1x10 - Chaussons de verre (9/18) - Invasion
En revenant de sa pause déjeuner, une tasse de thé vert à la main, Alek remarque que la porte de son laboratoire est entrouverte. Or, il n'oublie jamais de fermer en partant et ne se souvient pas d'avoir fait exception à son habitude aujourd'hui. Il est distrait ces derniers temps, mais tout de même. Et quoi qu'il en soit, TOBIAS est programmé pour corriger des absences d'esprit aussi simples lorsqu'elles surviennent.
Interrompant son geste de souffler sur son breuvage fumant, l'ingénieur pousse doucement le battant de sa main libre. Immédiatement, une silhouette tout de noir vêtue s'abat alors sur lui. Il se voit saisi par le poignet, et on utilise cette prise pour le faire pivoter afin de l'attraper par derrière et pouvoir lui placer quelque chose de fin et froid sous la gorge, qu'il ne peut que supposer être une lame.
Dans son faible réflexe de ne pas se laisser faire, sa tasse lui échappe. Le récipient résiste à l'impact avec le sol, mais le liquide brûlant qu'il contenait s'y répand.
— Mais qu'est-ce que…? il a juste le temps de dire, confirmant malgré lui que c'est effectivement une arme blanche qu'on lui tient sous le cou lorsqu'elle écorche légèrement sa pomme d'Adam à sa tentative de prise de parole.
— Pas un geste, lui intime son agresseur derrière lui dans un souffle lugubre, tout en lui maintenant fermement les bras le long du corps, dans une étreinte digne d'un boa constrictor.
Un rapide coup d'œil dans la pièce permet au scientifique de repérer deux autres intrus en plus de celui qui l'entrave : l'un à sa console, par-dessus l'épaule duquel regarde le dernier. Ils sont également en noir de la tête aux pieds, dans des tenues d'intervention particulièrement avancées. Évidemment, aucune marque de fabrique n'est visible sur aucun de leurs équipements.
— Je n'en avais pas l'intention. Qu'est-ce que vous faites ici ? Alek se soumet mais interroge tout de même, trop surpris pour encore perdre son calme.
— On cherche quelque chose, répond celui des trois intrus qui se tient debout au milieu de la pièce, tournant la tête vers leur otage.
— C'est plutôt vague… commente l'ingénieur dans sa barbe, le stress rendant sa voix intérieure peut-être un peu plus haute que d'habitude.
— Vous avez des documents qui vous appartiennent pas. On est là pour les récupérer, précise à son oreille l'homme qui le tient en respect.
— Non seulement vous êtes sans doute au mauvais endroit, mais votre timing est déplorable, n'arrive une nouvelle fois pas à se retenir de commenter Aleksander.
Il est vrai qu'à une minute près, il n'aurait sans doute jamais su qu'ils étaient passés, puisqu'en dehors de leur présence, rien ne semble dérangé dans la pièce. Et il s'est absenté pendant un long moment, ce qui laissait amplement le temps aux envahisseurs de faire ce qu'il avaient à faire. Il sent son tortionnaire se tendre dans son dos, mais aucunes représailles ne viennent suite à cet affront.
— On a besoin de toi pour déverrouiller le système, le mercenaire justifie leur présence alors qu'il est de retour, tout en le poussant en avant, vers ses acolytes et le milieu de la pièce, bien entendu sans le lâcher.
— Ça n'est pas près d'arriver, lui annonce immédiatement l'ingénieur, avec une spontanéité qu'on ne peut pas feindre.
— C'est votre labo, pas vrai ? reprend alors le plus désœuvré des trois, alors que leur dernier collègue s'escrime toujours à la console, en silence autant qu'en vain.
— Oui. C'est bien pour ça que je l'ai conçu pour ne fonctionner que lorsque j'y suis seul, Alek élabore les raisons de son objection si naturelle, juste avant.
Seul ou accompagné de personnel expressément autorisé à se trouver là, mais ce n'est peut-être pas le moment d'entrer dans les détails. D'autant qu'il n'est même pas en mesure de délivrer une telle autorisation de présence, ayant sciemment choisi de partager ce pouvoir avec la base dans laquelle son laboratoire se trouve, spécifiquement afin de ne pas pouvoir être contraint à l'exercer sous la menace.
— Conneries. Déverrouille, lui ordonne son gardien, le poussant de nouveau en avant.
— Ça ne vous a pas semblé étrange d'avoir pu entrer dans cette pièce sans problème ? leur fait remarquer l'ingénieur.
Tout bon chercheur qui se respecte, a fortiori lorsqu'il travaille pour le gouvernement, met en place des mesures de contre-espionnage sur ses travaux, pour empêcher des individus mal intentionnés d'y avoir accès ; le fruit de la Recherche étant open source pour les Citoyens, seuls des criminels ayant perdu ce statut peuvent vouloir y accéder sans demander permission. Ainsi, la plupart des biologistes et chimistes qui manipulent des produits dangereux et/ou contagieux disposent d'un système de terre brûlée, qui incinère la totalité du contenu de leur laboratoire à la moindre brèche, intrus y compris, ne conservant que des archives numériques de leur travail, et encore. Les physiciens sont généralement moins extrêmes mais tout aussi efficaces pour empêcher leurs créations d'atterrir entre les mauvaises mains. En l'occurrence, même le supérieur direct d'Aleksander ne pourrait pas accéder à ses fichiers sans son autorisation expresse doublée de sa présence.
