1x11 - Quitte ou double (1/15) - Réflexion

Ses yeux bruns suivent avec application les fines lignes rouges qui parcourent le visage qui lui fait face. Chaque trait cramoisi est entouré de sa propre aura jaune-violacée, caractéristique d'un hématome qui commence enfin à se résorber peu à peu. L'arcade sourcilière gauche est surmontée d'une mince zébrure écarlate presque horizontale, qui devient verticale juste avant d'atteindre la tempe, d'où elle court jusqu'au coin de l'œil. Ce même côté du visage est également griffé, un peu plus profondément peut-être si moins régulièrement, pratiquement de la base du cuir chevelu jusqu'à l'angle de la mâchoire. L'entaille qui orne la pommette correspondante se dispute quant à elle le prix de plus impressionnante avec celle qui barre le nez. Enfin, un bleu massif dépasse, sur la droite, de l'épaisse barbe foncée qui mange le bas du visage, repris comme dans un écho funeste en haut du front, de ce même côté.

Avec un soupir qui le fait grimacer de douleur, Alek se détourne du miroir de sa salle de bain et quitte la pièce, en direction du rez-de-chaussée.

Suite à l'invasion de son laboratoire la semaine précédente, le père de famille a été mis en congé forcé, le temps de sa convalescence aussi bien que de l'enquête sur les responsables. Comme l'avait deviné son frère, l'ingénieur avait effectivement un traumatisme crânien. Il avait aussi plusieurs côtes quelque part entre le fêlé et le cassé. C'est toujours le cas d'ailleurs, sept jours de repos ne suffisant pas aux os pour se reformer. Et la vision des grandes zones pourpres correspondantes sur ses flancs, en plus de la douleur qu'elles amènent au moindre mouvement, conduit invariablement le blessé à se regarder avec intensité dans la glace chaque matin comme il vient de le faire à l'instant, tout en se demandant comment il aurait pu faire pour éviter que la situation dégénère à ce point.

Il a raconté à Caesar et Mae qu'il y avait eu un accident à son laboratoire, aussi bien pour ne pas les alarmer que parce qu'il est tenu au secret tant que l'investigation est encore en cours. Ça n'a pas empêché les deux adolescents de s'inquiéter en le voyant ainsi blessé, le soir-même, mais au moins ils ne craignent pas que ça se reproduise. Ce dont il ne peut pas se réjouir pour lui-même.

Il espère que l'idée de Markus, de rapporter l'intrusion aux autorités compétentes, aura semé le doute dans l'esprit de ses partenaires et qu'ils sont à présent encore moins sûrs qu'auparavant qu'il détient des documents compromettants à leur sujet. Il semblerait en effet légitime de penser qu'il n'aurait jamais soumis son système à l'inspection si c'était le cas. Et moins les biologistes fous sont sûrs de leur coup, moins ils risquent de venir après lui une nouvelle fois. Mais ce ne sont hélas que des conjectures tout de même. L'ingénieur reste inquiet de ce dont DG seraient capables en se sentant menacés, même sans certitude. Ils n'ont visiblement pas beaucoup hésité à s'en prendre à lui, et sa plus grande crainte est qu'ils décident de s'attaquer à sa famille.

Pour éviter de trop songer à ces sombres éventualités, puisqu'il ne peut de toute façon rien faire pour empêcher leur concrétisation pour le moment, l'ingénieur se concentre sur le cas de Robert.

Depuis cette soirée fatidique où il a enfilé la bague maudite, le meilleur ami de son fils aîné est dans l'exacte même condition que la sœur de Jena, ce qui a redoublé la motivation du scientifique, s'il en avait besoin, de trouver un moyen d'inverser le processus. Le plus dur est qu'il connaît les Gleamer. Il les a croisés à toutes les réunions de parents d'élèves de Markus pendant ses quatre années de lycée et ce sont des gens charmants. Ça n'a rien de surprenant, au vu du caractère particulièrement débonnaire de leur fils unique, mais ça ne fait qu'amplifier l'empathie qu'on peut ressentir pour eux.

Pour ainsi dire assigné à résidence, Aleksander n'a malheureusement pas tout le matériel nécessaire pour localiser l'éventuel signal neurologique du jeune homme, mais il y travaille. Il espère à vrai dire mettre au point un système pour pouvoir suivre les allées et venues de Caroline, également. Elle devrait normalement être moins difficile à traquer, puisqu'elle est dans cet état numérique depuis plus longtemps et est donc en théorie un peu plus "définie".

Plus intéressant encore serait de parvenir à ouvrir une voie de communication bilatérale avec l'adolescente. Jusqu'ici, elle a réussi à transmettre des informations, mais l'ingénieur ne sait pas trop comment il pourrait s'y prendre pour lui en faire passer à elle. Pas de manière efficace et sécurisée, en tous cas.

Une autre inquiétude est de comprendre comment ces deux accidents ont seulement pu se produire. Quelle combinaison de produits a pu conduire à la synthèse du composé catalytique à l'activation de l'anneau, sur la peau des deux victimes, pourtant rare d'après son analyse préliminaire ? Et surtout en quantité suffisante pour arriver jusqu'au capteur correspondant ? En rendant la bague à Jena, jamais Alek n'avait imaginé que l'incident se reproduirait, sur elle ou qui que ce soit d'autre. Il pensait à vrai dire avoir carrément verrouillé le processus. Il aurait bien évidemment conservé l'objet sous sa garde sinon. Ou du moins, il essaye de se convaincre que c'est ce qu'il aurait fait.

La vérité, c'est qu'il ne travaille pas avec les utilisateurs de ses créations. Toutes ses recherches sont théoriques, ou en tous cas conceptuelles. Il ne prend jamais part aux essais de terrain. Il n'a cependant par ailleurs jamais eu la moindre plainte vis-à-vis de ses inventions non plus. Mais si cette habitude de distanciation explique son oubli du facteur humain, ça ne l'empêche pas pour autant de s'en vouloir cruellement de cette erreur en le cas présent. D'autant plus que la victime n'est pas un volontaire conscient des risques qu'il encourait mais un innocent, qu'il connaît personnellement de surcroît. De quoi laisser penser au père de famille, par moments, qu'il méritait peut-être les coups qu'il a reçus de ces deux gorilles en tenues d'intervention.

Un signal sonore l'alertant que l'eau qu'il a mise à chauffer est bouillante, Alek la retire du feu, éteint la plaque, puis verse le liquide dans sa tasse de thé avant de se diriger vers son laboratoire à domicile. Il va une fois de plus y passer la journée. Il le faut et il n'y rechigne pas. Entre comprendre ce qui a provoqué les accidents de Caroline et Robert, trouver un moyen de gérer leur état actuel puis de les ramener à leur condition originelle, et tenir DG à l'œil, l'ingénieur a beaucoup à faire.

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