1x10 - Chaussons de verre (16/18) - Comme à la maison

En fin de journée, après son cours d'Arts Plastiques, Mae prend son courage à deux mains et retourne à sa salle de Mathématiques. L'activité sculpture lui a été étrangement apaisante, et elle se sent d'autant plus prête qu'elle s'était résolue d'arriver à l'être quelques heures auparavant. Elle s'en veut de larguer Ellen comme ça, mais le plus tôt elle aura surmonté ce qui s'est passé la semaine dernière, le mieux ce sera pour elles deux.

Pour se défaire de son amie, la blondinette prétexte devoir attendre son frère avant de rentrer et ne pas vouloir la forcer à poireauter avec elle. La tromperie fonctionne comme un charme et Mae s'en console en se disant qu'elle n'invente que le caractère d'obligation de la situation, puisqu'elle compte effectivement rejoindre Caesar dès qu'elle en aura fini avec Strauss.

Lorsque l'adolescente atteint le seuil de la salle de cours, l'enseignant s'y trouve toujours, par chance seul, à tout remettre en ordre avant de partir. Il braque immédiatement les yeux vers sa visiteuse à peine est-elle apparue dans l'encadrement, pourtant en toute discrétion.

Ils restent un moment à se toiser, immobiles l'un en face de l'autre, sans rien dire, avant qu'il ne choisisse de rompre le silence :

— Maena, il l'accueille simplement.

C'est la première fois qu'il lui adresse directement la parole depuis qu'il lui a avoué la vérité sur sa situation. Elle ne sait pas comment elle se sent par rapport au fait que la façon dont il prononce son prénom complet a toujours le même étrange effet sécurisant sur elle. Après la façon dont leur relation a été complètement et irrémédiablement chamboulée, elle aurait préféré que ça lui passe. Mais non.

— Salut. Tu as dit que je pouvais venir te parler, elle reprend ses paroles d'il y a une demi-douzaine de jours, pour confirmer que l'offre tient toujours.

— Oui, il valide sobrement, avec un hochement de tête unique et solennel.

— J'ai des questions, elle annonce, encore un peu fébrile à l'idée des réponses qu'elle pourrait obtenir.

— Je t'écoute, il lui accorde, s'asseyant sur le bord de son bureau à côté de lui, ses mains jointes entre ses jambes.

— Très bien. Je promets que j'en parlerai à personne, la blondinette promet, devant l'insistante supplique de son professeur.

— Merci, il la gratifie, rouvrant les paupières qu'il avait closes.

— Pour info, c'est vrai que j'ai plus de chances de me taire si je sais ce que je protège, elle essaye de le rassurer, ayant soudain l'incongrue impression que c'est lui le plus effrayé d'eux deux, à présent.

— La raison pour laquelle ce tueur ne peut être attrapé que par nous et pas par la Police, c'est… parce qu'on est comme lui, commence le mathématicien, choisissant ses mots avec soin, mais n'étant malheureusement pas très clair pour autant.

— C'est-à-dire ?

— C'est-à-dire qu'on ne vient pas d'ici, il précise, sans qu'elle comprenne mieux où est le grand besoin de discrétion pour autant.

— Et la Police locale ne peut pas arrêter les étrangers parce que…? elle tente de repérer le problème, sans succès.

— Tu ne comprends pas. Nous ne sommes pas de cette planète, il la corrige.

— Clairement, si vous pensez que venir d'un autre endroit doit être caché à ce point-là, elle se permet de commenter, perdue.

— Maena, on vient de l'espace. On est pas terriens, pas humains, il reformule sa révélation, d'un ton pressé mais sérieux.

Elle marque une pause avant de glousser, passant de l'incompréhension à l'hilarité.

— C'est une blague ? Vous voulez me faire croire que vous êtes… des aliens ? Vous avez vraiment pas trouvé plus crédible comme histoire pour me faire taire ? Vous auriez mieux fait de rien me raconter du tout ! elle s'agace, se retenant de justesse de lui donner un coup sur l'épaule, comme elle l'aurait fait à Nelson ou l'un de ses frères si l'un d'entre eux lui avait sorti un canular aussi nul.

Frustré, et voyant qu'il n'arrivera pas à la convaincre sans preuve cette fois, Strauss frappe alors violemment le mur derrière elle du poing, la faisant sursauter et s'écarter.

— Oh Mon Dieu ! Non mais ça va pas ? elle s'exclame, fâchée à présent.

