas sûr qu'il le pourrait lui-même même s'il en avait les moyens.
— Je peux. J'ai voulu aider une de tes victimes depuis le moment où j'en ai vu une pour la première fois. Je suis prêt, lui promet l'autre, sûr de lui.
Le yeux bleus presque transparents de Kayle restent plantés un long instant dans ceux pratiquement noirs de Ben, sans qu'aucune parole ne soit prononcée, ni par eux, ni par Chuck qui les observe toujours.
— Fais-le, alors, finit par accorder le plus petit des presqu'albinos en présence.
Lorsqu'il retire sa main de la poitrine de Patrick, et que Ben la remplace de la sienne en pourtant une fraction de seconde à peine, un flot de sang a tout de même le temps de jaillir de la blessure. L'épais liquide rouge trempe les jeans du plus jeune soigneur comme il a déjà en partie détrempé ceux de son aîné, mais il n'y prête aucune attention, trop concentré sur sa tâche. Fermant les yeux, il s'applique à réparer les dégâts au lieu de simplement les limiter comme son congénère était précédemment contraint de faire seulement, faute de réserves organiques. Il est hélas plus orienté destruction que reconstruction, ces jours-ci.
Sans se relever de sa position à genoux, Kayle bascule légèrement en arrière, soulagé d'un poids. Un sourire à la fois triste et toujours aussi émerveillé aux lèvres, il regarde son cadet s'escrimer pour réparer sa terrible erreur, avec un talent qu'il n'a visiblement pas vu depuis très longtemps, voire peut-être jamais.
Avant même qu'il ait seulement songé à se relever, une main vient se poser sur son épaule, et il ferme les yeux.
Andy est apparue derrière lui, tout aussi furtivement que Ben juste avant elle, quoique d'une autre direction encore. Et Strauss surgit bientôt à son tour, en provenance du dernier point cardinal d'où personne n'était encore venu. Les trois colocataires ont soigné leur entrée, se faisant les plus discrets possibles, ne voulant surtout pas rater cette occasion d'accomplir la mission pour laquelle ils ont été envoyés sur cette planète. Et en étant honnête, si Ben ne s'était pas trahi pour venir en aide à Randers, Kayle ne les aurait jamais vus venir, donc ils peuvent être fiers de leur coup.
— Donc, c'est vous qu'Home a chargés de m'intercepter. Ravi de vous rencontrer en personne, il accueille les nouveaux venus avec un éclat de rire triste, résigné au sort qu'il les sait lui réserver.
Il n'avait évidemment pas manqué de remarquer que ses deux anciens équipiers n'étaient plus les seuls à ses trousses. C'est d'ailleurs la présence des jeunes Homiens qui l'a fait s'arrêter à Chicago. S'ils ont eu du mal à l'y traquer, ils auront au moins eu le mérite de réussir à l'y contenir, ce qui était déjà un bon début, il faut le reconnaître.
— Je suis Strauss. Voici Andy. Et Ben, le diplomate du trio se charge de faire les présentations, désignant qui de droit du geste lorsqu'il les introduit.
Puis, il met genou à terre à côté du dissident et vient à son tour poser sa main sur son épaule. Andy est toujours debout, dans son dos, mais le mathématicien estime que se mettre à sa hauteur est la moindre des choses, puisqu'il lui fait face, lui.
Le blond ne cherche pas à fuir. Il est trop tard maintenant. Même si à deux ils ne pourraient pas l'arrêter à proprement parler, ils seraient néanmoins largement en mesure de suffisamment réduire ses capacités pour qu'un troisième Homien se joigne à eux et qu'ils finissent le travail. Surtout dans son état de faiblesse actuelle. La résistance est donc futile, à ce stade. D'autant plus qu'il n'a aucunement l'intention de faire de mal à qui que ce soit de même origine que lui. (Il n'y a qu'à voir ce qu'il a fait à ceux qui ont osé lever la main sur Strauss, qu'il vient pourtant de rencontrer pour la première fois à l'instant.) Non, Kayle comprend très bien pourquoi ils font ce qu'ils font. De la même façon qu'eux savent sans doute pourquoi il a fait ce qu'il a fait. Il a juste perdu la partie, pas besoin d'être mauvais joueur.
— Bonjour, Chad. Je crois que tu vas devoir participer. Mon nouvel ami Ben est un peu occupé, à l'heure actuelle, il accueille ensuite le dernier de ses congénères à avoir participé à sa traque, jusqu'ici caché dans un coin d'ombre, et que l'interpellation pousse à avancer dans la lumière.
Les mains dans les poches de sa veste de sport, sans casquette pour une fois, et sa capuche rabattue sur ses épaules, le dernier arrivé contourne l'attroupement autour de l'inspecteur inconscient pour venir se placer près de Chuck, toujours debout à l'écart. Ils échangent un regard, sans un mot, puis Chad fait volte-face et indique à Kayle de se relever, d'un simple geste du menton. Il n'est pas indifférent, il semble au contraire très appliqué à ne pas ouvrir la bouche.
