1x12 - Grandes respirations (13/16) - Macabre

Rattachant sa queue de cheval blonde dans une combinaison de gestes huilée par l'habitude, Maena s'apprête à retourner à son cours d'Arts Plastiques, que l'appel de la nature ne l'aura fait quitter que pour quelques minutes. C'est alors qu'elle s'étonne de croiser Strauss sur son chemin, adossé à un mur, les mains dans les poches de son costume, tête baissée vers le sol, songeur.

Le mathématicien est revenu à Walter Payton après l'intervention auprès de Kayle aussi vite qu'il en est parti après avoir reçu l'appel de Chuck, à la fin du cours de la classe de la petite blonde, justement, en début d'après-midi. Que sa mission primaire soit terminée ou non, le grand brun ténébreux a encore une couverture à maintenir, jusqu'à nouvel ordre. Il reste néanmoins secoué par ce qui s'est déroulé dans l'entrepôt désaffecté. Une chance qu'il dispose d'une heure vacante avant son dernier cours de la journée, sans quoi il n'aurait pas ce petit temps d'assimilation bienvenu avant de devoir reprendre sa mascarade.

— Maena. Qu'est-ce que tu fais ici ? il demande, levant la tête vers l'adolescente à son approche.

Elle sourit, s'étant cru discrète. Elle se demande parfois comment il sait toujours que c'est elle. Est-ce le bruit de ses pas ? Les battements de son cœur ? Son odeur ?

En vérité, il ne saurait pas lui expliquer lui-même. C'est forcément lié à ce malencontreux contact entre eux lorsqu'il l'a rattrapée dans sa chute, dans un autre couloir que celui-ci, mais au-delà de ça, le mystère reste entier pour lui aussi.

— J'avais besoin de faire pipi. Je suppose que vous n'avez jamais ce problème, huh ? Mae justifie sa présence dans les couloirs en plein milieu d'une heure de cours.

— Non. Mais ça tombe bien que tu sois là, il y a quelque chose dont je devrais te parler, il rebondit habilement sur la boutade.

— Est-ce que c'est la fabuleuse convention sur les OVNIs à laquelle tu t'es précipité après le cours de tout à l'heure ? Je crois que j'ai jamais vu quelqu'un courir aussi vite, elle continue pour sa part de plaisanter, n'ayant pas manqué le départ en flèche de son professeur, moins d'une heure plus tôt.

— C'est le cas. Mais je ne suis pas allé à une convention, Strauss la corrige là où elle se trompe.

— Je sais. C'était une blague… Mae saisit alors seulement la gravité de la conversation.

Il n'est pas toujours à l'aise avec l'humour, surtout le sien, qui laisse souvent à désirer (curieusement d'autant plus lorsqu'il est dans les parages), mais il aurait quand même dû saisir que qu'elle n'était pas sérieuse, en l'occurrence.

— On a attrapé Kayle, il annonce alors simplement, se remettant lui-même encore difficilement de l'évènement.

Le blond cuivré était là une seconde et pas la suivante. Et il a participé à ce résultat. Kayle essayait de faire ce qu'il pensait être bien, et maintenant il n'est tout bonnement plus là. La mort n'est déjà pas un concept facile à appréhender pour les Homiens, comme en avait déjà témoigné Ben, et le jeune âge n'est jamais un atout non plus lorsqu'il est question d'une idée aussi floue.

— Quoi ? Comment ? s'intéresse immédiatement la lycéenne, qui ne pensait pas que ça se passerait aussi rapidement.

Strauss n'a pas dû passer plus d'une demi-heure loin de l'établissement. Elle ne sait pas à quoi elle s'attendait, mais elle aurait pensé qu'après un jeu du chat et de la souris de plusieurs mois, la confrontation finale prendrait au moins une nuit entière.

— Il a tenté de discuter avec un inspecteur, qui a appelé des renforts, explique succinctement le grand brun, lui laissant comprendre que le problème n'était pas tant de le neutraliser mais de le localiser.

— Et vous avez… intercepté l'appel ? elle essaye de déduire, serrant ses bras autour d'elle, frissonnant à l'idée que son oncle ou un de ses collègues ait été mêlé à cette histoire sans savoir à quoi il avait affaire.

— Non, on l'a reçu. On avait quelqu'un dans les forces de l'ordre. Et on a simplement fait en sorte d'être plus rapides que les renforts, corrige une nouvelle fois Strauss.

— Est-ce que l'inspecteur a été blessé ? s'enquiert immédiatement Mae, concernée.