Il est évident qu'il ne cherchait pas à la frapper elle, mais tout de même.

— Regarde, il se contente de répondre, tendant sa main à plat vers elle, paume vers le sol.

Elle jette un œil et doit bien constater que, là où elle s'attendait à trouver des égratignures sanguinolentes, non seulement les plaies sont bien moins profondes que ne l'aurait laissé présager la texture rugueuse du mur de brique dans son dos, mais une sorte de substance jaunâtre en suinte, pas la moindre goutte de rouge.

— Qu'est-ce que… Mae ne comprend pas ce qui vient de se produire.

Elle l'a vu saigner, pendant la prise d'otage. L'image de la goutte écarlate coulant la long de sa joue jusqu'à sa mâchoire est même très profondément ancrée dans sa mémoire, comme brûlée sur sa rétine.

— J'ai fait semblant, ce jour-là. Le rouge n'est pas une couleur très difficile à obtenir, il devine ce à quoi elle pense et lui explique en quoi ce n'est pas contradictoire avec ce dont elle est témoin maintenant.

— Mais… elle commence une nouvelle phrase, cherchant une objection mais encore trop interloquée pour se fixer sur une seule.

Ce n'est pas une plaisanterie. C'est clairement sa main, sans artifice, qui saigne jaune devant elle. Pire, il fait jouer ses doigts, et les petites entailles se referment peu à peu, à vue d'œil, ne laissant derrière elles que le peu de fluide qui s'en est échappé.

— Tu comprends maintenant notre besoin de discrétion, Strauss conclut sa révélation, visiblement anxieux à la réaction de son interlocutrice, maintenant qu'elle le croit pour de bon.

— Pas vraiment, non ! elle répond malheureusement.

Son prof est un extraterrestre. Tout va bien ! Et il pourchasse, avec ses colocs extraterrestres, un tueur en série extraterrestre, dans les rues de sa ville. Bah oui, pourquoi en faire toute une histoire ? C'est vrai que ça n'a rien de quelque chose dont le public devrait avoir le droit d'être averti. Ou ne serait-ce que les forces de Police. Garder les gens dans le noir pour les protéger a après tout fait ses preuves, à travers l'Histoire, non ?!

— Il y a des traités en place avec les leaders de votre monde. De ne pas nous manifester au public, de ne pas interférer dans vos affaires, et de gérer nos éléments perturbateurs en interne, lui apprend Strauss, espérant que la législation de ses pairs saura la convaincre, si la simple logique n'est pas suffisante.

— Pourquoi ? Je veux dire, pourquoi garder le secret, si vous êtes pas là pour nous envahir ? elle raisonne, se disant que si les dirigeants du monde ont établi un accord avec eux, c'est sans doute qu'ils ont jugé ces aliens pacifiques.

Ce qui semble en l'occurrence avoir été une erreur, en plus, puisque l'un d'entre eux tue des gens, apparemment.

— Pour éviter la panique. La guerre. Une tentative d'abus de nos capacités, énumère Strauss, qui dispose manifestement d'une liste bien plus longue de justifications mais n'a ni le temps ni l'envie de s'étendre sur le sujet dans l'immédiat.

— Qui sont ? relève l'adolescente, mi curieuse mi inquiète.

— Nombreuses, il répond simplement, toujours aussi urgent dans son ton.

— Oh Mon Dieu, vous êtes des aliens ! elle percute enfin, sa colère achevant de retomber pour laisser place à la stupéfaction.

— Oui, il confirme, bien qu'inutilement.

Elle souffle, recule pour venir s'adosser au mur auquel elle était un peu plus tôt plaquée de force, puis s'y laisse glisser jusqu'à se retrouver accroupie, soudain dépassée.

— Je vais pas dire que je souhaite que vous me l'ayez pas dit, parce que je préfère quand même savoir, mais quand même, elle déclare, prenant son front entre ses mains, comme si ça pouvait l'aider à retrouver son calme.

— Est-ce que ça va aller ? s'enquiert Strauss, en s'abaissant à sa hauteur, genou à terre.

— J'arrive pas à croire que j'ai promis de pas en parler avant même de savoir de quoi il s'agissait ! elle s'exclame en retirant ses mains de son visage, regrettant sa promesse, bien que n'ayant aucune intention de revenir sur sa parole.