Avec un sourire mi amusé mi blessé à la façon dont son ancien ami se contraint à garder le silence, le prisonnier obéit pourtant sans émettre de commentaire à haute voix. Andy et Strauss l'accompagnent dans son mouvement, tout en prenant garde à ne pas rompre le contact. Les trois se déplacent ensuite ensemble un peu à l'écart de Patrick et celui qui le soigne encore, après quoi Chad vient solennellement poser sa main sur le sternum du condamné, toujours sans rien dire. Il a néanmoins l'obligeance d'enfin amener ses yeux aux siens.
— Je suis désolé, K, est la dernière chose qu'il entend, de la part de Chuck, avant de simplement disparaître, sous l'incompréhensible action combinée des trois individus autour de lui, dans un nuage de poussière et une grande flamme bleutée.
Andy et Strauss chancellent, lui encore plus qu'elle, tandis que Chad se contente de serrer les dents, de toute évidence plus âgé et plus résistant qu'eux. Il aimerait que ce soit la première fois qu'il assiste ou même participe à une exécution, mais ce n'est pas le cas. C'est la première fois qu'elle concerne un ancien équipier, cependant. Chuck, Kayle, et lui étaient un trio, il n'y a pas si longtemps, à l'instar de Strauss, Ben, et Andy actuellement.
— Tu as fini, gamin ? l'usuel encapuchonné interpelle Ben, rompant enfin le mutisme qu'il s'était imposé depuis son arrivée sur les lieux.
Justement, le soigneur retire sa main de Randers et rouvre les yeux. La plaie par balle auparavant béante sur la poitrine de l'inspecteur a disparu, ainsi que le trou correspondant dans ses vêtements. Il a toujours pas mal de sang sur lui, mais le mécanicien s'attelle déjà à remédier à cette incohérence.
— Quel souvenir on lui donne ? il demande à la ronde, sans s'interrompre dans son activité de nettoyage.
— Blesse-le encore, lui répond alors l'alien blond sous couverture au sein du gouvernement, tirant à tous ses compagnons une expression choquée à un différent degré.
Si tous ont bien entendu, certains sont simplement surpris de la décision tandis que d'autres y sont carrément réfractaires.
— Quoi ?! s'offusque Ben, déconcerté, s'immobilisant.
— Blesse-le un peu plus haut, où ce sera à peu près crédible pour lui de s'être fait toucher mais pas trop grave. J'ai déjà informé le Central qu'il était à terre, et il n'y a plus rien que je puisse faire à partir de maintenant qui va empêcher la quasi-totalité de la Police de Chicago d'entrer en force par cette porte dans les soixante prochaines secondes ; et je n'ai pas besoin de vous expliquer pourquoi vous ne pouvez pas être là quand ça arrivera. On n'a pas le temps d'altérer sa mémoire, je suis désolé. Faites ce que je vous dis, et partez d'ici. Je m'occupe du reste, Chuck élabore son plan, avec une froideur stratégique.
Si quelqu'un dans l'assemblée soupçonne qu'il est peut-être plus affecté par la mise à mort qui vient d'avoir lieu qu'il n'y paraît, personne n'émet de commentaire à ce sujet.
Ben ouvre la bouche pour protester aux ordres, mais Andy ne lui en laisse pas le temps. Prenant les devants sur les états d'âmes de son colocataire, elle vient à son tour s'agenouiller à côté de l'inspecteur et placer sa main sur lui. Elle laisse cependant en ce qui la concerne plus de dommages qu'elle n'en a trouvés, sous le regard horrifié de celui qui vient justement de réparer cette zone.
Alors que Patrick se remet à saigner abondamment, la blonde entraîne le mécano toujours épouvanté par le bras, malgré sa résistance, comme s'il ne faisait pas dix centimètres de plus qu'elle et deux fois son poids. Strauss et Chad leur emboîtent le pas vers l'une des sorties de derrière de l'entrepôt, sans rien ajouter, le plus âgé rabattant sa capuche sur sa tête et attrapant l'autre par l'épaule, toujours pas remis de l'exécution à laquelle il a en fin de compte été le plus jeune à prendre part.
Pendant que ses quatre complices disparaissent dans la nature, Chuck ressort son arme de son étui et tire trois fois dans le mur après eux. Il n'a pas besoin d'appeler le Central pour que les renforts fassent immédiatement irruption dans l'entrepôt après ça, alertés par les coups de feu.
Les hommes en bleu le trouvent au chevet de Randers, à appliquer une pression tout ce qu'il y a de plus humaine sur sa blessure, du sang plein la chemise et les mains. Ils se déploient instantanément dans le bâtiment, mais évidemment n'y trouvent rien ni personne, leur suspect littéralement atomisé quelques instants plus tôt, bien qu'ils n'aient aucun moyen de ne serait-ce que s'en douter.
Sam, qui a de toute évidence fini par réussir à sortir de là où l'avait subrepticement enfermé Chad, se fige en voyant son coéquipier allongé dans une mare de sang. Son regard bleu croise celui encore plus clair de l'agent de la Sécurité Intérieure, alors que des secouristes le contournent pour aller s'occuper du blessé. En cet instant, Chuck sait qu'il va devoir être plus convainquant qu'il ne l'a jamais été pour vendre son histoire. Et bien qu'il soit doué pour ça, il déteste avoir à convaincre des gens bien d'un mensonge, quelle qu'en soit la raison.
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