1x09 - Clé de voûte (18/18) - "Qu'est-ce que je vais faire de toi, Maena ?"
Dès que la pluie s'est arrêtée, Mae s'est précipitée dehors, armée d'un appareil photo. Le thème de son projet de photographie est "transformation". On peut difficilement plus classique, mais au moins c'est propice à l'inspiration. Elle avait déjà pensé à plusieurs pistes avant que le conseil d'Ellen ne l'incite indirectement à s'investir réellement dans le devoir, mais elle n'avait pas été suffisamment motivée avant ça pour s'y atteler pour de bon. Et puisqu'il n'a pas plu depuis la soirée pyjama des deux adolescentes, c'est la première occasion qu'a la blondinette de capturer un paysage après les intempéries.
Pour ne rien gâcher, une chasse à la prise de vue nocturne est également une distraction parfaite de sa journée pour le moins riche en rebondissements. Elle n'a après tout pas encore eu le temps de se préparer mentalement à annoncer à son père qu'elle a mis une autre élève au tapis. Même si pour le moment ça ne lui a apporté aucun ennui académique, elle ne peut pas le cacher, par principe d'honnêteté. Caesar a bien promis de prendre son parti, mais ça ne sera pas une conversation si facile pour autant.
La lycéenne déambule donc au hasard dans les quartiers résidentiels de Chicago proches du sien, capturant tout et n'importe quoi au gré de ses envies. Une goutte de pluie sur une branche d'arbre, une palissade à moitié repeinte seulement, un bourgeon un peu en avance pour la saison, … Le week-end dernier, elle a même emprunté Sing Sing à son oncle, alors qu'il leur rendait visite, pour essayer de l'avoir en longue exposition, changeant d'humeur, d'attentif à joueur. Le résultat est mitigé, mais au moins elle s'est bien amusée.
La récente averse et la pénombre tombante ont rendu les rues pratiquement désertes, si bien que Mae ne croise sur son chemin que quelques personnes qui promènent leur chien, qui la saluent silencieusement d'un hochement de tête ou d'un signe de main. Bien élevée, elle leur rend la pareille et un sourire, tout aussi muette. Au détour d'une ruelle, cependant, elle croit bien entendre des voix. Curieuse, elle s'approche et se penche, discrètement mais pas vraiment subrepticement, ne cherchant d'abord pas à épier vraiment. La scène retient pourtant son attention et la cloue sur place.
La première chose qui l'interpelle est que, maintenant qu'elle est suffisamment proche pour entendre distinctement, elle ne comprend pas ce qui se dit. Les voix lui donnent l'impression d'avoir été enregistrées puis passées en accéléré, voire peut-être même à l'envers. En tous cas, ça ne ressemble à aucun dialecte qu'elle aurait déjà entendu.
La seconde chose qui la fait rester où elle est au lieu de simplement jeter un œil en passant est la posture des silhouettes desquelles proviennent le discours. Un homme se tient debout, dans un grand manteau noir, tandis qu'un autre est accroupi à côté de lui, en veste de cuir, lui. De dos, ils ont tous les deux la tête baissée, examinant de toute évidence quelque chose sur le sol devant eux. Et bientôt, ils sont rejoints par une femme blonde.
Mae ne peut pas retenir un hoquet de surprise en reconnaissant la nouvelle venue comme Andy, et tout s'enchaîne ensuite très vite.
Ben, qui était accroupi, tourne la tête puis se relève, laissant entrevoir un corps allongé à ses pieds.
Strauss, debout, fait simplement volte-face, sans même prendre la peine de sortir les mains de ses poches.
Andy, en revanche, a disparu en un éclair de là où elle se tenait.
Moins d'une seconde plus tard, Mae se retrouve plaquée au mur derrière elle à l'entrée de la ruelle, le souffle coupé, la jeune femme lui appuyant fermement sur le haut de la poitrine et la maintenant paralysée.
— Andy, non ! ordonne la voix de Strauss avec plus d'autorité que l'adolescente ne l'a jamais entendue, avant même qu'elle n'ait eu le temps d'essayer de se débattre ou de crier.
Non pas qu'elle aurait réussi à se dégager, la prise sur elle étonnamment efficace. Elle n'a même pas la liberté de se tortiller. Elle sent la main d'Andy se crisper sur elle à l'injonction de son colocataire et ne peut que se demander ce qu'il l'a empêchée de faire. Son regard assassin planté dans le sien n'a rien de rassurant.
— Elle nous a vu, la blonde justifie sa réaction à ses deux acolytes, tout à coup à ses côtés.
Mae voudrait intervenir, dire qu'elle n'a rien vu du tout ou qu'elle ne va rien dire à qui que ce soit sur le peu qu'elle a vu, mais aucun son ne sort de sa gorge.
— Laisse-la, Strauss enjoint, toujours sur ce même ton commandant inhabituel.
— Pourquoi je suis là si tu ne me laisses pas réparer vos bêtises ? lui demande alors Andy, lâchant à contrecœur sa prisonnière, qui est surprise de ne toujours pas pouvoir bouger malgré cela.
— Qui dit qu'une bêtise a été commise ? lui rétorque Strauss, dur.
— Elle est là, n'est-ce pas ? souligne la jeune femme, mauvaise.
— Pas par ma faute. J'ai fait ça bien, intervient Ben, d'un ton étonnamment détaché par rapport au caractère tendu de l'échange jusqu'ici.
— Quoi qu'il en soit, elle me voit tous les jours, tu ne peux pas t'en débarrasser comme de n'importe quel témoin, raisonne le mathématicien.
Les yeux de Mae s'agrandissent encore un peu plus au caractère menaçant de son propos.
— Qu'est-ce que tu suggères, alors ? Andy reste défiante, croisant les bras, encore plus indifférente que ses comparses à la panique de leur détenue.
— Allez vous occuper de ce qui a effectivement besoin de nettoyage. Je peux gérer ça, Strauss affirme, sûr de lui.
— Très bien ! la blonde accepte avec une réticence affichée.
Elle lance un dernier regard à Mae avant de retourner d'où elle a surgi, qui glace le sang dans les veines de la jeune fille, pourtant déjà terrifiée. Ben emboîte le pas à sa colocataire, son visage exempt de toute opinion sur ce qui est en train de se dérouler. Strauss les regarde s'éloigner avant de se tourner vers son élève pour la première fois depuis qu'elle l'a reconnu dans cette impasse. Il scrute son visage terrorisé de ses yeux abyssaux, puis soupire.
— Qu'est-ce que je vais faire de toi, Maena ? il murmure.
Il a retrouvé le ton qu'elle lui a toujours connu, grave et doux, mais ça ne l'aide pourtant pas à se sentir en sécurité, comme sa voix lui inspire usuellement.
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