1x12 - Grandes respirations (1/16) - Bonne nouvelle

Quelque chose ne va pas. Quelque chose ne va vraiment pas. Hyperventilation, tachycardie, transpiration ; symptômes cliniques d'anxiété avancée. Qu'est-ce qu'un renard fait dans un hôpital ? Il s'approche de l'animal sauvage, sagement assis sur son séant, sa jolie queue touffue soigneusement enroulée autour de ses pattes. Lorsqu'il arrive à sa hauteur, il s'accroupit, et la bête commence à lécher la main qu'il tend vers elle, pas agressive le moins du monde. Lorsqu'une large flaque d'un rouge profond commence à apparaître entre ses baskets, s'étalant sur le sol avec une viscosité qui rappelle celle de la lave, épousant les contours de ses semelles, il se relève et pivote sur lui-même, afin de déterminer la source de l'épais liquide. Avec horreur, il découvre deux visages qui lui sont connus à l'autre bout du couloir, et…

- Markus. Markus, réveille-toi ! la voix de Jena et sa main sur son épaule tirent opportunément l'aîné Quanto de son cauchemar incohérent.

L'étudiant se redresse dans son siège et papillonne des yeux pour s'habituer à la luminosité de la chambre d'hôpital dans laquelle il se trouve, avant de se tourner vers celle qui l'a réveillé. Il la dévisage avec un air perplexe, sourcils froncés, alors qu'elle lui sourit doucement :

- Er… Je suis debout. Qu'est-ce qu'il y a ? il l'interroge, ne comprenant pas quelle pourrait être l'urgence.

- Regarde. Il faut que tu voies ça, répond simplement la jeune femme, son sourire s'élargissant pour exprimer son excitation.

Sans plus attendre, elle désigne l'écran mural qui fait face au lit du patient, sur lequel est affiché un journal télévisé. D'un geste sur la surface de la table de chevet, elle monte ensuite le volume pour que la voix de la présentatrice leur parvienne.

- … un des plus grands complots bioterroristes du siècle, selon les porte-parole de l'union scientifique Citoyenne. Nos sources confirment que l'ensemble du personnel du laboratoire DeinoGene va être interrogé dans les jours et semaines à venir, dans le but de déterminer leur implication dans les atrocités commanditées par leur leader. Aucune victime n'a malheureusement pu être retrouvée pour le moment, mais des preuves irréfutables attestent des transgressions éthiques perpétrées dans les locaux pourtant répertoriés, et auxquelles la Sécurité Intérieure vient aujourd'hui de mettre un terme. Les suspicions ayant mené à cette enquête seraient venues d'une division de l'armée américaine, avec laquelle le laboratoire aurait coopéré sous un faux prétexte, déclare la speakerine, alors que derrière elle défilent les images du coup de filet dont elle est en train de parler.

Une multitude d'agents en costume cravate sombre ou en blouson, aux lettres DHS[1] sur un brassard, entrent et sortent d'un bâtiment. Certains escortent des individus pour la plupart en blouse blanche vers des paniers à salade, d'autres transportent des caisses de pièces à conviction vers de grands camions. Sur le mur du building en train d'être vidé, un gigantesque logo DG est accroché, en grandes lettres noires triangulaires formant ensemble un parallélogramme.

Sous la femme en tailleur rouge qui relate les évènements, au premier plan, un bandeau informatif lit "Réseau d'expérimentations illégales démantelé".

- Elle l'a fait. Elle les a coincés, commente Jena alors que la présentatrice continue de dévoiler à ses téléspectateurs les détails de l'affaire maintenant close.

- Tu le savais ? interroge Mark, comprenant facilement qu'il est question de la jeune Caroline.

- Non. Alek ne m'a rien dit, nie la grande sœur, secouant la tête à la négative, les yeux toujours tournés vers la bonne nouvelle.

- Elle ne lui a peut-être pas demandé son avis avant d'agir, en même temps, suggère son petit ami, qui se doute bien que s'il avait estimé l'adolescente prête, son père en aurait parlé à au moins l'un d'eux.

- Ça m'étonnerait pas ! confirme la brunette en pouffant, appréciative du caractère indiscipliné de sa frangine, maintenant qu'elle est rassurée qu'il ne l'a pas mise en péril.

- Qu'est-ce qui se passe, maintenant ? demande ensuite Markus, en se levant enfin de son siège.

Il arrive à peine à percuter que la source de toutes leurs craintes ou presque, ces dernières semaines, est derrière les barreaux. Plus d'épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes, plus de mensonges aux autorités, ils sont hors de danger. Personne ne risque plus de repérer Caroline ou Robert, d'autant plus maintenant que l'adolescente sait de toute évidence couvrir ses arrières. Et personne n'a plus de raison de s'en prendre à son père ou Jena non plus. Tous les gens qu'il aime sont enfin à nouveau en sécurité, comme il se doit.

