1x12 - Grandes respirations (11/16) - Crise
Ailleurs encore, toujours en ce même début d'après-midi, Caesar est en face d'un miroir, au-dessus d'un lavabo, dans l'une des toilettes du rez-de-chaussée, à se passer de l'eau sur le visage, haletant. Malgré le raisonnement qu'il a tenu tout seul à l'infirmerie, son malaise intérieur n'est pas passé. Il est même revenu avec une vengeance.
La faim s'étant fait sentir, il avait fini par aller déjeuner, malgré le risque de croiser Jack dans le réfectoire. Par chance, il l'avait manqué, soit parce que le surdoué n'a pas changé ses habitudes, soit parce qu'il a lui-même décidé de sécher le déjeuner, à ceci près qu'il s'y est tenu. Quelle que soit l'explication de son absence, le grand brun avait été satisfait de prendre son repas tranquille. Il récolte toujours quelques œillades de temps en temps, aussi bien à cause de son écart de conduite la semaine passée que toujours par rapport à son comportement durant la prise d'otage, mais ce n'est rien à quoi il ne soit pas habitué maintenant.
Après ça, Caesar avait vaqué à son occupation habituelle du Lundi après-midi, à savoir la préparation de son prochain article pour le journal. À cette fin, il s'était rendu à la bibliothèque du lycée, comme toutes les semaines, en quête d'inspiration. C'est là que, malheureusement pour lui, il était tombé sur les nouvelles du jour. Et le sujet sur la chute de DG était suffisamment mis en avant pour ne pas lui échapper.
Malgré la quantité infime d'éléments lui permettant de ne serait-ce que soupçonner que ce coup de filet ait quoi que ce soit à voir avec son père, l'adolescent avait été étreint du pire doute de toute son existence. Son géniteur avait dit travailler avec des biologistes, ce qui s'avère être la spécialité du laboratoire mis en examen le matin-même. Les divers articles mentionnent aussi que les suspicions envers ce labo ont eu pour origine un département du Ministère de la Défense, auquel est justement rattaché Alek. Enfin, d'après les chefs d'accusation, vouloir faire taire par la violence physique un associé un peu trop curieux ne serait pas quelque chose à laquelle rechignerait l'institut inculpé, et la curiosité est justement l'un des traits de personnalité fondamentaux de l'ingénieur père de famille.
Et si Jack avait vu juste, ne serait-ce qu'en partie ? Si Alek avait réellement caché quelque chose à ses enfants ? Serait-il possible que, au lieu d'être lui-même un criminel comme l'avait pensé le jeune rebelle, il soit au contraire impliqué dans l'inculpation de scientifiques transgressifs des lois ? Est-ce que Jena, au passé finalement entièrement obscur, aurait pu être son informatrice ?
C'est à ce moment de ses considérations que Caesar s'est précipité dans les toilettes les plus proches pour asperger son visage d'eau. Tout va tout à coup beaucoup trop vite dans sa tête, et ça lui donne le tournis. Ayant fermé le robinet, mains de part et d'autre du lavabo, les manches de sa chemise à carreaux et de son pull gris retroussées sur ses bras tendus, il se regarde dans la glace, le souffle court et le menton encore dégoulinant.
Tout ça, c'est dans sa tête. C'est dans sa tête et nulle part ailleurs, il n'y a pas à chercher plus loin. Mais une idée sombre ne vient jamais seule, et tout commence bientôt à s'empiler de manière incontrôlée.
Si ses accusations étaient si absurdes, pourquoi est-ce qu'il a ressenti le besoin impérieux de frapper Jack ? Pourquoi est-ce qu'il ne lui a pas ri au nez ? Ou pourquoi il ne l'a pas tout simplement écouté, puisqu'il est la personne la plus intelligente qu'il connaîtra sans doute jamais, et qu'il en a tellement conscience qu'il a un jour même prouvé qu'il était prêt à se sacrifier pour lui ? Pourquoi est-ce qu'il n'a pas fait ça et ensuite tout simplement interrogé son père en conséquence ? Il n'y a jamais rien eu qu'il n'ose pas lui demander, après tout. Est-ce qu'il a toujours eu l'impression que cet hématome sur le côté de son visage formait presque l'empreinte d'une botte de combat ?
Serrer sa tête entre ses paumes n'aidant absolument pas sa migraine naissante, Caesar vient frapper le mur en face de lui dans sa frustration.
Sauf que ce n'est pas un mur qu'il y a en face de lui, c'est toujours un miroir.
Sous l'impact de ses phalanges, le verre se brise, et les morceaux ainsi créés lui entaillent la peau, avant de tomber dans l'évier en contrebas, dans un bref concert de cliquetis caractéristiques.
Secouant immédiatement sa main par réflexe, l'adolescent se rend hélas vite compte que ça n'arrange rien et ne fait même au contraire qu'augmenter sa douleur. Grimaçant, il prend alors le temps d'examiner sa blessure, et décide de la passer sous l'eau, au cas où de micro-éclats seraient coincés dans la plaie.
En regardant le sang qui a déjà perlé se diluer dans le flux du robinet qu'il fait couler dessus, il se retrouve hypnotisé par les volutes du filet rouge dans le flot transparent, et se rend compte que la tempête qui était en train d'avoir lieu dans son esprit juste avant qu'il ne se blesse s'est un peu calmée.
Un peu, mais pas suffisamment.
Tout autour de lui lui apparaît toujours comme suspect. Qu'est-ce qui est réellement arrivé à Robert ? Est-ce vraiment une coïncidence qu'il soit dans le coma justement comme la petite sœur de Jena ? Et qu'il y soit tombé dans des circonstances tout aussi mystérieuses, qui plus est ? Et puis, pourquoi est-ce que tout le monde agit de manière aussi cachottière autour de lui, de toute façon ? Même Mae semble garder un secret, ces derniers temps, parlant peut-être un tout petit peu moins que d'habitude, comme si elle avait peur de mentionner quelque chose de compromettant par erreur.
Exaspéré par ce tourbillon de questions sans queue ni tête, et par conséquent sans vraiment réfléchir à ce qu'il fait, Caesar attrape le plus gros morceau de miroir qu'il trouve parmi les débris, dans l'évier, et en amène la pointe la plus aiguë au pli de son coude droit. Il fait ensuite glisser la lame de fortune le long de son avant-bras, s'entaillant profondément, presque jusqu'au poignet.
Le geste est bref et le résultat dramatique.
Le gémissement approprié à ce qu'il vient de s'infliger n'échappe à Caesar qu'après quelques secondes de latence, en même temps que les doigts de sa main gauche desserrent leur prise sur l'éclat de verre, qui retombe alors où on l'a pris. Le robinet, toujours ouvert, a tôt fait de laver l'arme du coup de folie, tandis que la blessure correspondante, elle, saigne abondamment, rien n'endiguant naturellement l'hémorragie.
Sous le coup de la douleur qui lui monte rapidement à la tête, Caesar ne tarde pas à être pris de vertiges et vacille, jusqu'au point de perdre l'équilibre. Dans sa chute, le coin de son front vient heurter le rebord du lavabo, ce qui achève de le plonger dans l'inconscience.
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