1x11 - Quitte ou double (3/15) - Post-traumatique
Dans le gymnase de Walter Payton High, la classe d'Ellen et Mae est, comme chaque Lundi à cette heure-ci, en pleine session d'étirement avant l'effort. Debout, tenant l'une de leurs chevilles derrière elles pour maintenir leur talon correspondant à leurs fesses, les deux jeunes filles ne sont pour une fois pas en pleine conversation. Et pour cause.
Mae a la tête baissée vers le sol, le regard perdu dans le vide, hantée par tout ce qui se bouscule dans sa vie ces derniers temps. Elle se réjouit d'avoir commencé à gérer sa découverte des origines extraterrestres de son prof de Maths, car sinon elle ne sait pas comment elle aurait pu angoisser à propos de ça en même temps que de l'accident de son père et celui de Robert. Ça avait fait beaucoup de mauvaises nouvelles, ce soir-là. Et encore, son géniteur se porte bien, toute chose considérée, alors qu'on ne peut pas en dire autant du meilleur ami de son frère aîné, plongé dans un profond coma.
En relevant le menton d'un geste vif afin de dégager une mèche blonde indisciplinée de son visage, Mae est ramenée à la réalité et remarque que sa camarade est elle aussi absorbée par ses pensées. Son regard n'est cependant pas aussi perdu dans le vide que le sien l'était une seconde plus tôt : sa ligne de vue mène tout droit à un grand jeune homme aux cheveux noirs de jais et aux yeux verts, qu'elles connaissent toutes les deux très bien.
— Ell', non, Mae conseille doucement.
— J'allais rien faire ! proteste instantanément la marginale, lâchant sa cheville sous l'effet de la surprise de l'interpellation.
— Menteuse. T'allais aller le voir, devine cependant la blondinette, se remettant elle aussi sur deux pieds et croisant les bras, avec un sourire triste.
— Je supporte plus de le voir aussi misérable ! Il est tout le temps tout seul et tout le monde le regarde bizarrement. Ça te torture pas, toi ? Ellen ne cache alors plus son inquiétude pour Nelson, qui est effectivement à l'écart, l'air éteint.
Le pire, c'est que la majorité des élèves compatissent à son sort, mais personne n'ose bien entendu ouvertement manifester son soutien, de peur d'empirer son humeur. C'est déjà bien assez humiliant comme ça de découvrir qu'on a été pris pour une poire sans que des inconnus ne se mêlent de nous le rappeler toutes les cinq minutes, aussi bienveillants soient-ils. Le simple fait que tout le monde soit au courant est déjà bien assez affligeant comme ça.
— Si, bien sûr. Mais c'est lui qui doit décider de revenir nous voir, Mae rappelle à sa camarade, raisonnable.
— Peut-être qu'il a pas bien assimilé nos excuses, suggère alors l'ado gantée, pleine de ressources pour obtenir gain de cause.
— Il a très bien entendu. Il lui faut juste du temps pour se remettre, tranche la petite blonde, qui le connaît le mieux.
En fin de semaine dernière, les deux lycéennes avaient décidé d'aller s'excuser auprès de leur ami. Bien qu'elles aient eu raison de se méfier de sa nouvelle petite amie, et n'aient voulu que son bien en s'arrangeant pour qu'il découvre la vérité, elles savaient que ça lui ferait mal. Si la rouquine lui a menti, il tenait de son côté réellement à elle, avant de comprendre qu'elle le manipulait. Et puis, même quand on n'aime pas la compagnie tenue par ses amis, on est supposé prendre des pincettes pour leur en faire part, ce qui n'est pas exactement ce qui s'est passé avec les deux jeunes filles, loin s'en faut.
Ainsi, suite à ce mea culpa penaud tenu le Vendredi soir passé, que Nelson avait par miracle accepté d'écouter jusqu'au bout bien que sans rien y répondre, Ellen avait naïvement espéré que le jeune homme revienne vers elles le Lundi matin suivant. Elle avait malheureusement été déçue lorsqu'il avait continué à les éviter, avant d'entrer en cours de littérature, plus tôt dans la matinée.
— Peut-être que si on lui parlait de ce qui est arrivé au pote de ton frère, il se rendrait compte qu'il n'a pas de temps à perdre à nous en vouloir, propose alors la petite marginale, dépassant sans trop s'en rendre compte une limite.
— Ce serait bas d'utiliser les malheurs de Rob à des fins personnelles ! éclate immédiatement Mae, donnant un coup sur l'épaule de l'effrontée.
— Ouais, t'as raison… elle lui accorde de suite, n'ayant visiblement jamais réellement eu l'intention de faire ce qu'elle vient de suggérer, heureusement.