— Si tu as besoin d'en parler, tu peux toujours venir vers moi. Au lycée, ou même chez moi. Toujours. Mais pour le reste, tu dois tenir parole. S'il te plaît, il s'assure qu'il n'a pas commis une terrible erreur de jugement en acceptant sa promesse.

— Oui. Oui, je sais. Ma survie. Andy. Et les dirigeants du monde, apparemment, lui confirme Mae, presque blasée de tous ces impressionnants concepts, à présent.

— Pour le moment, il faut que tu rentres chez toi, il lui annonce ensuite, sans transition.

— Quoi ?! elle proteste, alors que c'est tout ce qu'elle voulait au début de leur face à face.

— Je dois expliquer à Ben et Andy comment j'ai géré ta présence, et ils ne vont pas être ravis. Aussi, ta famille pourrait s'inquiéter si tu ne rentres pas bientôt, il raisonne, très pragmatique.

— C'est vrai… elle ne peut que tomber d'accord, bien qu'à contrecœur.

— À demain, Maena, il la salue alors, avant de disparaître dans la ruelle, en un éclair.

L'adolescente se retrouve seule, accroupie au pied d'un mur, ses premières questions se formant déjà dans son esprit alors que la seule personne pouvant y répondre vient de la laisser. Il lui faudra des jours pour mettre ses idées au clair sur le sujet.


— C'est quoi, le nom de votre planète ? la jeune fille interroge son professeur, faisant un pas vers lui, dans sa salle de cours.

— On l'appelle simplement Home, il répond sans détour, ouvert, comme il l'avait promis.

C'est vrai qu'on peut difficilement plus logique, comme appellation pour son lieu d'origine. Chez soi, la maison.

— Donc, Andy, Ben, et toi, vous êtes des… Homiens ? elle déduit timidement leur gentilé en grimaçant, pas certaine de la sonorité du terme.

— C'est le consensus actuel parmi les humains qui sont au courant de notre existence, oui, confirme cependant Strauss.

— Et pourquoi vous avez l'air humains ? elle lui demande ensuite.

— Ça aide à s'intégrer, il explique avec un haussement d'épaule, comme si ce n'était pas grand-chose.

— De quoi vous avez l'air, normalement ? elle enchaîne, bien qu'appréhendant ce qu'il pourrait lui dire.

Elle a songé qu'ils pourraient posséder des gens, mais ça ne collerait pas au fait qu'ils saignent jaune. À moins qu'ils soient une sorte de virus. Ou peut-être que c'est une illusion d'optique. Elle a à vrai dire pensé à de nombreux scénarios plus effrayants les uns que les autres, et a fini par se dire qu'il vaut encore mieux qu'elle en ait le cœur net plutôt qu'elle continue à chercher, même si la vérité devait dépasser toutes ses craintes.

— Ça dépend, ne peut que répondre Strauss, ne l'avançant hélas pas beaucoup.

— De quoi ? elle s'étonne.

— De l'individu. Nous ne sommes pas une espèce comme vous en avez ici sur Terre. Nous sommes plutôt une forme de vie à l'état pur. Notre cohésion sociale vient simplement de notre planète d'origine, rien d'autre, il essaye d'expliquer du mieux qu'il peut.

— D'accord… Et… vous avez un vaisseau ? Un langage ? Qu'est-ce que vous mangez ? elle décide d'abandonner le sujet de l'apparence réelle de ces extraterrestres, visiblement trop complexe pour elle, mais se retrouve submergée par le reste de ses interrogations.

Alors qu'il rit, amusé par son soudain enthousiasme, elle baisse quant à elle les yeux, gênée de s'être laissée emporter. Elle n'est cependant pas vexée de sa réaction. C'est plutôt agréable de l'entendre rire, à vrai dire, puisqu'il est d'ordinaire plutôt discret. Et bien qu'elle l'ait évité cette dernière semaine, elle jurerait qu'il a semblé triste. Mais c'est peut-être seulement sa façon d'exprimer le stress, ceci dit.

— Pas de vaisseau. Nous n'avons rien qui ressemble à ce que vous pourriez qualifier de technologie. En ce qui concerne le langage, disons que nous avons de nombreux moyens de communiquer à disposition. Et pour la nourriture, on consomme à peu près tout et n'importe quoi dans notre environnement, selon nos besoins de fonctionnement, il apporte consciencieusement un élément de réponse à chacune de ses questions, bien que sans vraiment la satisfaire complètement.

