1x11 - Quitte ou double (9/15) - Coup de poing
Assis tout seul à une table du réfectoire du lycée, Caesar avise le contenu de son assiette sans grande conviction. D'un geste distrait et machinal, il torture doucement ses légumes du bout de sa fourchette. Tout comme la concentration, la faim lui fait légèrement défaut, ces derniers temps. Ce qui est arrivé à son père et à Robert lui a un peu coupé l'appétit.
— D'accord, j'ai menti, annonce soudain Jack en s'asseyant en face de lui, le retrouvant après leur séparation pour le cours de langue qui succède à celui d'Histoire.
— Quoi ? ne comprend pas le grand brun, levant la tête mais sans interrompre son geste répétitif.
Il est habitué aux entrées en matière parfois inattendues de son camarade, et ne s'en formalise plus vraiment.
— Enfin non, j'ai pas menti, je t'ai juste pas parlé d'un truc tout de suite. Mais pour ma défense, je pensais que tu m'avais menti en premier, donc… se rattrape à moitié le blondinet, avec une grimace qui montre à quel point cet exercice le lasse et qu'il n'en ferait sans doute pas l'effort pour qui que ce soit d'autre.
— De quoi tu parles ? lui demande Caes en posant finalement son couvert sur son plateau, l'incitant à en venir aux faits.
— De l'accident de ton père, répond cette fois directement le petit blond, plantant son regard clair dans celui plus sombre de son ami.
— C'est quoi, ton obsession avec ça, aujourd'hui ?
Caesar ne comprend toujours pas où il veut en venir et plisse les yeux.
— Ton père est l'un des plus éminents nanotechnologistes du pays, si ce n'est du monde ; j'ai du mal à croire que quoi que ce soit puisse mal fonctionner dans son labo au point de lui exploser à la figure, s'explique le génie sur le ton du sous-entendu.
Il avait effectivement semblé dubitatif lorsqu'il avait appris pour l'accident le lendemain, mais il n'avait pas abordé le sujet à nouveau avant ce matin. Rien ne laissait donc présager que ça le travaillait autant. Or, il est clair qu'il y a accordé une réflexion assez poussée aux tenants et aboutissants de l'évènement.
— Tu crois que je t'ai menti à propos de ça ? Pourquoi est-ce que je ferais une chose pareille ? renvoie Caes, essayant de souligner l'absurdité de l'accusation qu'il discerne enfin dans les propos de son camarade.
— C'est soit ça, soit c'est ton père qui t'a menti en premier lieu. Mais étant donné que tu n'es pas usuellement un menteur, je ne pense pas que tu as été élevé par un. Reste la possibilité qu'il ne t'ait pas tout dit pour ta propre protection, bien sûr, mais ce serait vache de sa part, étant donné votre cohésion familiale habituelle, Jack expose brièvement le cheminement mental qui l'a amené à cette conclusion, sans complexe.
— Donc, d'après toi, si je suis pas super concentré ces derniers temps, c'est parce que je te cache quelque chose, c'est ça ? Est-ce que tu te rends au moins compte d'à quel point c'est égocentrique, comme raisonnement ?
Caesar se fait violence pour faire preuve de patience et ne pas simplement rabrouer celui qui lui fait face sans plus de cérémonie.
— Non, tu es stressé à cause de ce qui se passe vraiment, corrige Jack, n'améliorant pas son cas, malheureusement.
— D'accord, je mords à l'hameçon : qu'est-ce que tu penses qui se passe avec mon père ? ose le grand brun, se disant qu'il va le regretter mais en même temps compulsivement curieux de savoir quelle machination imaginaire le surdoué a réussi à inventer à propos des derniers évènements.
— Je pense qu'il a créé une IA non régulée, que quelqu'un s'en est rendu compte, et qu'ils ont infiltré son labo, annonce Jack d'un ton assuré.
— Infiltré ? relève lentement Caesar, ne sachant pas s'il doit rire ou se fâcher.
— Comme dans, on l'a tabassé, reformule le blondinet, avec toujours autant de détachement.
— C'est ridicule ! s'exclame l'autre, toujours aussi indécis quant à la réaction qu'il devrait avoir.
— Le système de ton père est impénétrable, normal. Ceux de l'infrastructure englobante, en revanche, pas tant que ça. Et d'après ce que j'ai vu, il y a une IA massive, trop massive pour être honnête, qui a fait pas mal d'allers retours du côté de chez lui. Et il y a aussi eu plusieurs tentatives, assez pitoyables je dois bien le dire, d'effraction numérique. Sachant tout ça, je pense pas que mon quotient intellectuel me donne l'exclusivité sur la conclusion qui s'impose, si ? Jack présente une nouvelle fois les origines de ses soupçons.
— … Tu as fait quoi ? le grand brun demande alors, sa voix soudain blanche.
Il sait enfin la réaction qu'il est supposé avoir aux élucubrations de son ami. Il ne peut plus en rire, à ce stade.
— Comment ça ? l'autre ne comprend pas ce sur quoi il raccroche dans son récit.
— Tu as essayé de hacker mon père ? Parce que tu ne m'as pas cru quand je t'ai dit qu'il y avait eu un accident dans son labo ? Mais qu'est-ce qui va pas chez toi ?! éclate Caesar, horrifié.
— Premièrement, j'avais raison de pas te croire. Deuxièmement, je suis assez blessé que tu aies pensé que j'allais vous dénoncer, se défend Jack éhontément.
