1x09 - Clé de voûte (9/18) - Indice révélateur
Assises à table, dans le réfectoire de Walter Payton, Ellen et Mae sont enfin en train de parler librement des évènements qui se sont déroulés juste avant le début de leurs deux dernières heures de cours, à savoir l'altercation entre la blondinette et la petite copine de Nelson.
Sans grande surprise, ce dernier a été mis au courant des détails l'incident quelque chose comme trois minutes après le début du cours de chimie, par une voisine à tendances de commère. S'il a instantanément dévisagé sa plus vieille amie, il n'est pas venu la confronter à la sortie. À la vitesse à laquelle il s'est enfuit dans les couloirs à peine la sonnerie ayant retenti, l'adolescente suppose qu'il a simplement préféré aller obtenir le fin mot de l'histoire par sa dulcinée. Et elle ne peut pas le blâmer, puisqu'elle a systématiquement refusé de lui parler depuis qu'elle a découvert sa relation avec la rouquine, alors qu'il voulait arranger les choses, d'une certaine manière. Elle n'ose néanmoins même pas imaginer la version des faits que va arriver à lui offrir la sorcière rousse.
— J'aurais tellement aimé être là, se plaint Ellen pour la énième fois, des étoiles dans les yeux en imaginant la scène.
Elle ne cache nullement sa déception d'être arrivée après la bataille à la fois proverbiale et littérale. Leur professeur de Chimie a dû la rappeler plusieurs fois à l'ordre pour ses bavardages, et malgré ça elle n'a pas réussi à obtenir beaucoup de détails sur ce qui s'était passé, avant qu'elles se retrouvent ici en tête-à-tête.
— Tu aurais sans doute su lui clouer le bec sans avoir recours à la violence, toi, Mae se place en fautive, beaucoup moins enthousiaste.
Plus elle y pense, plus elle s'en veut d'avoir réagi comme elle l'a fait. Non pas que Nels n'en vaille pas la peine, aussi stupidement il soit en train de se comporter dans cette histoire, mais ce qu'elle estime surtout, c'est que Degriff ne vaut pas les ennuis qu'elle aurait pu récolter suite à leur petit match improvisé. D'autant qu'elle ne se sent même pas à l'abri d'être dénoncée par la mégère dans quelques jours, une fois qu'elle aura eu le temps d'ameuter suffisamment de témoins en sa faveur. Ou pire, elle pourrait se venger sur son petit copain, justement.
— Tu l'as poussée, c'est bon, c'est pas la mort. Vous êtes même pas convoquées, Ell' essaye de la rassurer, dédramatisant les évènements.
De son point de vue, peu importe l'influence que Sarah Degriff croit avoir, personne ne pourrait jamais la défendre de façon convaincante face à qui que ce soit. La plupart des gens dans l'établissement ont sans doute été heureux d'apprendre qu'elle avait été mise au tapis. Y compris certains enseignants, d'ailleurs.
— Pour l'instant ! Je sais pas ce qu'elle va mettre au point pour se venger, cette folle, la blondinette partage ses craintes, tout en triturant nerveusement les légumes de son assiette avec les pointes de sa fourchette.
— Et tu dis qu'elle t'a pris Nelson pour rétribution ? Ellen revient sur la partie de l'accrochage qu'elle comprend le moins, à savoir l'exposition du machiavélisme de la reine peste.
Difficile de prêter une logique aux psychopathes, mais d'un autre côté, la rouquine n'a sans doute pas un intellect suffisant pour entrer dans cette catégorie. Elle n'est pas exactement stupide, mais disons qu'elle ne semble jamais se donner le mal d'aller au-delà de la mesquinerie. La logique derrière ses actions devrait donc être accessible, si sans doute un peu viciée.
— C'est ce qu'elle a dit. Elle a commencé par me narguer en disant que "c'est pas drôle, quand quelqu'un te prend ton jouet, huh ?". Erk. Mais quelle cinglée ! Je vois même pas ce que j'aurais pu lui prendre, confirme Mae, caricaturant la voix de l'hystérique lorsqu'elle la cite.
— "C'est pas drôle quand quelqu'un te prend ton jouet" ? Elle t'a dit ça ? relève curieusement Ell', plissant les yeux.
Maena cligne. Elle se serait plutôt attendue à ce qu'elle abonde dans son sens, à grands renforts d'arguments sur les méfaits passés de la rousse à frange, comme elle l'a fait lorsqu'elle a appris pour elle et Nelson.
— Oui, pourquoi ? Tu trouves que c'est trop évolué pour elle ? plaisante la petite blonde.
— Non, j'ai juste l'impression d'avoir déjà entendu ça quelque part, Ellen reste pour sa part très sérieuse, ce qui ne lui ressemble guère.
— Une mauvaise comédie romantique, sans doute, propose Mae, haussant les épaules.
Ou n'importe où ailleurs. Ce n'est pas exactement une tournure de phrase inédite. D'où l'étrangeté du fait que sa camarade tique dessus.
