1x11 - Quitte ou double (12/15) - Ecchymose

Assis sur le bord de la table d'examen de l'infirmerie du lycée, jambes dans le vide, Jack laisse Holden examiner la contusion massive qui orne le coin de sa pommette. Initialement, le petit blond n'avait aucune intention d'aller se faire soigner, mais ses camarades de répétition musicale l'en ont convaincu. Ou plutôt, ils ont refusé de jouer tant qu'il ne cédait pas, ce qui est bien la seule façon d'obtenir quoi que ce soit de sa part. Et ils ont eu raison, car pour quelqu'un qui ne s'était jamais battu, Caesar ne l'a en effet pas loupé. Il a mis tout son poids dans sa frappe, ce qui explique sans doute qu'il se soit aussi fait mal à la main.

— Alors, petit copain jaloux, ou tu as simplement insulté quelqu'un ? le trentagénaire interroge son jeune patient, malheureusement habitué à ce type d'intervention sur lui.

— Ni l'un ni l'autre. Que je sache, répond Jack sans émotion.

— Hum. D'habitude, tu portes ce type d'ecchymose comme un badge d'honneur. Qu'est-ce qui s'est passé ? s'étonne l'infirmier, fronçant légèrement les sourcils.

— Rien, le petit blond reste résolument fermé à l'inquisition, ne regardant même pas celui qui le soigne en face.

— J'ai du mal à croire qu'on t'a frappé aussi fort sans raison, fait remarquer l'adulte, qui n'a pas manqué la gravité de la blessure pour un impact unique.

Il se souvient très clairement de la toute première visite du jeune prodige dans son bureau. Malgré toute son expérience au service des urgences, il avait failli paniquer, les conditions aussi sérieuses plutôt rares dans un contexte scolaire. Depuis le quatrième passage de Jack sur sa table d'examen cependant, pour des raisons plus ou moins similaires au premier, c'est à peine s'il sourcille lorsque l'adolescent apparaît dans l'encadrement de sa porte. Il met néanmoins toujours un point d'honneur à obtenir le fin mot de l'histoire, par acquit de conscience.

— Moi aussi, confirme le petit génie, sans en dire plus pour autant.

— Tu sais, celui qui t'a frappé s'est probablement fait mal à la main. Il devrait venir me voir aussi, Uglow change donc de tactique après un court silence.

À sa connaissance, les ados ont deux raisons de ne pas parler de leur agresseur : la peur des représailles, et la solidarité. La première alternative ne collerait pas tellement au personnage de Jack, téméraire et provocateur à l'excès. Reste donc la seconde possibilité, qui a au moins le mérite de désigner le coupable sans aucun doute possible comme son seul véritable ami dans l'établissement, Caesar Quanto. Ça collerait aussi avec l'angle descendant de la frappe, cohérent avec la différence de taille entre les deux amis.

— Ouais, mais vu qu'il m'en a mis une, je suis difficilement en position de lui donner des conseils, non ? répond simplement le jeune homme, refusant obstinément de dénoncer son camarade et venant enfin planter ses yeux dans ceux de l'infirmier.

Holden s'écarte de son patient et fronce encore un peu plus les sourcils. Si Caesar a frappé Jack, il devait forcément y avoir des circonstances atténuantes, en connaissant son tempérament paisible. Et il y a aussi et surtout nécessairement eu des témoins, ne serait-ce que digitaux. Se taire n'apporte donc rien à personne. En plus de ça, même si le trentagénaire le voulait — ce qui n'est pas le cas — il n'a aucunement le pouvoir de sanctionner le comportement du grand brun. Tout ce qu'il veut, c'est s'assurer qu'il va bien, aussi bien physiquement qu'émotionnellement.

— Tu n'as rien de cassé. Tu connais la chanson, tu gardes ça au froid tant que ça n'a pas dégonflé. Et je veux aussi que tu reviennes me voir tous les jours tant que ça n'aura pas repris une couleur normale, d'accord ? l'infirmier choisit de prescrire au lieu d'insister, après un soupir avorté.

— D'accord, coopère l'adolescent, sans même essayer de protester à la surveillance aussi inhabituelle qu'exagérément stricte imposée par son soigneur, alors qu'il a déjà tenté de négocier pour moins que ça.

L'adulte se déplace jusqu'à l'armoire à pharmacie, aussi bien pour aller y chercher une pochette réfrigérante que pour cacher le trouble qui s'accentue sur son visage. Il ne le connaît que depuis quelques mois, mais il n'aurait jamais pensé que le surdoué puisse être plongé dans une humeur aussi noire. Et il se rend compte qu'il n'a pas la moindre idée de comment gérer une telle situation. Lui parler donne l'impression de s'adresser à un extraterrestre parfois, tant il évolue dans des sphères différentes de quiconque qu'il ait jamais rencontré. Il est déjà suffisamment épineux de consoler un adolescent pour ainsi dire normal, mais lui, ça relève de la mission impossible.

— Est-ce que Caesar t'a fait ça ? Holden prend alors son courage à deux mains et ose demander, alors qu'il revient vers son patient et lui tend le coussin glacé qu'il vient de récupérer dans son armoire.

— Je me souviens pas, ment éhontément le petit blond en acceptant l'objet, sans même se donner le mal d'inventer quelque chose de plus crédible, puisque tout le monde sait qu'il mémorise absolument tout.

— Tu es conscient que j'écris un rapport sur chaque blessure reçue par un élève au sein de l'établissement ? Aussi bien accidentelle que volontaire, annonce l'infirmier, sachant que son interlocuteur saura en tirer les bonnes conclusions.

À vrai dire, il est très certainement déjà au courant, mais le lui rappeler pourrait peut-être l'inciter à ne pas se borner à un silence inutile, on ne sait jamais. À moins qu'il ne se taise pour une autre raison que pour ne pas dénoncer son camarade, mais l'infirmier a du mal à l'imaginer avoir honte de quoi que ce soit. Il est le roi de l'excès d'information, d'habitude. Il lui est arrivé de partager son historique d'activité sexuelle alors qu'il venait le voir pour une brûlure chimique. Mais peut-être cherchait-il aussi à punir celui qui la lui avait infligée par maladresse et l'avait accompagné jusqu'ici. Caesar, justement.

— Je suis pas inquiet. Merci pour le traitement. Je peux y aller, maintenant ? le lycéen se lasse malheureusement de cette conversation et descend de la table d'examen d'un bond.

— Oui. On se voit demain, doit bien se résigner Uglow, non sans un lourd soupir, qu'il ne cherche pas à dissimuler cette fois.

Une seconde plus tard, l'adolescent a disparu, son sac à l'épaule, claquant presque la porte derrière lui.

Les sourcils du trentagénaire restent arqués d'inquiétude alors que son regard se perd dans le vide laissé par son patient récalcitrant. Il a toujours été doué pour écouter. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquels il est si bon à ce qu'il fait, même si ça implique qu'il ne compte pas ses heures. Parallèlement, il sait que discuter n'est pas la panacée non plus et que tout le monde ne gère pas les choses qui l'embêtent de la même manière. Il croit cependant, avec l'expérience, être en mesure de déterminer si quelqu'un fait le mauvais choix en décidant de se fermer. Et aussi abscons le comportement du jeune génie lui paraisse parfois, il est en le cas présent à peu près certain qu'il ne devrait pas gérer sa situation comme il est en train de le faire. Ce qui ne présage rien de bon pour personne.

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