S'ils n'ont pas de vaisseau, comment est-ce qu'ils sont arrivés ici ? Et qu'est-ce qu'il entend par "consommer" ? Ou "besoins de fonctionnement" ?

— Quand tu t'es fait frapper par ce mercenaire, il ne t'a pas vraiment fait mal, alors ? elle choisit cependant de demander, se disant que s'il ne veut pas entrer dans les détails, il a ses raisons.

— Non, il confirme, secouant la tête.

— Qu'est-ce qui se serait passé s'il t'avait tiré dessus ? elle s'enquiert.

Est-ce que ça lui aurait été fatal ? Ou bien est-ce qu'il aurait été obligé de faire semblant de mourir ? Est-ce qu'il aurait été démasqué devant toute sa classe ?

— Je ne lui en ai pas laissé l'occasion, Strauss invalide le problème sans broncher.

— Comment ça ? elle ne le suit pas.

— Je l'ai empoisonné. J'ai secrété une toxine qui a affecté son rythme cardiaque, il explique avec désinvolture.

— Mais comment tu as su qu'il avait un problème de cœur ? Et tu l'as même pas touché, proteste Mae, fronçant les sourcils.

— Sa malformation cardiaque s'entendait. J'ai recouvert le sol où il marchait du composé en question, qui a ensuite traversé la semelle de sa chaussure, et le reste tu en as toi-même été témoin, il élimine une nouvelle fois les obstacles qu'elle lui présente.

— Parce que vous avez des supers sens. Évidemment, elle déduit de sa première phrase avec un rire nerveux.

D'un autre côté, elle a effectivement remarqué à plusieurs reprises qu'il gardait la main par terre, le jour de l'Incident. De la même façon qu'elle se souvient qu'il a porté ses doigts à sa joue, après avoir été frappé. Sans doute pour y mettre du sang factice, finalement. Que tout fasse soudain autant sens lui donne un peu le vertige.

— J'ai les sens pratiquement les plus affûtés qu'il est possible d'avoir dans cet environnement et sous cette forme. Nous ne sont pas soumis à la génétique ou l'évolution de la même façon que les organismes terrestres ; chacun de nous est le produit d'un design réfléchi par lui-même, et ouvert au changement au cours du temps, il confirme ce qu'elle voulait plutôt comme une remarque sarcastique.

— Pourquoi tu m'as dit ? elle l'interroge tout à coup, pas certaine d'avoir compris la moitié de sa dernière prise de parole alors décidant de changer de sujet.

— Dit quoi ?

— Que vous êtes… des aliens. Tu aurais pu me vendre à peu près n'importe quoi de plus crédible au premier abord, elle élabore, revenant sur sa première réaction lorsqu'il a enfin réussi à lui faire comprendre ce qu'il essayait de lui révéler.

— Parce que j'ai déjà trop de façades à entretenir. Je dois faire semblant d'être humain, et d'être un adulte, et d'être prof de Maths, et je dois surtout cacher que je pourchasse un tueur en série venu d'une autre planète, il se justifie, baissant les yeux sur ses mains à l'énumération des obstacles auxquels il doit faire face dans sa mission.

— Tu fais semblant d'être un adulte ? est la seule chose que Mae trouve pertinent de relever, puisque c'est la seule qui la surprend vraiment à ce stade de ses connaissances.

— Ce n'est pas la part la plus difficile, mais parfois il m'arrive d'oublier que j'ai l'air d'avoir existé depuis plus longtemps qu'en vérité, il confirme avec un sourire, ramenant ses yeux aux siens.

— Alors tu as quel âge, en vrai ? elle s'enquiert, choquée par cette idée.

— Une dizaine d'années terriennes, peut-être, il répond avec approximation.

— Tu as 10 ans ? elle paraphrase avec incrédulité, yeux ronds.

— Sans doute moins que ça, en fait, il valide, revenant mentalement sur son calcul, sans sembler voir en quoi ça pourrait l'interloquer.

— Oh, elle laisse simplement échapper, soufflée.

— Nous n'avons pas de phases de croissance comme vous. On apparaît parfaitement fonctionnels. Et notre emmagasinement de la connaissance est plutôt rapide, pourvu qu'on y ait un accès sans restriction. Bien que, même pour nous, il y a des choses qui ne s'apprennent qu'avec le temps, il essaye enfin d'amortir le coup, remarquant seulement qu'il a peut-être été un peu trop abrupt dans sa dernière révélation.

— "Apparaît" ?

