1x09 - Clé de voûte (8/18) - En sous-marin

Au commissariat du dix-huitième district, à l'instar des élèves du lycée Walter Payton et sans doute une grande majorité de la population du même fuseau horaire, tout le monde commence petit à petit à partir prendre sa pause déjeuner. Tous les inspecteurs de l'étage ont passé la matinée attelés à des tâches plus ou moins aussi rébarbatives que Sam et Patrick, pour le même résultat net, c'est-à-dire au mieux l'élimination de suspects, mais sans jamais parvenir à faire sortir qui que ce soit du lot pour autant. La conséquence de cette progression qui ne donne pas l'impression d'en être une est variable : certains accueillent la pause méridienne avec soulagement, tandis que d'autres rechignent à la prendre, incités à rester à ce qu'ils font par un sentiment de culpabilité mal placé.

Lorsque la faim a raison de Randers, parmi les irréductibles, il se lève et range ses fichiers d'un grand geste survolant sa surface de travail. Attrapant sa veste sur le dossier de son siège pour y glisser son SD avant de l'enfiler, il remarque que son coéquipier ne fait de son côté pas mine de bouger. Intrigué quant à ce qui peut l'absorber à ce point, il fait le tour de leurs bureaux et vient regarder par-dessus son épaule ce sur quoi il planche.

— Qu'est-ce que tu fous avec des vidéos ? Le système a trouvé une occurrence intéressante ? il s'étonne alors, tout en ajustant son col.

Ils n'en sont en effet pas à étudier les films éventuels de leurs suspects si ceux-ci ne se trouvent pas en présence de Teresa, ni même ceux de Teresa seule. Ce serait bien trop fastidieux à ce stade de leur enquête. Et pourtant, on reconnaît bien la silhouette rebondie de la femme enceinte sur l'image sur laquelle vient de s'arrêter Sam.

— Nan. Je regarde juste s'il n'y a pas eu quelque chose qui serait sorti de l'ordinaire, le maître-chien s'explique sommairement, profitant de la pause engendrée par la conversation pour se frotter les yeux d'une main.

— Je sais qu'on piétine, mais tu peux pas bosser plus vite que le système. S'il y a eu une altercation, ça remontera, t'inquiète, lui fait remarquer Patrick avec un léger éclat de rire, amusé par l'ambition de son partenaire.

— Je cherche pas nécessairement une altercation. Juste une interaction… inhabituelle, peut-être un visage qui revient, je sais pas, Sam défend son initiative, sérieux pour sa part, mais restant toujours aussi vague, en partie parce qu'il n'est pas lui-même tout à fait au point sur ce qu'il essaye d'accomplir.

— On a pas déjà épluché tout ce qui a été enregistré d'elle et de ses proches ? Randers se montre surpris, se penchant pour repérer un visage connu parmi les autres personnes présentes à l'écran.

— Je cherche pas quelqu'un qu'elle connaissait, corrige une nouvelle fois Quanto, augmentant encore l'étonnement de son équipier, qui en a un mouvement de recul.

— On a dit que c'était personnel, il déclare simplement, tout à coup perdu.

— C'est certainement lié à sa grossesse, mais je suis plus si sûr que c'était forcément personnel, s'explique enfin à peu près Sam, surmontant sa réticence à partager son cheminement mental en le cas présent.

— On peut difficilement plus personnel ! Un cinglé qui tue les femmes enceintes au hasard se ferait rapidement remarquer, lui oppose Patrick, fronçant les sourcils dans sa confusion au raisonnement qu'est en train de tenir son partenaire.

— Peut-être que ce ne sont pas que les femmes enceintes, Sam continue à se défendre, haussant presque imperceptiblement la voix, agacé d'être remis en question.

Il retient ensuite une grimace, regrettant d'avoir parlé un peu vite. C'est son humeur moisie qui l'empêche de réfléchir avant d'ouvrir la bouche. Il a tellement hâte que quelque chose se passe enfin bien pour que tout cesse de s'empirer sans fin.

— De quoi tu parles ? l'autre essaye de lui tirer les vers du nez, las de tourner autour du pot.

— En Janvier, tu m'as toi-même dit qu'il y avait une drôle de vague d'homicides, non ? Et tu peux pas dire que le commissariat tout entier ne patauge pas dans la semoule sur presque toutes les affaires, en ce moment, l'oncle retourne contre son coéquipier les propos qu'il a tenus il y a deux mois, d'une certaine manière.