— Oui. Mais tout va bien se passer pour lui, ne t'inquiète pas, il la rassure, un sourire étirant ses lèvres à son altruisme envers quelqu'un qui, autant qu'elle le sache, pourrait être un parfait inconnu.

Elle n'a pas l'occasion d'enchaîner sur une autre question qu'un appel à l'aide retentit soudain au bout du couloir où ils se trouvent. L'adolescente comme son interlocuteur se tournent vers l'origine du cri d'alarme, puis s'élancent une fraction de seconde plus tard à sa rencontre. Ce n'est pas comme s'il y avait beaucoup de monde alentour pour avoir entendu le hurlement à part eux, de toute manière, donc ils n'ont pas trop le choix de faire la sourde oreille.

Ils atteignent bientôt les toilettes des hommes, d'où est clairement provenu l'appel, mais à peine a-t-il poussé la porte que Strauss fait volte-face, barrant le passage à son élève juste derrière lui. Il l'attrape par les épaules, attirant son regard au sien :

— Maena, va chercher Uriel, il lui commande ensuite, péremptoire.

— Qui est Uriel ? elle ne comprend malheureusement pas la requête.

— Uglow, l'infirmier. Va le chercher. Maintenant ! se reprend le mathématicien, imperturbable, commençant déjà à la pousser dans la bonne direction.

— Je peux le faire. Je vais le faire ! intervient soudain la voix de Brennen, en provenance de l'intérieur de la pièce.

Sans laisser le temps à qui que ce soit d'objecter, le jeune homme s'élance en courant en direction de l'infirmerie. Mae a juste le temps de voir qu'il a du sang un peu partout sur lui lorsqu'il passe à côté d'elle. C'est sûrement lui qui a appelé à l'aide un instant plus tôt. Il lui accorde un bref regard sur son passage, ses yeux verts encore plus immenses qu'à l'ordinaire, écarquillés par le choc de ce qu'il vient de trouver, puis disparaît au détour du corridor, sans un mot de plus.

Perplexe à ce regard abscons qu'il lui a clairement adressé pour une autre raison que sa simple présence, et surtout fortement inquiétée par l'état de ses mains et ses vêtements, Mae fronce les sourcils et essaye de se dégager de l'emprise de Strauss :

— Qu'est-ce qui s'est passé, là-dedans ? elle l'interroge, sachant qu'il a forcément vu, lorsqu'il a poussé la porte.

— Reste où tu es, il insiste, resserrant sa prise sur ses épaules sans la moindre difficulté.

— Strauss, tu me fais mal, elle se plaint, commençant à paniquer.

Si la situation nécessite d'aller chercher l'infirmier, quelqu'un doit être blessé. Qu'est-ce qui pourrait justifier de rester debout dans le couloir en l'attendant, alors ? N'y a-t-il rien à faire jusqu'à ce qu'il arrive ?

— Maena. Uriel est très doué à ce qu'il fait. Tout va bien se passer. Tu n'as pas besoin de voir ça, Strauss s'efforce de rassurer la jeune fille du mieux qu'il peut, gardant son regard sombre planté dans le sien, mais il ne parvient hélas qu'à l'affoler encore plus.

— Voir quoi ? elle ne comprend toujours pas.

Elle arrête de se débattre, décidant de faire confiance au jugement de son professeur, mais elle compte tout de même obtenir une explication.

Malheureusement pour elle, avant que Strauss n'ait pu lui donner une réponse, Holden apparaît par là où a disparu Brennen un instant plus tôt, l'adolescent d'ailleurs sur ses talons. Sa trousse de secours à la main, l'infirmier se précipite vers les lieux de l'incident. Alors qu'il contourne le professeur et son élève, toujours en dehors de la pièce dans laquelle il s'apprête à s'engouffrer, il n'arrive malgré tous ses efforts pas à retenir une grimace compatissante à l'intention de l'adolescente.

— Strauss, si tu me dis pas tout de suite ce qui est en train se passer, je te jure qu… commence la petite blonde, que celui qu'elle interpelle laisse enfin se dégager en sentant qu'elle va suivre son conseil de rester où elle est malgré ses paroles de protestation.

— C'est Caesar, lui apprend alors Bren, lui épargnant par la même occasion d'avoir à trouver une menace qui fasse le poids face à un extraterrestre, aussi ignorant soit-il du statut de l'enseignant.

— Quoi ?!

Mae se retourne vers le journaliste en herbe qui s'est arrêté à côté d'elle, pensant avoir mal entendu ce qu'il vient de dire.

— Il est blessé, confirme cependant l'adolescent, voulant porter une main à son visage, dans un geste d'anxiété, mais se retenant à l'ultime seconde en se rendant compte qu'elle est toujours couverte de sang.