Quelques coups de sifflets indiquent ensuite que le moment des étirements est passé et qu'il est temps de s'échauffer. Les uns après les autres, les lycéens s'élancent alors en trottinant sur la piste qui fait implicitement le tour de la grande salle de sport. Les deux copines se joignent au cortège et elles ne sont plus les seules à garder le silence pendant l'exercice cette fois, l'effort rendant la parole difficile.
Mae apprécie ce passage du cours d'EPS. Elle aime courir. D'autant plus qu'elle ne le fait plus trop, ces temps-ci, d'une part effrayée par la présence dans les rues d'un tueur en série (extraterrestre ou non, ça a de quoi refroidir) et d'autre part préoccupée par l'état de son père, qu'elle a puérilement refusé de quitter si ce n'était pas strictement nécessaire, cette dernière semaine. En y réfléchissant bien, la dernière fois qu'elle est sortie faire son jogging, c'était le soir de la Saint Valentin, après sa dispute avec Nelson, en fin de compte.
Toutes ces idées se remuant dans sa tête, les yeux de la blondinette pourtant perdus dans le vide ou presque raccrochent soudain sur une silhouette dans le paysage, à l'extérieur du bâtiment, et elle est alors instantanément prise d'une violente crampe, qui la pousse à s'arrêter brutalement.
Le plus étrange, c'est que la douleur est au bras et non à une jambe, comme il serait plus logique étant donné l'activité qu'elle est en train de pratiquer.
Attrapant son poignet gauche de son autre main, Mae grimace, puis reporte à nouveau son attention sur l'homme à la veste de sport, au-dehors, sous la ligne de métro aérien, là où elle a vu Ben pour la première fois.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? s'enquiert Ellen en arrivant à sa hauteur, surprise puisque c'est usuellement elle qui arrête sa copine dans sa course, pas l'inverse.
— Rien. Je… Tu vois ce mec ? lui demande Mae, désignant l'inconnu du geste, en se tenant toujours le poignet.
Il n'est pas rare de voir des gens à cet endroit, étant donné qu'il s'agit d'une zone de parking. Ben s'y était même arrêté pour bricoler sa moto, le jour où Ellen le lui a montré. Il y a cependant quelque chose dans cet individu en particulier qui glace le sang de l'adolescente blonde. Cette cicatrice sur sa lèvre supérieure et ce logo beige sur fond bordeaux au niveau de son cœur la remplissent de cette insoutenable impression d'oublier quelque chose d'important, qu'on a parfois avant de partir pour un long voyage.
— Le gars avec la casquette et la veste de sport ? Oui. Qu'est-ce qu'il y a ? Ellen confirme, sans sembler comprendre ce qui a pu interpeller son amie.
— Je sais pas… J'ai l'impression de l'avoir déjà vu quelque part, avoue Mae, se mordillant la lèvre inférieure dans son angoisse.
Pourquoi est-ce qu'elle n'arrive pas à le remettre ? Et surtout, pourquoi est-ce qu'il la met dans un tel état de panique ?
— Normal. C'est l'une des personnes qui traînent autour de Walter Payton, qu'on a vues dans les sources, quand on cherchait Ben, tu te souviens ? Ell' n'a de son côté aucun mal à resituer l'inconnu, qui ne lui fait visiblement aucun effet quel qu'il soit.
— Je crois pas que ce soit ça, proteste faiblement la blondinette en secouant la tête, bien qu'elle se souvienne maintenant en effet de ce qu'elles ont vu dans la salle du journal, il y a quelques mois.
C'est bien lui, oui. Mais elle l'a vu plus récemment, ailleurs qu'en photo, et ailleurs qu'autour du lycée. Elle en est sûre. Si seulement elle pouvait se souvenir où, et dans quelles circonstances.
Avant qu'elle n'ait pu excaver la moindre bribe de souvenir pertinent de sa mémoire, l'homme ramène hélas la capuche du gilet qu'il porte sous sa veste par-dessus sa tête et sa casquette avant de disparaître.
— Pourquoi est-ce que tu te tiens le bras ? interroge alors Ellen, remarquant seulement la seconde attitude étrange de sa camarade, en plus d'être arrêtée dans son échauffement.
— J'ai une crampe, explique sommairement l'intéressée, encore troublée par la vision de cet inconnu.
— Au poignet ? s'étonne la marginale, haussant un sourcil.
— Va savoir… la blonde finit par couper court à l'échange, reprenant sa course sans autre forme de transition.
Haussant les épaules, Ellen lui emboîte le pas avant que leur professeur ne la rappelle à l'ordre pour être resté inactives trop longtemps. D'une part, elle a déjà elle-même eu des comportements encore plus étranges que ça, donc elle ne peut pas en tenir rigueur à son amie. D'autre part, si elle s'inquiète pour Nelson, Mae a de son côté encore plus d'excuses pour agir bizarrement, avec cette histoire d'accidents de son père et un ami à son frère. Les Quanto ne sont décidément pas à la fête, ces derniers temps…
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