1x11 - Quitte ou double (14/15) - ADN

Contrairement à sa visite chez la brigade cyber, le matin-même, Iz revient de son passage par la scientifique avec un grand sourire sur le visage. Elle y a passé à peu près autant de temps mais y a appris bien plus. Avant même d'ajouter le rapport qu'elle vient de recevoir au dossier général de l'affaire, ou même de seulement retirer son manteau, elle se précipite vers Sam et Patrick, ses correspondants privilégiés parmi les inspecteurs, en tant que têtes de lance de l'enquête.

— Hey ! J'ai du nouveau ! elle leur annonce d'un ton victorieux, contenant difficilement son excitation.

— Sur ? s'enquiert Sam, faisant tourner sa chaise vers elle alors que Patrick se contente de lever la tête.

— Le labo a enfin commencé à craquer cette mystérieuse substance jaune avec laquelle Eugène signe ses crimes, révèle la jeune femme, espérant leur communiquer son entrain.

— J'ai du mal à te prendre au sérieux quand tu sors des phrases pareilles, commente cependant Randers en fronçant le nez.

Il ne sait pas ce qui le déconcentre le pus : le terme de "mystérieuse substance jaune", ou bien le surnom du tueur.

— Bref, ils ont enfin réussi à isoler sa composition. Un problème avec une molécule insécable trop lourde, elle reformule son annonce sans les éléments de distraction.

— Et ? Sam l'incite à vider son sac, impatient maintenant.

— Et c'est majoritairement de l'ADN, elle déclare en hochant la tête, contente de son effet.

— Tu veux dire qu'on le tient ? On a son dossier ? Patrick se redresse, enfin réellement intéressé par ce qu'on lui raconte.

— Oh non. Ce n'est pas le sien, le détrompe hélas instantanément la jeune femme, passant d'un mouvement de tête affirmatif à négatif.

La supposition était de toute manière osée même si ça avait été le cas, puisque très rares sont les dossiers criminels qui ne comportent pas de photo. Ainsi, si Eugène était fiché génétiquement, il aurait été particulièrement malchanceux que son portrait-robot ne permette pas également de l'identifier.

— Et on est sûrs de ça parce que…? demande Sam, déçu mais sachant bien qu'Iz ne serait pas aussi enthousiasmée par les résultats s'ils n'étaient qu'une nouvelle impasse.

— C'est de l'ADN, oui, mais ce n'est pas humain. Ou pas entièrement, en tous cas. C'est tout un tas de matériel génétique mis bout à bout, elle essaye d'adapter ce que les techniciens lui ont appris au labo à son auditoire.

— Comme une bombe à ADN ? propose Randers.

Comme tous les inspecteurs du monde, il déteste cette pratique de certains tueurs à gage, de pulvériser un amalgame de différents profils génétiques sur leurs scènes de crime, dans le but de dissimuler le leur, évidemment. C'est triste, mais on ne peut que constater que les avancées scientifiques profitent aussi bien aux criminels qu'aux forces de l'ordre, maintenant un frustrant statu quo du point de vue des statistiques.

— Non, pas vraiment. C'est plus sophistiqué. Les différents fragments n'ont pas simplement été mélangés mais liés. Et fortement, en plus. C'est ce qui a empêché le séquençage traditionnel, le corrige Iz.

Il n'y aucun intérêt à lier les différentes molécules dans une bombe à ADN, puisque le séquençage consiste justement à les découper en morceaux à leurs points les plus faibles et analyser la fréquence de récurrence de certains segments reconnaissables.

— Donc, c'est un peu pareil, mais… en plus stupide ? essaye de comprendre Patrick, perdu malgré les efforts de vulgarisation de son interlocutrice.

— En plus malin, en fait. Ça nous a bien pris tout ce temps pour craquer le problème, et ça ne nous avance même pas sur l'identité du tueur. À part le fait que c'est un génie de la biochimie, mais ça, on en avait déjà une petite idée, entre ses causes de décès inexpliquées et la façon dont il a stérilisé toutes ces personnes, le reprend à nouveau la jeune femme.

Joseph Pierce n'est en effet pas la seule victime d'Eugène dont la mort ait soulevé des questions techniques inattendues. Sam et Patrick n'ont pas été les seuls inspecteurs à considérer la possibilité de compétences de chimistes chez celui qu'il pourchassait.

— Et on est sûrs qu'il a pas mis le sien dans la chaîne ? demande une dernière fois Randers, encore plein d'espoir.

— Le séquençage est laborieux, donc non. Mais ça semble quand même peu probable. Jusqu'ici, les gars du labo ont seulement réussi à isoler les séquences pour des enzymes végétales et animales, type venins et toxines, elle répond, de mémoire.

— C'est bizarre, comme combinaison. Tu penses qu'il y aurait une logique dans les sources qu'il a utilisées ? intervient alors Sam.

Si elle ne révèle pas son identité, la séquence choisie a tout de même forcément un sens, sinon pourquoi se donner tant de mal pour la déposer sur chacune de ses scènes de crime ? Ça ne peut pas simplement être pour faire piétiner l'enquête, sinon il aurait déposé la substance plus en évidence. Et pour le reste, il semble avoir fait preuve d'une attention au détail remarquable, alors il n'y a pas de raison qu'il en manque sur ce point-là uniquement.

— Si c'est le cas, son message commence à devenir beaucoup trop compliqué pour être efficace, Iz ne peut malheureusement pas répondre à la question à ce stade.

