1x11 - Quitte ou double (15/15) - Raisonnement par l'absurde
En fin de journée, Caesar quitte enfin la salle de journalisme, où il a une fois de plus passé l'après-midi à entamer les recherches pour l'article qu'il passera la semaine à écrire. Prévenue par un message qu'elle lui avait demandé de lui envoyer, sa petite sœur le rejoint à la sortie de l'établissement, et ils prennent ensemble le chemin de leur domicile.
Les deux ados restent un long moment à marcher en silence, côte à côte, mains dans les poches de leur manteau, avant que la plus jeune ne se lance :
— Comment va ta main ? elle demande à son aîné, l'air de rien.
— Vraiment ? C'est toi qui vas me faire la morale sur la violence à l'école ?
Caesar comprend immédiatement qu'elle fait référence à son altercation avec Jack, au déjeuner.
Comme la moitié du lycée, elle était dans la salle et n'a pas raté la scène de ménage. Si elle n'a pas couru après lui, c'est cependant en partie parce qu'elle se doutait qu'il n'avait pas besoin qu'on lui fasse la leçon immédiatement après les faits. Mais maintenant, puisqu'elle a réussi à se calmer un peu à propos de cette histoire avec Ben et Strauss, elle se dit que ça doit aussi être son cas quel que soit ce qui s'est passé avec Jack. Et elle aimerait bien obtenir le fin mot de l'histoire. Elle n'a absolument jamais vu aucun de ses frères recourir à la violence, et elle s'inquiète pour lui, tout naturellement.
— Non, pas du tout ! Mais tu t'es inquiété quand j'ai poussé Degriff, l'autre fois, donc maintenant c'est mon tour, c'est tout. Qu'est-ce qui s'est passé ? elle le détrompe, sans jugement aucun dans sa voix, juste le soutien digne d'une sœur pour son frère.
— Tu sais comment il peut être… finit par répondre Caesar après un lourd soupir, réticent à entrer dans les détails.
— Oui. Mais je croyais aussi que je savais comment toi tu pouvais être. Qu'est-ce qu'il a bien pu faire de si terrible pour que tu te sentes OBLIGÉ de lui mettre ton poing dans la figure ?
Mae essaye encore de comprendre, malgré la résistance que celui qu'elle interroge lui oppose.
— Rien qui vaille la peine d'être répété, il reste fermé.
— Tu vas devoir faire mieux que ça, frérot ! elle lui lance, nullement impressionnée par son attitude, en se décalant pour lui donner un coup d'épaule.
Il a toujours été difficile à lire, plus réservé que leur aîné à tous les deux. Et si de manière générale elle a tendance à respecter cette facette de sa personnalité, elle sait aussi en faire façon quand elle estime que c'est nécessaire.
— … Il a accusé Papa d'un truc qu'il aurait pas dû, lui accorde finalement Caes, non sans un nouveau soupir presque aussi lourd que le précédent.
— Comme quoi ? elle demande tout naturellement.
— D'avoir une IA illégale. Entre autres choses, il cède à l'insistance, tout en restant encore superficiel dans ses explications.
Ce qu'il l'a réellement fait éclater, c'est surtout la façon dont Jack en est venu à cette conclusion. Mais malgré sa réaction initiale à cette infraction de sa vie privée et celle de son père, le grand brun n'a pas envie de dénoncer la délinquance du blondinet. Et puis, son accusation en elle-même était effectivement déjà une bonne raison de s'énerver après lui.
— Huh ? Mais pourquoi est-ce qu'il penserait un truc pareil ? ne comprend pas la benjamine.
— Il dit qu'il a jeté un œil à ce qui se passait du côté de son labo, parce qu'il ne m'a pas cru quand je lui ai parlé de l'accident, élabore alors son plus jeune aîné, au point où il en est.
— Et il a trouvé quelque chose qui lui a fait penser que Papa avait développé une techno illégale ?
Mae ne se focalise heureusement pas sur les méthodes du génie mais ses résultats, qui la laissent tout aussi perplexe que son frère.
— C'est ce qu'il dit ! Son hypothèse, c'est qu'il s'est fait tabasser à cause de ça, et qu'il nous a dit qu'il y avait eu un accident pour justifier ses blessures, Caesar expose le raisonnement de son collègue, montant d'un ton dans son énervement.
— Mais… s'il avait fait quelque chose de criminel, il aurait été arrêté, pas passé à tabac, oppose la petite blonde, rationnelle, et par conséquent surprise que le surdoué incontesté n'en soit pas arrivé à la même conclusion.
— Bah… J'en sais rien. Je t'avoue que j'ai pas posé beaucoup de questions à Jack sur sa théorie moisie, concède le plus âgé, qui n'avait pas du tout réfléchi à ça, partant du principe que l'ensemble des propos de son ami étaient absurdes.
— Non, tu as préféré le frapper, Mae en profite pour rappeler, soulignant le caractère impulsif de son comportement, si justement il n'avait pas tous les éléments.
— Est-ce que tu crois une seconde que Papa pourrait faire une chose pareille ? Ne serait-ce que nous mentir ? lui rétorque donc son frère, qui pensait qu'elle partagerait son outrage.
— … Il pourrait ne pas nous parler d'un truc pour notre protection, aussi nul que ce soit comme excuse. Ou tout simplement parce que c'est confidentiel, elle s'efforce de se montrer ouverte d'esprit.
