1x10 - Chaussons de verre (15/18) - Retours constructifs
Assis dans la salle de la rédaction du Paw Print, à l'une des nombreuses tables intelligentes arrangées tout autour de la pièce, Caesar est appliqué à récolter les informations qui vont lui servir de support à la rédaction de son prochain article. Il ne peut hélas pas se réjouir d'avoir réussi à sortir de son esprit sa petite crise d'angoisse d'un peu plus tôt, puisqu'il faudrait justement qu'il y repense pour ça, mais le résultat est là, au moins.
Son leitmotiv dans ses publications est l'exploitation des statistiques. Comme tous les journalistes du lycée, il a un accès privilégié aux dossiers de tous les élèves et du personnel, bien entendu anonymisés, dont il a pour sa part choisi de tirer les chiffres qu'il peut ensuite exposer de manière ludique dans son encart. Il sait que ce ne sont pas réellement des nouvelles, mais tout le monde ne peut pas être FYI, le chroniqueur coqueluche de l'établissement grâce à ses articles à sensations.
Le grand brun envie ces gens qui ont déjà trouvé leur vocation aussi tôt dans leur vie. Il sait bien qu'ils ont encore beaucoup de chemin à parcourir, et beaucoup de travail à abattre, mais on ne lui ôtera pas l'idée qu'il y a une part de talent sous-jacent. Ce doit être une sensation agréable, de découvrir sa place, au moins en partie.
— Hey, Caesar, interpelle soudain une voix derrière lui, le faisait pivoter sur son siège.
— Hey, Bren, il rend sa salutation au nouveau venu.
Brennen est le rédacteur en chef du Paw Print, ce qui explique que tous les élèves qui suivent l'option journalisme le connaissent. Ils savent aussi qu'il est très probablement le fameux FYI, mais le confirmer irait à l'encontre du code de la presse, alors tout le monde ou presque agit comme si de rien n'était. Ce serait sans doute aussi le cas pour n'importe quel autre reporter dont on aurait deviné le nom de plume, mais comme aucun autre ne génère autant de vagues que lui, ça reste techniquement un traitement de faveur.
— Tout va bien ? s'enquiert la simili-célébrité, sur un ton qui suggère plus que la trivialité, malgré ses efforts de désinvolture.
— Oui, pourquoi ? s'étonne le grand brun, ne retournant donc pas tout de suite à ce qu'il était en train de faire avant d'être interrompu.
Bren soupire, percé à jour, puis se lance :
— Ce sont pas vraiment mes oignons, mais en même temps me mêler des affaires des autres est un peu ma spécialité, donc je vais quand même te faire la remarque : tes articles ont été un peu… sombres, ces temps derniers, il s'explique, avec un sourire à la fois engageant et compatissant.
En tant que rédacteur en chef, il est le seul, avec le professeur référent de l'option, à avoir accès à la liste des journalistes et leurs alias. En tête-à-tête, il lui est ainsi tout à fait possible de discuter avec l'un de ses auteurs de ce qu'il a écrit.
— Vraiment ? est surpris d'apprendre Caes, fronçant encore un peu plus les sourcils.
— Ouais. Celui de la Saint Valentin, sur la proportion de couples qui survivent après le lycée, était un peu déprimant. Et les groupes sanguins, c'était limite flippant, quand tu as commencé à aborder celui qui a le plus gros risque de mourir d'exsanguination à défaut d'un donneur compatible. Quand j'ai lu celui sur les prénoms et la recherche d'identité, ce matin, je me suis dit que si je te croisais je t'en parlerais, Brennen soutient son impression en citant les derniers sujets de son camarade.
— Oh. Je ferai gaffe, alors, s'excuse le grand brun, qui ne s'était visiblement pas du tout rendu compte du ton lugubre de ses dernières publications.
— Non, c'est pas ça ! Ton contenu est toujours excellent. Et j'ai toujours bien aimé ton style et ton idée de rendre les chiffres un peu vivants, c'est franchement cool. Non, c'est pour toi que je m'inquiète, pas ton lectorat, se reprend précipitamment Brennen, dont l'intention n'était pas de faire la morale à son collègue.
— Je suppose que j'ai déjà été en meilleure forme, mais ça va, Caes cherche à apaiser ses craintes.
— Est-ce que… tu parles à quelqu'un ? insiste malgré tout l'autre adolescent, pas entièrement convaincu encore.
