1x10 - Chaussons de verre (3/18) - PNJ
En se rendant en cours ce matin-là, ayant par une inhabituelle inversion des rôles préféré marcher alors que Mae a choisi de prendre le bus, Caesar aperçoit Ben sur le trottoir d'en face.
Le motard est, comme toujours, adossé à son deux-roues, les mains dans les poches de ses jeans, sa veste de cuir ouverte sur un débardeur blanc taché de cambouis. C'est à se demander s'il a seulement des vêtements de rechange. Ou peut-être qu'il a simplement une collection entière de la même tenue.
C'est la première fois que l'adolescent revoit le mystérieux mécanicien depuis qu'ils se sont croisés dans les couloirs de Walter Payton, la semaine passée. Il n'avait pas vraiment remarqué son absence avant maintenant, et si ça avait été le cas il ne s'en serait pas inquiété ; aussi souvent qu'il fasse le pied de grue sur le bord de la route, Ben est loin d'être là tous les jours pour autant. Mais il est tout de même là souvent, et aujourd'hui, Caes cède à sa curiosité à ce sujet.
— Hey ! Ben, c'est ça ? il interpelle le motard, traversant la rue en trottinant pour le rejoindre, après s'être évidemment assuré qu'aucun véhicule n'arrivait d'une direction comme de l'autre.
— Ton ami m'a déjà demandé de confirmer ça la dernière fois qu'on s'est vus, répond simplement l'appelé, l'accueillant avec un sourire amical.
— Je sais. Mais je me suis rendu compte que je connaissais votre nom mais que vous ne connaissiez pas le mien. Moi c'est Caesar, se présente le lycéen, réajustant la bretelle de sa sacoche à son épaule après sa course.
À l'instar de leur lien de fraternité, il n'a aucune raison de penser que Mae aurait eu le temps de lui en parler lors de leur brève rencontre, et encore moins que Strauss ait partagé cette information avec son colocataire. Encore une fois, pour peu qu'il la connaisse seulement, puisqu'ils ne se sont jamais adressé la parole.
— Ça te va bien, commente Ben, son sourire s'agrandissant, éclatant et communicatif.
— C'est bien la première fois que j'entends ça. Mais en même temps, c'est aussi vous qui m'avez dit que je ressemblais à ma sœur pour la première fois de ma vie, il déclare, trouvant la bizarrerie du motard notable et n'ayant pas le pressentiment que lui en faire la remarque va le vexer.
— J'ai dit que vous vous ressembliez. À la rigueur, puisqu'elle est plus jeune, elle pourrait te ressembler, mais pas l'inverse, corrige l'adulte, étonnamment rigoureux.
Caesar reste soufflé quelques secondes. Il pourrait dire qu'il est habitué à des réponses un peu plus absconses de son interlocuteur, mais c'est après tout seulement la deuxième fois qu'ils se parlent. Et pourtant, il est déstabilisé. Comme toujours en sa présence, d'un autre côté, pour une raison inexpliquée. Peut-être que Jack a raison et qu'il est trop symétrique pour que son cerveau accepte qu'il est tout à fait réel.
— Er… Est-ce que… je peux vous demander ce que vous faites là ? il ose demander, en arrivant enfin à la réelle raison de son approche.
— Pareil que d'habitude, Ben reste vague, retombant dans ce à quoi il a habitué l'adolescent, en pourtant si peu de temps passé ensemble.
— C'est-à-dire ? se permet d'insister Caesar, insatisfait.
— La plupart du temps, j'attends, explique le motard, haussant une épaule.
— Pour qui ? continue de l'interroger le lycéen, têtu.
— Une connaissance, l'autre redouble de malice nonchalante.
— Andy ? cherche à deviner Caes, naturellement doté d'une persévérance insoupçonnée, y compris de lui-même.
— Pas toujours, son interlocuteur parvient une nouvelle fois à rester imprécis, sans même sembler se rendre compte de ce qu'il fait, d'ailleurs.
— Mais pourquoi ? l'adolescent commence à céder à son agacement.
— Parce qu'il le faut, le mécanicien n'est pas intimidé le moins du monde, pour peu qu'il ait seulement noté le léger haussement de ton.
— Et vous avez jamais rien d'autre à faire ? lui demande Caesar de but en blanc.
— Comme quoi ? s'enquiert Ben à son tour, la ligne de questionnement commençant à l'intriguer fortement, bien que sans pour autant l'agacer, apparemment.
