1x10 - Chaussons de verre (8/18) - Sous-texte

Après leur cours de sport, qui conclut comme chaque semaine la matinée du Lundi, Ellen et Mae avancent en silence en direction du réfectoire, toutes les deux ruminant leurs propres pensées.

La marginale est particulièrement inquiète pour Nelson, qui ne leur a toujours pas accordé un regard depuis sa houleuse confrontation avec sa petite amie devant leur salle de littérature, quatre heures auparavant. Elle sait de quoi il a l'air lorsqu'il est triste, et là il est juste en colère, ce qui est à son sens pire. Et savoir de surcroît qu'elle n'est pas en position de faire quoi que ce soit pour le tirer de ses sombres ruminations parce qu'il n'accepterait sûrement pas son aide lui mine vraiment le moral à elle aussi.

Au détour d'un couloir, les deux adolescentes tombent soudain nez à nez avec l'infirmier du lycée, étonnamment loin de son bureau. Le trentagénaire se fige en les trouvant, pour le moins interdit : lui d'ordinaire si propre sur lui, un pan de sa chemise dépasse de sous son pull, par-dessus son pantalon, et son col est mal ajusté. D'un geste hâtif, il s'empresse de replier la bande de tissu, pouvant sans doute la sentir mal mise sur le côté de son cou, mais ça ne fait au contraire qu'attirer l'attention sur son inhabituel ébouriffement.

— Hrm. Mae. Ellen. Bonjour, l'adulte salue les lycéennes après s'être éclairci la gorge, avec un sourire crispé qui ne peut malheureusement pour lui pas cacher le rouge qui lui monte aux joues.

— Bonjour, Holden, lui répond Ellen avec un plissement des yeux soupçonneux comme elle sait si bien les faire, ne comprenant pas trop pourquoi il est dans cet état, aussi bien physique qu'émotionnel.

— Bonjour, lui offre également Mae, à la fois bien élevée et elle aussi un peu intriguée.

La réponse au questionnement des deux jeunes filles se fait rapidement connaître lorsqu'Andy arrive en provenance de la même direction que leur interlocuteur. Elle n'est pour sa part ni décoiffée ni débraillée, mais le regard qu'elle accorde à l'infirmier en dit long sur ce qui vient de se passer entre eux. Quoique peut-être pas aussi long que le redoublement de la rougeur des joues du trentagénaire à cet échange muet.

— Hey, Maena, la belle blonde salue ensuite l'adolescente qu'elle connaît, pour sa part éhontée de ce qui vient très probablement de se dérouler entre elle et l'infirmier.

— Bonjour, Andy, arrive à répondre poliment Mae, pourtant tout à coup blanche comme un linge, à l'opposé de l'homme en face d'elle.

Pour éviter de rendre la situation plus embarrassante qu'elle ne l'est déjà pour tout le monde, et de pousser l'infirmier à prendre une teinte de rouge à peine croyable, Ellen prend les choses en mains et s'empresse d'entraîner sa camarade par le bras pour contourner les deux adultes, ne laissant à personne le temps d'ajouter quoi que ce soit.

— C'est tellement scandaleux ! la marginale s'exclame une fois hors de portée de voix, la main devant sa bouche grande ouverte, pensant que le teint de son amie est dû à la même chose qui la fait elle-même glousser.

— T'as pas idée… confirme Mae d'une voix pratiquement tremblante, en réalité tout simplement encore sous le choc d'avoir vu Andy dans les locaux.

Il ne lui en faut pas plus pour être mentalement de retour au coin de cette ruelle, Mardi soir dernier, en face de Strauss, toujours immobilisée dos au mur…

— Être à Walter Payton nous a permis de collecter de précieuses informations, oui, le mathématicien confirme en partie la proposition pourtant voulue absurde de son élève, la laissant encore plus interloquée qu'auparavant si c'est possible.

— Comme quoi ? rebondit Mae, de plus en plus déroutée.

— Ça n'a pas d'importance, il écarte la question, las.

— Oh. Parce que vous allez vous débarrasser de moi, elle déduit, d'un fatalisme étrangement détaché, le temps de la terreur passé, apparemment.

— Je ne vais pas me débarrasser de toi, Maena ! il la corrige, la regardant comme si elle était déraisonnable, alors que la présence d'un cadavre à quelques dizaines de mètres d'eux à peine justifie totalement sa noirceur.

— Sauf que vous n'avez pas l'air décidé à me laisser rentrer chez moi, alors il faudrait peut-être faire un choix ! elle grince entre ses dents.

— Je sais. J'essaye, il se défend, comme vexé par son accusation.