Son attitude tolérante est sans doute liée au fait qu'elle a connaissance de la présence d'une race d'aliens sur Terre, dissimulée parmi la population humaine, et dont les gouvernements du monde ont jugé plus prudent de garder l'existence secrète. Elle ne dirait pas encore qu'elle cautionne cette décision à 100%, mais elle y est devenue moins opposée en écoutant les explications de Ben sur ce qui lui est arrivé. Il semblerait en effet optimiste de présumer que tout le monde serait d'accord pour cohabiter avec des individus capables de telles choses, aussi pacifiques leurs intentions puissent-elles être. Autant l'idée d'un tel complot la rend toujours malade, autant il est peut-être dans certains cas effectivement préférable de cacher des choses aux gens, pour leur propre protection.
— Alors pourquoi il ne nous dirait pas simplement qu'il ne peut pas nous en parler ? C'est pas comme si on insisterait. Et puis, ce serait bien la première fois qu'il serait tenu au silence ; il a toujours eu le droit de nous parler de ce qu'il développe, même si on y comprendrait rien, proteste Caesar à la logique pourtant saine.
— Peut-être qu'il ne voulait pas nous inquiéter, Mae continue de se faire l'avocat du diable un peu malgré elle.
— Je comprends pas : tu donnes raison à Jack, c'est ça ? Tu penses qu'il y a vraiment un truc qui cloche avec l'accident de Papa ? l'interroge alors directement son frère.
— J'accepte pas que Papa ait fait quoi que ce soit d'illicite. MAIS, connaissant Jack, s'il dit qu'il y a anguille sous roche, j'ai tendance à l'écouter. D'autant que, maintenant que tu le dis, c'est vrai que ça semble bizarre qu'un truc fonctionne mal chez Papa. De là à dire qu'il a été attaqué, ça semble un peu tiré par les cheveux, c'est sûr, mais… elle s'efforce de mitiger les affirmations du petit blond, les trouvant à la fois effectivement impensables et pourtant peut-être pas si infondées.
— Mais quoi ? l'incite à poursuivre son aîné, ne comprenant toujours pas comment elle peut prendre le parti du fils d'ambassadeurs.
— Bah, par exemple, il a pas l'air d'avoir super bien digéré d'être obligé de travailler avec une autre équipe. Peut-être que ça se passe mal, mentionne maladroitement la jeune fille.
En étant tout à fait honnête, elle avait bien remarqué, ne serait-ce qu'inconsciemment, que l'équilibre de son père avait été perturbé, dernièrement. Elle ne s'en était juste pas inquiétée outre mesure avant maintenant parce qu'elle avait eu, à son plus grand désarroi, d'autres chats à fouetter. La raison pour laquelle elle a hésité vient du faire qu'elle n'aurait jamais pensé que quoi que ce soit puisse prendre le pas sur sa famille, et elle a plutôt honte de se rendre compte qu'elle se trompait sur ce point.
— Et ça conduit à ses blessures comment ? Ils ne sont pas en contact physique. Est-ce qu'ils ont envoyé quelqu'un pour lui donner une leçon ? lui oppose Caesar avec sarcasme, trouvant le lien établi un peu hâtif.
— Non, mais c'est juste pour dire qu'il agit un peu bizarrement, ces derniers temps, c'est pas faux, Mae défend faiblement son argument.
— D'accord, et après tu vas me dire que ça a carrément à voir avec Jena, continue à railler son frère, levant les yeux au ciel.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'elle viendrait faire là-dedans ? s'étonne la blondinette, fronçant tout à coup les sourcils à la mention de la petite amie de leur grand frère.
— Elle est venue demander un service à Papa, le dernier week-end des vacances. Et je suis à peu près sûr que c'est sur ça qu'il travaille porte fermée à la maison. Du coup, si ça se trouve, c'est pas ses nouveaux collègues qui le gênent, t'en sais rien. Peut-être que c'est Jen qui l'a entraîné dans une affaire louche. Qui sait, peut-être que c'est une espionne qui se fait passer pour une ancienne camarade de classe de Markus pour pouvoir le séduire et se rapprocher de Papa, et ensuite lui voler ses concepts pour une organisation criminelle suffisamment redoutable pour envoyer des ninjas lui casser la figure, il poursuit son raisonnement par l'absurde, après avoir donné les faits qu'ignorait sa sœur.
— C'est pas drôle, l'arrête tout de suite Mae dans ses élucubrations, trouvant bas de sa part de traîner la jeune femme dans cette histoire, aussi étrange il soit en effet qu'elle ait demandé quelque service que ce soit à leur père.
— Non, t'as raison. Et c'est pour ça que j'ai frappé Jack. Parce qu'il y a des choses avec lesquelles on ne plaisante pas. Si Papa avait des ennuis, on le saurait, conclut donc Caesar, puisqu'elle s'est enfin quelque part rangée à son opinion que l'idée-même que leur père ait fait quelque chose de mal est tout bonnement inenvisageable.
Sa petite sœur voudrait bien l'interroger sur ce mystérieux service que Jen aurait demandé à leur père, puisque ça ne faisait pas partie de son élan imaginatif et qu'elle n'était pas du tout au courant, mais d'une part il n'en sait probablement pas plus, et d'autre part elle sent qu'il n'a plus envie de discuter, même en déviant de sujet.
Elle reste également sur cette impression que Jack n'a jamais entièrement tort et qu'il ne mentirait pas à propos d'une chose pareille, aussi irrespectueux puisse-t-il être parfois. Même si ses conclusions sont incorrectes, ce n'est probablement pas le cas des bases de son raisonnement. Mais qu'est-ce qui pourrait se passer au laboratoire d'Aleksander, alors, pour lui laisser penser qu'il a mis au point une technologie clandestine ?
Les deux adolescents terminent ainsi le trajet jusqu'à leur domicile presqu'en silence, chacun ruminant ses propres opinions sur le sujet, ignorant l'un comme l'autre à quel point ils se sont retrouvés proches de deviner la vérité.
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