Il reste un instant à fixer le rouge sur ses doigts, et n'offre par conséquent pas plus d'informations à Mae.

— Comment ça "blessé" ? elle reste coincée dans le déni, et l'incite à élaborer.

Une fois de plus, quelque chose se produit avant que qui que ce soit n'ait pu répondre à la question. L'infirmier ressort des toilettes, à son tour du rouge sur le pantalon, le pull, et les mains, mais beaucoup plus calme que celui qui a découvert la scène en premier, à la fois plus habitué à des spectacles comme celui-ci et aussi plus à même d'en estimer la gravité.

La coupure le long de l'avant-bras de Caesar est certes profonde mais en définitive beaucoup moins dangereuse qu'elle n'en a l'air, tout comme son coup à la tête. Le voir inconscient sur le carrelage, sous un miroir brisé, du sang un peu partout sur et autour de lui, n'a rien de rassurant, oui, mais ça ne reflète pas fidèlement la sévérité de son état. Maintenant que son bras a été emballé dans un pansement compressif, il ne fait aucun doute que l'adolescent ne va garder aucune séquelle physique grave de l'incident en dehors d'une longue balafre de son coude à son poignet, une fois qu'il aura reçu les soins appropriés dans un hôpital. Le véritable défi va être de déterminer comment il s'est retrouvé dans cet état, ce qui peut potentiellement être très inquiétant, en revanche, mais ça peut attendre.

— Brennen, est-ce que ça t'ennuierait d'accompagner Mae chercher ses affaires dans sa classe, et ensuite jusqu'à l'ambulance qui ne devrait pas tarder à arriver ? demande Holden, une main sur la porte pour qu'elle ne se referme pas sur lui.

Il a bien entendu appelé des secours dès que l'adolescent a eu fini de lui expliquer la situation, dans son bureau. Il sait aussi que le jeune homme est en option à cette heure-ci et peut donc se permettre d'escorter la sœur du blessé. Le détour ne devrait de toute façon pas lui faire de mal, après ce qu'il a vu. L'infirmier préfère qu'il ne reste pas seul jusqu'à ce qu'il ait du temps à lui consacrer. La compagnie de Mae ne lui sera certes pas d'une très grande utilité en ce qui concerne la gestion d'une telle vision, mais c'est le mieux qu'il puisse faire dans l'immédiat, ne pouvant pas non plus décemment renvoyer la jeune fille à sa classe toute seule.

— Non, Monsieur, le lycéen accepte la mission qu'on lui propose, hochant la tête malgré son utilisation d'un adverbe négatif.

Peu à peu, il commence déjà à se remettre de ce sur quoi il est tombé en entrant dans les toilettes. Il faut dire aussi que le calme des deux adultes autour de lui est particulièrement communicatif.

— Hugh, je vais rester là avec Caesar juste au cas où, est-ce que tu pourrais guider les secouristes de l'entrée jusqu'ici ? l'infirmier enchaîne avec des instructions pour le professeur de Maths opportunément en présence, qui les accepte également, quoique d'un simple mouvement du menton, lui.

— Est-ce que quelqu'un va me dire ce qui se passe ! éclate alors Mae, tapant du pied, n'en pouvant plus d'être ignorée alors qu'elle vient d'apprendre que son frère ne va pas bien.

— Mae, ton frère est blessé. Il s'est coupé et cogné la tête, et ce n'est pas beau à voir, Hugh a eu raison de t'épargner ça. Mais tout va bien se passer, ce n'est rien de grave, et je connais les médecins des urgences les plus proches, ils vont parfaitement prendre soin de lui, Uglow l'informe enfin de la situation qu'il vient de stabiliser à l'instant, la rassurant du mieux qu'il peut.

— Quoi ?! elle n'intègre pas tout de suite toutes ses informations.

— Vas-y, Maena, Strauss l'incite alors à suivre les consignes données par le soigneur un peu plus tôt.

Elle lève les yeux vers les siens, voulant protester, puis reporte à nouveau son regard sur celui de l'infirmier, qui lui sourit en hochant la tête, tout aussi encourageant.

Finalement, elle referme la bouche sans qu'aucun soin n'en soit sorti. Elle ne peut qu'accepter que les deux adultes ne veulent que ce qu'il y a de mieux pour elle et son frère, même si elle n'en est pas moins inquiète pour ce dernier. Se détournant à reculons, elle laisse Brennen la raccompagner jusqu'à sa salle d'Arts Plastiques sans plus discuter, tandis que Strauss se dirige vers l'entrée du lycée et Uglow retourne au chevet de son patient.

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