— Vous êtes pas des agents spéciaux, pas vrai ? elle revient sur son raisonnement précédent, qu'elle avait initialement voulu exagéré, mais qu'il n'a pourtant pas complètement nié en bloc.

— Je n'ai jamais dit que nous en étions. Quoi que ça puisse être… il lui fait remarquer.

— Si c'était le cas, vous auriez un protocole de gestion des témoins et je ne serais pas plaquée contre un mur, elle poursuit sa réflexion à haute voix.

— Je suis désolé à propos de ça, il glisse, semblant sincère mais sans faire mine de vouloir la laisser se dégager pour autant.

— Aussi, vous pourriez prévenir la Police de votre enquête, pour qu'ils ne soient pas dans vos pattes, elle continue, l'ignorant totalement.

— Arrête de parler, il lui demande alors, comprenant qu'elle s'égare et n'ayant pas la patience pour ça maintenant.

— Je vais sans doute mourir dans pas longtemps, alors je fais ce qu…

— Maena, je t'ai dit d'arrêter de parler ! il se répète avec un peu plus d'autorité dans sa voix, s'approchant brusquement d'elle et plaquant sa paume sur sa bouche pour lui faire respecter son ordre.

Il reste là, son visage à quelques centimètres du sien, juste assez pour qu'elle distingue encore ses traits clairement, encore plusieurs longues secondes avant de la laisser partir.

Choquée par le contact aussi bien que la soudaine proximité, Mae reste silencieuse même après qu'il s'est à nouveau reculé. Elle ne remarque même pas immédiatement qu'elle a retrouvé sa liberté de mouvement. Lorsqu'elle s'en rend compte, elle se détache imperceptiblement de la paroi derrière elle, avec un soulagement immense, bien qu'encore un peu ankylosée d'être restée si longtemps parfaitement immobile.

— Je ne vais pas te faire de mal. Et je vais faire tout mon possible pour que personne d'autre non plus. Mais il va falloir que tu me fasses confiance, reprend Strauss, son calme retrouvé.

— Je viens d'apprendre que vous mentez depuis que je vous connais ; ça va être difficile, elle lui fait remarquer, bien qu'ouverte à la négociation, retrouvant peu à peu la personne qu'elle croyait connaître dans celui qui lui fait face.

— Maena. La seule façon que j'aurais de garantir ta sécurité serait de m'assurer de ton silence. Et je ne sais pas comment faire ça sans te mettre plus en danger que je ne suis prêt à l'accepter. Je ne pense pas que tu mesures l'ampleur de l'impasse dans laquelle je me trouve à cause de toi, il lui expose son dilemme, cartésien, mais sans vraiment lui donner suffisamment d'informations pour qu'elle puisse l'aider à prendre une décision.

— Je vous ai dit que j'allais rien dire à personne, elle lui répète, ne voyant pour sa part pas le problème.

— Pourquoi est-ce que tu garderais le secret ? il lui demande alors, démontrant que le souci est en fait que c'est lui qui ne lui fait pas confiance.

En un sens, aussi blessant que ce soit, il n'a pas tort. Aucune victime de quelque séquestration illégale que ce soit n'a jamais compté tenir cette promesse de ne rien raconter à personne de ce qui lui était arrivé si on la laissait partir. C'est sans doute pour ça qu'elles ne sont jamais libérées à ce stade de leur emprisonnement, d'ailleurs.

— Parce que je sais rien ? Parce que personne me croirait ? Parce qu'Andy me tuerait certainement ?? propose l'adolescente pour montrer que sa promesse n'est pas en l'air, allant crescendo dans la validité de ses motivations à se taire.

— C'est vrai. Sans hésitation, Strauss juge pour une raison inconnue bon de confirmer la dernière justification, avec une désinvolture inappropriée à la notion d'homicide volontaire qui y est pourtant attachée.


Mae n'avait pas revu Andy depuis qu'elle a appris qu'elle est un assassin de sang-froid, ce soir-là, et ça l'a déstabilisée à peu près autant qu'elle s'y serait attendue, si elle ne s'était pas efforcée de ne pas y songer. Elle n'a jamais porté la blonde dans son cœur, depuis la première fois qu'elle lui a adressé la parole, mais elle n'aurait jamais deviné qu'elle était dangereuse à ce point pour autant. Et la savoir maintenant avec Uglow, la personne la plus douce, altruiste, et bienveillante qu'elle a jamais rencontrée, ne fait qu'amplifier son malaise.

Le problème à présent, c'est qu'elle ne peut évidemment pas parler de toute ça à Ellen. Alors, elle fait semblant d'être choquée pour les mêmes raisons qu'elle et la laisse lui exposer ses théories farfelues sur la relation des deux adultes, le temps de retrouver une contenance et parvenir à penser à autre chose.

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