- Je sais pas, répond la jeune femme en haussant les épaules, avant d'à nouveau couper le son de la télévision.

- C'est fini, Mark énonce à voix haute, encore incrédule.

- On doit toujours garder le secret, lui rappelle tout de même sa petite copine, réaliste.

L'anneau et ses conséquences ne peuvent en effet toujours pas être dévoilés à qui que ce soit, pas sans risquer que la conscience de Caroline ne soit détruite et avec ça toute chance de la sortir de son coma. Jena ne risque peut-être plus rien pour avoir subtilisé le bijou à l'insu de ses créateurs, mais sa petite sœur est toujours dans une position quelque peu précaire malgré tout, si moins pressante qu'auparavant.

- Oui, mais on est enfin libres de chercher une solution sans regarder par-dessus notre épaule en permanence. Et on a aussi participé à la cessation d'activités pour le moins horribles, Mark insiste pour voir le bon côté des choses.

- C'est vrai… T'as raison. C'est ce que Caro voulait, d'ailleurs. C'est pour ça qu'elle a donné ces documents à ton père, pour qu'il les arrête, arrive à admettre la jeune femme.

L'adolescente aurait pu ignorer ce qu'elle avait trouvé et simplement laisser Alek chercher un moyen de la réintégrer à son corps ; le danger encouru par tout le monde en aurait été grandement diminué. Mais au lieu de ça, elle a pris le risque de s'exposer pour dénoncer DG. Elle n'est peut-être pas sortie de l'auberge, mais elle a au moins réussi à accomplir une sacrée bonne action.

- Et toi. Elle les a donnés à mon père et à toi. L'un sans l'autre, vous ne les auriez jamais eus, corrige l'étudiant, trouvant qu'elle sous-estime sa participation au succès dont ils sont aujourd'hui témoins en direct à la télévision.

- Alek dit qu'elle aurait fini par trouver un moyen de me les faire parvenir, avec du temps, elle lui apprend alors.

Pourquoi la jeune fille n'a pas voulu attendre semble assez évident, après avoir ne serait-ce que survolé ce qu'elle a déniché chez DeinoGene et transmis à Alek.

- Hum. Je me demande combien d'autres chercheurs qui ont un jour collaboré avec DG ont reçu l'énigme et planchent encore dessus, émet alors Markus de manière purement rhétorique, partant du principe que Caroline a envoyé le paquet de fichiers compromettants à tout le carnet d'adresse du laboratoire transgressif, pour les avertir du vrai visage de leur collaborateurs.

- Pas moi. Je suis juste contente que ce soit derrière nous, Jena ferme alors la discussion, avec une grimace lasse à l'idée du parcours retors qu'il leur a fallu suivre de l'obtention des documents à la résolution de toute l'affaire.

S'inquiéter sans cesse d'être rattrapée par son passé n'est pas de tout repos. Elle a l'impression de ne pas avoir pu se détendre complètement depuis le moment où elle a vu la bague dans cette boîte transparente au chevet de sa petite sœur. Non pas qu'elle n'était pas déjà inquiète avant de savoir qu'elle était impliquée, mais l'instinct de préservation est toujours plus stressant que celui de protéger ses proches, peu importe combien on voudrait se convaincre du contraire.

- Retour à la case départ, alors. En quelque sorte, Markus décrit leur situation, effectivement ramenée à l'état dans lequel elle se trouvait avant qu'ils ne décryptent le message de Caroline.

- Tu veux fêter ça ? Le coup de filet, je veux dire. J'ai l'impression qu'on devrait fêter ça, propose alors la jeune femme, prise d'une inspiration soudaine.

- J'aimerais bien, mais il faut que je rentre me doucher et me changer. J'ai cours en fin de matinée, il ne peut malheureusement pas accepter l'invitation.

- Oh. Okay. Partie remise, alors, elle ne se formalise pas.

Pendant une minute, elle avait oublié ses contraintes universitaires. Comment il s'y astreint sans obligation autre que sa volonté personnelle la dépasse totalement. Elle ne pourrait jamais rien faire sans motivation spécifique. C'est bien pour ça qu'elle rejette le système Solidaritaire, après tout.

Attrapant son sac dans lequel il enfourne sa tablette et enfilant sa veste, Mark accorde un baiser rapide à sa petite amie avant de la laisser seule avec Robert, toujours plongé dans l'inconscience, au milieu de la pièce.

D'un geste furtif au-dessus de la table de chevet, la jeune femme fait disparaître le journal télévisé du mur. Même si la chute de DG est une bonne nouvelle pour lui, et bien qu'elle ne l'ait finalement pas fréquenté si longtemps, Jena ne pense pas que l'étudiant comateux apprécierait ce fond visuel s'il était éveillé. Souriant à l'endormi, elle décide ensuite de s'asseoir à ses côtés un moment, à défaut de mieux à faire.

[1] DHS : Department of Homeland Security == Département de la Sécurité Intérieure.

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