— Er… Tout n'est pas en lien avec ça, tu sais ? Très peu de choses ont à voir avec ça, même, se ferme légèrement Caesar, comprenant qu'il fait référence à l'Incident.
— Je sais ! Mais en tant qu'amateur de chiffres, tu peux pas vraiment me blâmer de trouver le timing suspect, si ? lui soumet Bren, raisonnable.
Puisqu'il a eu la permission de s'abstenir de participer au numéro de la semaine suivant la prise d'otages, son article de la Saint Valentin a effectivement été le premier que Caesar a écrit après les faits.
— C'est une combinaison de choses. Mais rien que je puisse pas gérer. C'est… sympa de ta part de t'en soucier, ceci dit, le grand brun continue de rassurer son interlocuteur du mieux qu'il peut, bien qu'il n'ait aucune preuve tangible à lui fournir pour le convaincre qu'il n'a pas à s'inquiéter.
À quoi ça ressemblerait seulement, une chose pareille ? Qu'est-ce qui pourrait bien prouver à qui que ce soit qu'il n'a aucune crainte à avoir pour une personne ? Il est bien plus aisé de mettre en évidence que quelqu'un va mal plutôt qu'il va bien.
— Dans tous les cas, je sais bien qu'on n'est pas exactement des amis proches, mais si tu veux discuter, je suis là. Officieusement, bien sûr, Brennen propose généreusement, avec une touche d'humour.
— J'essaierai de m'en souvenir, est tout ce que Caes trouve à répondre à une offre pareille.
Avec un sourire, jugeant l'échange terminé, Bren se tourne ensuite vers un autre bureau de la pièce, sans doute pour lui aussi travailler sur son prochain papier. Caes l'imite en retournant à ses propres recherches, avant de se raviser :
— J'ai lu ton… er… l'article d'FYI, ce matin, il annonce timidement.
— Oh. Je suis sûr qu'aucune exagération n'a été commise et que tous les faits ont été vérifiés comme il se doit, s'empresse de préciser l'auteur avec de grands yeux, se souvenant brusquement que celle qu'il a surnommée "la furie blonde" est la petite sœur de celui à qui il s'adresse.
— Détends-toi ! Je sais que si Mae n'était pas d'accord pour que tu… qu'on parle d'elle comme ça, elle aurait sans doute mis le feu à cette pièce, le rassure Caesar avec un éclat de rire, ayant bien évidemment reconnu sa frangine dans le texte.
— Probablement ! l'éditeur en chef confirme le tempérament explosif de la petite blonde en riant doucement.
— Mais cet édito sonnait un peu comme un adieu, quand même. T'as définitivement brûlé l'une de tes meilleures sources, Caesar reprend ensuite plus sérieusement, oubliant de parler d'FYI à la troisième personne du singulier.
— Il me reste quatre mois ici. C'est une quinzaine d'articles à tout casser. Je crois que je vais survivre à ne pas être en odeur de sainteté auprès de Sarah Degriff, relativise le reporter, laissant lui aussi tomber sa façade d'anonymat.
Il avait bien évidemment considéré toutes les implications de son dossier avant de le faire paraître. Premièrement, il y a peu de risques que la reine peste puisse s'abstenir de ragoter bien longtemps. Deuxièmement, même si elle décide de le punir en lui filant de faux tuyaux, il confirme toujours ses informations de toute manière et n'a donc aucun souci à se faire, si ce n'est un tout petit peu plus de travail d'investigation. Troisièmement et dernièrement, avoir pourri la grande rousse va sans doute lui rapporter plus de fans que de détracteurs.
À la mention des quatre mois de cours restants, Caesar tombe sans voix. Bren a raison, ça fait moins d'une quinzaine de semaines de cours, puisqu'il y a encore les vacances d'Avril, d'ici la fin de l'année scolaire. Comment le temps passe-t-il si vite ? Il a l'impression qu'il y a encore deux semaines, il lui restait six mois de sa dernière année de lycée. Un tiers de ce temps lui paraît avoir disparu en un clin d'œil.
N'ayant obtenu aucun retour à sa précédente remarque, Brennen est tranquillement retourné à son épluchage des derniers témoignages anonymes reçus, en quête de sa prochaine histoire. L'autre adolescent demeure encore un instant interloqué avant de parvenir à se remettre lui aussi à son recueil de données. Il a réussi à se laisser absorber tout à l'heure, il devrait y arriver une nouvelle fois. Pitié, pourvu qu'il y arrive une nouvelle fois.
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