Mae doit une nouvelle fois choisir de ne relever qu'une chose dans une déclaration où tout lui donne pourtant le tournis.

— Encore une fois, notre biologie est très différente de la vôtre. Si on peut seulement parler de biologie, il se contente de répondre, sans entrer dans les détails, certainement autant parce qu'il s'en sent bien incapable que pour éviter de perturber son interlocutrice encore plus qu'elle ne l'est déjà.

— Mais alors… vous pouvez pas… enfin je veux dire… vous reproduire, si ? elle se met alors à raisonner, le front plissé sous la concentration de rendre compatible tout ce qu'elle sait déjà avec ce qu'elle est en train d'apprendre.

— Pas comme vous, non. Nous sommes exclusivement créés sur Home. La planète nous faits, si tu veux, il confirme avec concision, bien que sans voir où elle veut en venir, à la façon dont il plisse imperceptiblement les yeux.

— Non, mais je veux dire… avec des humains, elle précise sa pensée, un peu malgré elle.

— Je ne comprends pas la question, il avoue avec candeur.

— D'accord, je vais être plus directe : qu'est-ce qu'Andy faisait avec Mr. Uglow dans un placard tout à l'heure ? elle lui fait part de ce dont elle a été témoin et qui a provoqué sa première question sur leur mode de reproduction.

Non seulement Andy est en quelque sorte une tueuse à gage, elle est aussi un extraterrestre, du genre qui n'a pas naturellement une apparence humaine, pour ne rien gâcher. Ce qu'elle fait avec l'infirmier est donc perturbant sur plus d'un niveau. Elle semble humaine, mais jusqu'à quel point son anatomie est-elle fidèle à celle de l'espèce native de la planète ? S'ils ont du sang jaune et des sens plus affûtés, quelles autres différences peuvent-ils cacher ? Clairement, rien de flagrant, sans quoi l'infirmier aurait sans doute remarqué quelque chose, mais au niveau physiologique, alors ? Est-ce dangereux pour lui de la fréquenter ?

— Elle apprécie sa compagnie, pour des raisons que j'ignore. Pourquoi ?

Strauss semble réellement ne pas saisir les allusions de l'adolescente.

— Tu sais quoi, oublie, c'est pas important, elle laisse tomber, se rappelant soudain qu'il vient de lui dire qu'il a moins de dix ans.

À cet âge-là, elle n'aurait pas su de quoi il était question non plus. Et s'il lui a dit pouvoir amasser de la connaissance à une vitesse suffisante pour donner le change — clairement, puisqu'il lui enseigne les Mathématiques sans effort apparent — elle ne préfère pas être celle qui entame son éducation sexuelle, au cas où il ne l'aurait pas encore reçue.

— Est-ce que ça va ? il lui demande alors, voyant bien que sa question était un peu importante pour elle quoi qu'elle en dise.

— Mieux. Je pense, elle l'assure, accrochant un sourire à son visage.

Clairement, il lui reste encore une multitude de questions sans réponse au sujet de Strauss et ses colocataires, ainsi que celui qu'ils chassent. Mais elle en a suffisamment entendu pour aujourd'hui. Elle se sent déjà beaucoup moins intimidée par eux. Discuter aussi ouvertement avec le mathématicien lui a donné l'impression de retrouver celui qu'elle pensait un peu connaître avant d'apprendre qu'il n'était pas humain. Plus que ça, elle arrive presque à concevoir le secret qu'ils partagent comme une confidence plutôt qu'un fardeau. La pression est loin d'avoir totalement disparu, puisqu'un dangereux criminel venu de l'espace est toujours en fuite, dans la juridiction de son oncle qui ne soupçonne rien de cet état de fait, mais le poids sur les épaules de la petite blonde s'est rudement allégé tout de même. Et tout ça grâce à un simple échange de paroles. Qui a dit qu'il fallait moins parler ? Un minimum est de toute évidence nécessaire. Elle s'en voudrait presque de ne pas avoir osé plus tôt. Mais elle est suffisamment lucide pour reconnaître qu'elle n'était pas prête avant maintenant.

Le professeur et son élève échangent un sourire presque complice avant qu'elle ne prenne congé de lui. Elle le voit demain, de toute façon. Et elle saurait où le trouver si ce n'était pas le cas. Il la regarde partir, encore un peu plus persuadé qu'il ne l'était déjà qu'il a pris la bonne décision vis-à-vis d'elle. Quoi qu'en dise Andy…

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