— Mais il aurait besoin de quoi, pour concocter un truc pareil ? Pat revient alors à la charge sous un autre angle, tenace.

— En dehors d'une connaissance poussée de la biologie moléculaire er… L'accès à des matériaux génétiques et de l'équipement de labo spécifique. Et sans doute un certain temps, vu le poids de la molécule finale, sans compter que la séquence choisie n'est effectivement probablement pas anodine, répond la jeune femme, levant les yeux en l'air et à sa gauche dans sa réflexion.

— Tu penses à quoi ?

Sam devine que son coéquipier avait déjà quelque chose derrière la tête en posant sa question.

— Je pense qu'on va le trouver par là. S'il a besoin de matos particulier, ça peut peut-être le coincer, Pat explique tout simplement.

S'ils avaient déjà envisagé l'angle du chimiste, après avoir découvert la cause de la mort exacte de Joseph Pierce, ils n'avaient malheureusement rien pu en tirer alors. Comment retrouver le créateur d'un composé qui s'auto-digère sans laisser de trace ? Impossible d'en déterminer la composition, et par conséquent ce dont on aurait besoin pour le synthétiser. Et tous les scientifiques répertoriés capables d'une telle prouesse en théorie avaient pu fournir un alibi pour la nuit du meurtre et avaient par conséquent tous été écartés de la liste des suspects potentiels. Quant à essayer de trouver un chimiste clandestin, ça avait relevé de l'impossible, sans plus d'éléments à son sujet. D'autant que le profil type du bactérioterroriste n'est de toute façon pas tellement une victime unique confrontée en personne, mais plutôt une attaque de masse et à distance.

— D'accord. Donc… il va falloir recontacter tous les labos des environs, pour savoir s'ils ont été cambriolés ou même seulement squattés, cette fois. C'est pas un trucs dont ils nous auraient spontanément parlé quand on les a appelés la dernière fois. Et je pense aussi aux fournisseurs d'équipement, enchaîne le maître-chien du tac au tac.

— Et puisque ce type se la pète avec son génie, pourquoi pas les fournisseurs de matières premières, aussi, tant qu'on y est, renchérit Patrick.

Iz suit l'échange entre les deux hommes, ses yeux allant de l'un à l'autre, impressionnée de voir leur duo à l'œuvre. Le travail d'équipe a toujours quelque chose de beau.

— Tu penses qu'il pourrait avoir fabriqué son propre équipement ? elle se permet tout de même de demander, dubitative sur ce point.

— C'est un super moyen de pas être retrouvé. On a eu un assassin, il y a quelques années, qui fabriquait chacune de ses armes de crime maison. Genre, à couler les pièces dans un moule fait main. On a eu du mal à le choper, Patrick soutient sa suggestion avec une anecdote.

— Mais au moins, vous avez fini par l'avoir. Ça me rassure, Iz leur accorde leur idée, même si elle espère qu'Eugène n'en est pas à ce stade.

Une erreur. Une toute petite erreur de rien du tout, juste assez pour le coincer, est-ce que c'est trop lui demander ? Tout le monde fait des erreurs, non ? Ce type n'est pas humain.

— Ouais. En écumant tous les bâtiments alternatifs inhabités de la ville. Tu n'as pas envie de deviner combien il y a d'entrepôts vides à Chicago, Sam se voit contraint de tempérer son optimisme, se souvenant très bien de l'affaire dont vient de faire mention son partenaire.

Les facilités de logement ne sont pas toujours un avantage, quand il est question de retrouver un fugitif ou localiser une opération criminelle. Même un Citoyen peut avoir accès à un espace non-répertorié, puisqu'aucun des modes de vie n'exclut l'accès à l'autre. Par une cruelle ironie du sort, ce sont les gens qui exploitent le système Alternatif qui lui donnent mauvaise réputation, pas ceux qui y croient réellement.

— On s'inquiétera peut-être de ça quand on aura déterminé qu'il ne squatte pas une infrastructure existante, non ? Rasoir d'Ockham et tout ça, suggère donc Iz, son enthousiasme initial à rapporter les résultats du labo un peu douché par la perspective de tout le travail qu'il reste à abattre.

— Quoi ? ne comprend pas Patrick.

— Principe de parcimonie. Toujours tester l'hypothèse la plus simple en premier, traduit Sam machinalement.

— Pourquoi est-ce qu'elle a pas dit ça, alors ? grommelle l'ignorant en écartant les mains, un peu vexé.

— Je crois qu'il est temps pour tout le monde de rentrer. Plus personne n'a les yeux en face des trous, à cet étage. Je répartirai le travail entre les équipes demain, suggère alors Jones avant que le tempérament colérique de Randers n'ait raison de lui.

Si elle n'a pas utilisé le terme courant, c'est parce qu'elle est elle-même un peu fatiguée. Parler à des experts toute la journée lui a rappelé ses années de thèse, l'a ramenée en ce temps pas si lointain où les grands mots ne faisaient peur à personne autour d'elle. Rétrospectivement, elle sait qu'elle devait avoir l'air particulièrement pédante, à cette époque, mais sur le coup, c'était sympa.

Ni l'un ni l'autre de ses interlocuteurs ne pouvant honnêtement protester à cette proposition, ils se lèvent tous les deux et rassemblent leurs affaires. Pendant ce temps, elle fait le tour des bureaux encore occupés, afin de prodiguer son conseil à tous ceux qu'il concerne, tous ces irréductibles qui savent qu'ils ne pourront plus rien faire de productif à cette heure-ci mais n'arrivent pas à s'amener à l'accepter vraiment.

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