— Han ! Non ! Je sais où je l'ai vu ! Dans l'article de Bren ! s'exclame soudain la marginale, ouvrant de grands yeux sous le coup de son illumination et manquant d'envoyer valser ses couverts.
— Huh ? la blondinette s'avoue perdue, voyant de moins en moins le rapport.
— L'article de Bren. Celui sur toi et Strauss, qu'il n'a pas publié. Je l'ai lu, tu te souviens ? Et je suis à peu près sûre qu'il y avait ça dedans, pense s'expliquer Ellen, sans grand succès malheureusement.
— Tu devrais conseiller à ton pote de revoir ses expressions, alors, suggère Mae, qui ne pourra probablement plus jamais entendre cette phrase sans avoir envie de vomir.
— Rhâ, tu comprends pas ! C'est pas du tout un truc que Bren utiliserait de lui-même. Et puis, ce serait quand même gros que la même formulation soit utilisée en relation avec toi par deux personnes sans rapport, non ? l'adolescente gantée réitère sa tentative d'éclaircissement de sa pensée, qui se solde hélas à nouveau par un échec.
— Donc ? son amie l'incite à énoncer sa conclusion clairement, parce qu'elle se sent présentement bien incapable d'y arriver par elle-même avec les éléments qui lui ont été fournis.
— Donc sa source, c'était elle ! C'est Sarah Degriff qui a essayé de faire croire à tout le monde qu'il y avait un truc entre Strauss et toi ! l'originale en vient enfin au but, soulignant le rythme et la logique de sa phrase par le geste.
— Quoi ?! Mais pourquoi est-ce qu'elle ferait un truc pareil ? Qu'est-ce qu'elle me veut, cette folle ? Mae laisse éclater son outrage.
Comme si s'accaparer son meilleur ami n'était pas suffisant, elle avait déjà tenté de la calomnier au préalable ? Sans tenir compte du fait que son accusation pourrait nuire gravement à la carrière d'un professeur ? Voire l'envoyer en prison ? Trop, c'est trop !
— Il y a pas trente-six moyens de le savoir, déclare Ellen, pensant encore une fois à tort que Mae va comprendre son sous-entendu pourtant assez vague.
— À quoi tu penses ? l'interroge donc la petite blonde.
Elle ne se formalise pas d'avoir à nouveau été larguée, puisqu'elle est tout à coup très motivée pour obtenir le fin mot de cette histoire. Elle est loin d'avoir peur du conflit, mais elle apprécierait d'au moins savoir ce qu'on lui reproche.
— Je crois qu'il est temps pour une nouvelle enquête clandestine, annonce l'excentrique, avec un mouvement des sourcils presque effrayant.
— Hm. Je vois pas ce qu'on pourrait trouver de plus dans les sources du journal, la blondinette se montre un peu moins enjouée.
Elle a cette fois bien compris à quoi elle faisait référence : à leur petite intrusion dans les archives du journal de l'établissement, grâce à un pass temporaire et surtout illicite accordé par Jack, lorsqu'elles ont voulu en savoir plus sur l'alors mystérieux motard qu'elles connaissent maintenant sous le nom de Ben. Mais elles voulaient des informations d'autorité publiques, pas intimes comme les plans funestes de la grande rousse.
— En fait, je pensais carrément demander directement à Brennen s'il avait pas mis de côté quelque chose dans le tuyau qui lui a inspiré son article, Ellen rabaisse légèrement leurs ambitions, pour cette fois.
— Oh. C'est tout de suite vachement moins clandestin, fait remarquer Mae, comme pour justifier de n'avoir pas tout de suite deviné le plan.
Ceci étant dit, ce sera forcément plus productif que de fouiller les informations fournies par l'ensemble des élèves sans savoir avec certitudes lesquelles viennent de celle dont elles cherchent à déterminer les intentions.
— Attends de voir avec quelle férocité il défend ses sources, et tu vas voir si on va pas devoir jouer les Mata Hari, l'adolescente à bonnet la met alors en garde, un air grave dans ses yeux noisette.
Mae ne répond pas tout de suite, ne sachant pas si elle doit prendre cet avertissement au sérieux. D'une part, il est possible qu'Ellen cherche à pimenter leur enquête. D'autre part, il est également possible qu'il lui reste des séquelles du temps où elle idéalisait l'apprenti-journaliste, et le perçoive donc plus farouche qu'il ne l'est en réalité. Elle prétend peut-être avoir fait passer son béguin, mais elle doit encore en convaincre la petite blonde.
Se disant qu'elle se rendra bien compte par elle-même de ce qu'il en est le moment venu, Mae valide finalement l'idée d'aller se renseigner auprès de Brennen, planifiant d'aller le trouver le soir-même, après les cours. Cette décision tire un grand sourire à sa copine en face d'elle, trop heureuse que son initiative soit approuvée. Elle est souvent écartée de tout préparatif, jugée trop extravagante dans ses idées. Mais peut-être est-ce tristement l'absence de Nelson qui lui permet d'avoir un peu plus de poids dans les décisions du groupe, passé de trio à duo.
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