— Je t'ai pas menti ! Peu importe ce que tu crois avoir trouvé… T'aurais même pas dû chercher ! Caes insiste dans son outrage.
— Je sais. On en a déjà parlé. C'est pour ça que je te le dis maintenant. Et pour info, j'ai hésité avant de le faire, mais n'empêche que j'avais raison, au final, le blondinet semble sincèrement estimer avoir fait des progrès, par rapport à la dernière fois où il a fait intrusion dans la vie privée de son camarade.
— Non ! Non, t'avais pas raison ! Mon père n'est pas un menteur, et encore moins un criminel ! le grand brun s'escrime à lui faire comprendre que la situation est loin d'être la même que lorsqu'il a consulté son dossier scolaire à son insu.
En dehors du fait que regarder dans la base de données de l'infirmier lorsqu'il ne fait pas attention est bien moins grave que d'aller fouiner dans celles d'une base militaire de recherche, il s'agit de son père, pas de lui. Qu'il se comporte comme un goujat avec lui, soit, mais pas avec ses proches !
— Je crois que délinquant s'applique ici, parce que c'est pas vraiment un crime de créer une intelligen… commence à le corriger Jack, toujours sans percuter le degré d'énervement de son interlocuteur.
— La ferme ! lui impose alors Caesar, se levant brusquement de sa chaise.
À la rondeur que prennent ses yeux, l'admonesté a enfin saisi que son ami est foncièrement en colère. Il ne semble cependant pas encore voir pourquoi exactement.
— Er… D'accord, il répond doucement, se levant à son tour, quoiqu'avec plus de lenteur, ne serait-ce que pour éviter d'attirer encore plus l'attention.
Presque tous les regards dans la cantine se sont braqués sur eux lorsque le grand brun s'est mis debout en haussant le ton. Les élèves les plus éloignés se détournent vite, mais les plus proches voient bien que la scène n'est pas anodine et y restent attentifs.
— Tu sais quoi ? J'en ai fini avec toi. Je sais même pas pourquoi j'ai tenu aussi longtemps. Tu vas jamais être un être humain normal. Jamais, crache Caesar, furibond, attrapant son sac et s'apprêtant à partir, contournant le coin de la table.
— Aouch, ça fait mal ! s'exclame le petit génie tout en se décalant à son tour pour se placer sur le chemin de son camarade, sur un ton et avec une grimace qui laissent deviner que pas tant que ça, en réalité.
Excédé, le grand brun serre alors les poings et vient en appliquer le droit avec violence sur le visage de son ami.
La force de l'impact, et le fait qu'il ne s'y attendait pas du tout, envoient immédiatement Jack au tapis, sous une vague d'inspirations de surprise de la part de l'assemblée, avant qu'elle ne tombe silencieuse. Autant dire que cette fois, personne ne peut avoir manqué le caractère inhabituel de ce qui est en train de se passer, et nul ne se détourne du spectacle.
Le petit blond reste à terre sans essayer de se relever d'abord, en appui sur un coude, son autre main à sa pommette endolorie, son regard tourné vers le sol. Son agresseur, debout au-dessus de lui, secoue sa propre main, lui aussi blessé, puis sans rien ajouter le contourne et reprend son chemin vers la sortie, l'abandonnant là au même titre que son repas.
Jack relève enfin le menton, pour le suivre des yeux, à l'instar de tous les autres occupants du réfectoire. Les conversations reprennent ensuite assez rapidement après que le grand brun a disparu derrière la double-porte battante, le moment de flottement passé.
Mae, qui était en train de déposer son plateau vide au moment de l'explosion de son frère, reste figée là où elle est, Ellen à ses côtés. La petite marginale lui demande si elle veut rattraper son aîné mais elle secoue la tête à la négative, décidant de lui laisser un peu d'espace dans l'immédiat. Elle lui en parlera ce soir, comme il est venu l'interroger sur son altercation avec Sarah Degriff le soir-même. Elle doit de toute façon réfléchir à ce qu'elle va bien pouvoir lui dire, parce qu'il est tout de même beaucoup plus grave d'en venir aux mains avec un ami qu'avec une peste notoire. Comme si elle n'avait pas suffisamment de quoi la préoccuper ces derniers temps !
Au bout d'un moment, toujours sous les regards les plus indiscrets, Jack finit par se relever, sans l'aide de personne, grimaçant en amenant sa langue à l'intérieur de sa joue, comme on a du mal à se retenir de le faire lorsqu'on est blessé au visage. Il fait peine à voir, même quand on le sait potentiellement horripilant. Ce n'est pourtant pas la première fois qu'il prend une raclée, pas même dans les locaux du lycée ou devant témoins, mais là il s'agit de celui dont il est indissociable depuis des mois, qui s'est dévoué pour prendre sa place durant la prise d'otages, et somme toute d'un pacifiste. Qu'est-ce que le surdoué a bien pu faire cette fois pour mériter un tel traitement d'une telle personne ? C'est la question qui est bientôt sur toutes les lèvres.
Consciencieusement, encore sous les regards de quelques curieux qui n'arrivent pas à se retenir, Jack passe son sac à son épaule puis rassemble son plateau et celui qu'a abandonné Caesar, tous les deux encore intacts, afin de les apporter là où Mae et Ellen viennent de déposer les leurs. Sur son passage, il accorde d'ailleurs un bref regard à la cadette de son meilleur ami, sans un mot ni une expression particulière autant qu'elle puisse ne juger, avant de quitter la grande salle à son tour, par une porte différente.
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