Malheureusement pour le chercheur, sa bravade incontrôlée ne plaît pas trop à ses visiteurs indésirables, aussi légitime ait-elle été, et le chef de la troupe le rejoint pour venir lui coller son poing sous les côtes. Le père de famille se plie en deux et ne peut même pas profiter d'être débarrassé du couteau sous sa gorge, son souffle coupé.
— On doit se répéter ? le menace le boxeur, ramenant ses yeux au siens d'une main sous son menton, dédaigneux, sûr de son autorité.
— Je serais plutôt encore moins motivé pour vous aider, maintenant, répond Alek, qui a malheureusement plus jeune pris l'habitude de se montrer effronté face à la violence.
Si son frère est un bagarreur, lui a toujours été un pacifiste. Cette attitude est hélas souvent agaçante pour les brutes qui peuplent inévitablement une cours d'école et il lui est arrivé de prendre quelques raclées. Tout en gagnant en endurance à la douleur et en capacité d'auto-diagnostic, il a cependant vite compris que les mots désarmaient la plupart du temps les comportements les plus belliqueux. Il a aussi compris que lorsque ça ne fonctionnait pas, justement, ça ne faisait qu'aggraver sa situation. Mais à défaut d'une alternative qu'il juge acceptable, autant prendre le risque.
— On peut rien faire sans l'admin, intervient enfin le hacker du groupe.
À ce qui est affiché sur les écrans, il n'est pas mauvais dans sa discipline. S'il était médiocre, rien ne se serait ne serait-ce qu'allumé dans cette pièce. Sa présence explique au moins pourquoi TOBIAS n'a pas refermé la porte ou sonné l'alarme. Mais malgré ses talents, le pirate reste dans l'impossibilité d'accéder à quoi que ce soit de conséquence, réduit à un rang inférieur à celui d'invité.
— Chier ! Je savais que cette op serait merdique ! rage le chef du groupe, serrant les poings.
— Sous-équipés, peut-être ? brave Alek, à vrai dire étonné qu'un homme visiblement entraîné s'agace aussi rapidement.
— La ferme ! lui intime celui qui le tient toujours, ramenant son couteau sous sa gorge, maintenant que la douleur fulgurante du coup qu'a pris son prisonnier est passée et qu'il peut se redresser.
— Je ne sais pas qui vous a envoyés ici, mais vous avez clairement beaucoup trop confiance en eux. Un repérage minimal vous aurait appris que je suis un expert dans mon domaine ; personne ne récupère quoi que ce soit de mon système sans mon autorisation, poursuit malgré tout l'ingénieur, trouvant l'invasion décidément bien maladroite.
— C'est pour ça qu'on est là ! s'exclame le leader, levant les bras au ciel, exaspéré par ce dialogue de sourds.
— Même si j'étais enclin à essayer de contourner le besoin d'une double validation de votre présence, je ne pourrais pas : je perds mes droits d'administrateur sous la contrainte, lui explique Alek, sûr de son système.
Dans son état d'agitation actuel, il ne pourrait pas sortir TOBIAS de sa dormance sécuritaire, encore moins lui faire oublier une obligation si profondément ancrée dans son code ; toute anomalie dans ses signes vitaux est perçue comme une brèche. Ça lui a d'ailleurs quelques fois joué des tours, mais il préfère ne pas y penser maintenant.
— Et qu'est-ce qui se passe si tu crèves ? lui demande alors celui qui tient toujours un couteau sous sa gorge, dans un bon de logique inattendu.
— Er… Mes fichiers sont perdus, répond tout de même l'ingénieur, n'hésitant qu'à cause du tournant extrême de la discussion.
— Conneries. Tous les chercheurs veulent que leurs idées prospèrent, proteste celui qui lui fait face.
— Selon mes termes ou pas du tout, lui renvoie son prisonnier, d'un ton assuré mais non sans une déglutition inquiète malgré tout.
Le leader du trio ne répond rien. Il soupire simplement, se résignant à l'échec de sa mission, puis fait un vague signe de la main à son collègue derrière Aleksander. L'ingénieur se voit alors violemment poussé en avant, la lame sous sa gorge par chance retirée juste à temps pour qu'il ne s'y tue pas. Il atterrit à quatre pattes par terre, avant de recevoir un coup de pied dans les côtes de la part de son geôlier. L'impact l'envoie rouler sur le côté dans une onomatopée de douleur. Rapidement, le chef du groupe imite son subalterne et le père de famille perd bientôt connaissance sous les coups des deux mercenaires. La dernière chose qu'il voit est une botte de combat percuter son menton.
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