— De là à penser qu'elles sont toutes liées, il y a un grand pas, proteste Patrick, réfractaire à la suggestion, bien qu'elle soit née d'un de ses commentaires.

— Ouais, mais rien m'empêche de vouloir écarter l'hypothèse du crime impersonnel quand même, si ? Sam décide d'essayer de le faire tomber d'accord sur le fait qu'ils ne sont pas d'accord.

S'il ne veut pas aller plus loin dans ce débat, et n'avait d'ailleurs pas l'intention d'y entrer en premier lieu, c'est parce qu'il sait que pour défendre son point de vue il devrait faire mention de la preuve matérielle qu'a trouvée Iz la semaine dernière. Et l'enquête parallèle de la jeune femme n'est pas restée cachée uniquement par jeu entre elle et lui ; déclarer des affaires distinctes comme des crimes en série a de nombreuses conséquences, auxquelles elle ne peut pas faire face sans un dossier solide.

D'une part, comme l'a constaté l'inspecteur lorsqu'elle lui a fait part de sa découverte, même si peut-être avec un peu plus de raideur que nécessaire, rassembler les affaires à ce stade n'apporterait rien à l'enquête. À l'inverse, avoir une équipe qui travaille sur chaque victime séparément ne peut que faciliter la récolte d'informations. Informations que la profileuse peut justement croiser entre elles pour consolider son dossier global. D'autre part, un tueur en série, à l'instar de tout autre criminel en série d'ailleurs, implique souvent l'intégration dans l'investigation d'enquêteurs fédéraux, qui disposent généralement de moyens et d'expertises plus adaptés que ceux de la police locale. Et amener un individu extérieur n'est jamais quelque chose qui presse pour qui que ce soit.

Toujours est-il que Sam n'est au courant des recherches d'Iz que parce qu'il est celui qui a amené la vague de criminalité à son attention, et il n'estime pas que ce soit sa place d'en parler, même à son partenaire. Il pourrait, rien ne le lui interdit, mais il se dit que si Iz n'en a encore fait mention à personne, c'est forcément qu'elle a une bonne raison, et il ne voudrait pas marcher sur ses plates-bandes. Surtout qu'elle est déjà remontée contre lui, d'après son attitude de la semaine passée. Non pas qu'il n'avait pas décidé de garder le secret avant tout ça, mais ça ne fait que le conforter dans son choix.

— C'est une perte de temps, pour le moment, Patrick commente l'activité de son collègue, ignorant l'occasion de clore la conversation qu'il vient de lui tendre.

— Pas si j'ai envie de le prendre, proteste l'oncle, aussi un peu par principe maintenant, n'appréciant pas qu'on remette en cause son jugement, même s'il sait bien que son interlocuteur ne dispose pas de tous les éléments qui l'ont amené à faire ce qu'il fait.

— Bref. Tu viens manger ? l'autre laisse par chance enfin tomber, son estomac se rappelant sans doute à lui.

— Nan, merci, je préfère finir ça, lui répond Sam.

Il se doute que s'ils déjeunent l'un en face de l'autre après cette conversation, il ne va faire que penser au fait qu'il y a quelque chose qu'il ne lui dit pas. Et aussi légitime se sent-il par rapport à sa décision de ne pas mentionner l'enquête parallèle d'Iz, cette position de cachottier en elle-même ne lui est pas confortable pour autant.

— Sérieusement ? Tu vas sauter un repas pour suivre une piste sans fondement ? Pat reste incrédule à l'insistance du maître-chien.

— Je mangerai plus tard, c'est tout. C'est juste que je suis dans la zone, là, se justifie simplement Sam, ne mentant qu'à moitié.

— D'accord… finit par accepter Randers.

Il n'est clairement pas dupe et se doute bien qu'il y a autre chose qui tarabuste son partenaire, mais il choisit de ne pas insister. Si ça se trouve, ce n'est rien de plus que ce qu'il a maladroitement abordé plus tôt dans la matinée. Et puisqu'il a été établi que rien ne pouvait être fait dans l'immédiat vis-à-vis de cette situation, il préfère ne pas la remettre sur le tapis.

Après avoir accordé une caresse à Sing Sing, comme pour lui demander silencieusement de prendre soin de son borné de maître en son absence, l'inspecteur quitte la station pour aller se sustenter, exceptionnellement sans son coéquipier.

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