— Bah, vous êtes clairement un très bon mécano. Je savais pas que des bécanes comme ça pouvaient encore rouler, propose alors l'ado, désignant la machine du geste de la main.
— Si on les traite bien, oui, le motard confirme l'observation, jetant un coup d'œil fier à l'engin sous lui.
— Vous savez qu'il y a eu une prise d'otages, ici, il y a un mois ? Caesar change alors d'approche.
— Oui. Mon ami était parmi les otages, répond Ben d'un ton factuel, sans s'assombrir le moins du monde à la mention de cet évènement pourtant grave.
— Peut-être que vous ne devriez pas traîner dans les parages, du coup, lui suggère ensuite le lycéen, pas méchant, juste logique.
— Pourquoi pas ? le mécanicien s'étonne du conseil, comme s'il ne le comprenait absolument pas.
— Je sais pas. Ça pourrait faire mauvais genre, élabore Caes.
— Ou peut-être qu'au contraire, je devrais être là plus souvent, au cas où ça se reproduise, lui oppose Ben, arithmétique.
Caesar ne peut pas s'empêcher de se demander s'il aurait réellement vu que quelque chose clochait, ce jour-là, s'il s'était tenu devant le bâtiment comme il le fait si souvent. Les mercenaires sont certainement entrés sans leurs combinaisons d'abord, pour ne pas attirer l'attention des passants. Ou peut-être que justement, ils ont spécifiquement choisi d'agir un jour et à un moment où le motard et tout autre badaud étaient absents. Ça n'a pas empêché un informateur anonyme de prévenir la Police, mais l'idée qu'ils aient surveillé l'établissement au moins plusieurs jours voire plusieurs semaines avant d'agir reste inconfortable.
— Donc, ça vous dérange pas d'attendre ici sans rien faire plusieurs fois par semaine ? l'adolescent en revient finalement à sa question initiale, qui n'a toujours pas obtenu de réponse satisfaisante à son goût depuis le début de l'échange, pourtant plutôt équilibré du point de vue du temps de parole.
— Si c'était le cas, je ne le ferais pas, lui retourne Ben avec simplicité.
— Ouais, parce qu'on fait toujours que ce qu'on veut, c'est bien connu, murmure alors le lycéen dans son absence de barbe, baissant la tête un bref instant.
— Si on prend activement part à quelque chose sans y être physiquement contraint, je ne pense pas qu'on puisse dire que ça va entièrement à l'encontre de notre volonté, tente de le raisonner Ben, pragmatique.
— Si seulement c'était aussi simple, observe Caesar, plus haut, mais encore une fois presque pour lui-même.
L'idée d'avoir toujours le choix est bien belle en théorie, mais ce qu'on ne considère pas c'est que pour l'appliquer invariablement il faut être au clair sur ses priorités, chose qui est loin d'être facile. Par exemple, en ayant l'alternative entre sauver sa propre vie et celle d'un étranger, il faut être absolument certain sur ce qui a le plus de valeur à nos yeux. Choisir sa propre vie est rationnel, mais il doit être impossible de trouver quelqu'un qui ait dû faire ce choix et le vive parfaitement bien. C'est d'ailleurs pour ça qu'on blâme systématiquement les circonstances qui nous ont amené à ce dilemme.
— Peut-être que ça devrait l'être, Ben relève la remarque, toujours aussi ingénu dans sa réflexion.
— Er… Il faut que j'y aille. Je vais être en retard en cours, Caesar décide d'annoncer, incapable de trouver une réplique pertinente.
— Content de t'avoir parlé, Caesar. Passe une bonne journée, le salue le motard, avec un hochement de tête solennel, comme si sortir ses mains de ses poches était impensable.
— Merci. Vous aussi, lui renvoie l'adolescent, lui accordant pour sa part un signe avant de se détourner.
Sur le même pas et avec la même précaution qu'à son premier passage quelques instants plus tôt, Caesar traverse à nouveau la rue, pour rejoindre l'enceinte de Walter Payton High. Il n'a pas menti, son cours de sciences va bientôt commencer. Et il s'inquiète également du fait que, s'il n'arrive pas avant la première sonnerie de la journée, il n'arrivera jamais à arrêter les inquisitions de Jack sur cette variabilité inhabituelle de son ordinairement parfaite ponctualité.
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