1x09 - Clé de voûte (17/18) - Tango
Sam sort de salle de bain d'Iz après s'y être séché du mieux qu'il pouvait. Il a simplement épongé son visage et ses vêtements du mieux qu'il a pu, mais ça lui a tout de même fait un bien non négligeable. Il suffit parfois de peu de choses pour se remettre d'aplomb. Le seul ennui maintenant, c'est qu'il est obligé de faire face à la jeune femme après tout ce qu'il lui a déballé. Il n'a pas honte, puisqu'il n'a pas menti et estime que ça devait être dit, même si peut-être pas exactement en ces mots, mais il n'a néanmoins pas pour habitude de s'éterniser dans les parages suite à ce genre de vidage de sac.
Toujours une serviette éponge autour du cou, il rejoint la propriétaire des lieux dans le vaste espace à vivre. La porte d'entrée amène directement dans cet endroit, qu'elle sépare implicitement en deux zones de surface sensiblement égale : la cuisine sur la gauche et le salon sur la droite. Derrière l'inspecteur et en face de l'entrée, un couloir mène d'un côté à la salle de bain, d'où il sort, et de l'autre à la chambre à coucher, présentement fermée par mesure de sécurité pour le chat qui habite ici. La porte au bout du corridor donne certainement sur le jardin, d'après la chatière qui la perce. De plain-pied, la petite maison est plutôt bien agencée.
— Merci encore pour… Sam lance à la brunette, assise sur le canapé, penchée au-dessus de sa table basse intelligente.
Elle sursaute, ne l'ayant pas entendu sortir de la salle d'eau, puis range ce qu'elle était en train de lire d'un geste ample, afin de pouvoir lui accorder toute son attention. Elle s'accoude au dossier du sofa, appuyant sa tête sur son poing.
— Je te devais bien ça, elle déclare avec un haussement d'épaule, sincère.
— Ah bon ? il s'étonne, ne s'étant pas attendu à cette réaction de sa part.
— Il faut être deux pour jouer au tennis, elle s'explique par une métaphore qui le laisse un peu perplexe.
— Et qu'est-ce que ça veut dire, ça ? il demande des précisions, s'approchant de là où elle est assise d'un pas.
— Que je savais qui tu étais dès le moment où tu es venu me rappeler mon poste dans la salle du serveur. Je me doutais qu'entrer dans ton jeu allait mal finir, mais je l'ai fait quand même. Tu n'es pas le seul fautif dans cette histoire, elle élabore son idée, se levant de son siège afin que leurs regards soient au même niveau lorsqu'ils se parlent.
— Ce n'est pas ce que je cherchais à te faire dire en venant ici, il annonce, n'appréciant pas qu'elle lui cherche des excuses.
Il a mal agi et il faut qu'il assume. C'est loin d'être la première fois, et ce n'est certainement pas la dernière, mais il essaye toujours d'accepter ses responsabilités. Qu'elle ait su qu'il allait réagir comme il l'a fait ne rend pas sa réaction acceptable.
— Oui, mais ça me soulage de te le dire. J'avais l'impression d'être cette petite fille qu'on plaint parce que le chien l'a mordu alors qu'elle a passé l'après-midi à lui tirer la queue, elle insiste, glissant les mains dans les poches de son pantalon.
C'est la première fois qu'il la voit porter autre chose qu'une jupe et des hauts talons. Il n'avait même pas enregistré ce détail avant maintenant.
À la mention de son espèce, Sing Sing, couché sagement dans un coin, relève la tête de sur ses pattes.
— Oh. Donc maintenant je suis carrément un chien, relève Sam en souriant, la connotation de l'analogie sans doute pas intentionnelle mais tout de même amusante.
— Comme si tu allais le nier… elle le prend à son propre piège, croisant les bras.
Ne pouvant pas exactement se défendre sans faire preuve d'une immense mauvaise foi, il décide alors de changer de sujet :
— Sur quoi tu travaillais ? il lui demande, désignant la table basse d'un mouvement du menton et s'approchant d'un nouveau pas vers son hôte.
Elle tourne machinalement la tête dans la direction qu'il indique, bien que plus rien ne soit visible sur la surface intelligente.
— Er… Plus ou moins toujours cette même idée que tu m'as donnée la semaine dernière, elle répond, pinçant ses lèvres pour se retenir d'en dire plus.
— Je peux ? il s'enquiert, évidemment curieux.
— Non, elle l'entrave de suite, secouant la tête à la négative.
— Pourquoi pas ? il se permet alors de demander, ce refus ne faisant qu'intensifier son intérêt pour le sujet, par la plus pure des psychologies inversées, ainsi que la moins intentionnelle sans doute.
— Parce que je n'ai encore rien de certain pour le moment. Ça ne ferait que t'embrouiller, Iz l'assure, posant une main derrière sa nuque, semblant une nouvelle fois partagée.
— D'accord, il accepte finalement sa décision, sentant qu'insister la ferait sans doute craquer et qu'elle le regretterait, ce dont il ne voudrait pas être responsable.
Il connaît ce sentiment, de vouloir partager une information avec quelqu'un et de savoir qu'il ne vaut mieux pas. Il le connaît même trop bien ces derniers temps, la tentation de parler du lien entre les affaires à son coéquipier et même leurs autres collègues se faisant de plus en plus grande au fil du temps qu'ils restent tous coincés dans leurs enquêtes. Mais, à l'instar d'Iz, il sait aussi que ça n'apporterait rien, et c'est ainsi qu'il se contient. Ça ne rend pas la situation agréable, ceci dit.
— Je peux te demander ce qui t'a fait venir aujourd'hui ? Pour t'excuser, je veux dire, la jeune femme interroge soudain son impromptu invité, se demandant si quatre jours de séparations sont réellement tout ce qu'il faut pour le mettre dans un état pareil.
Elle ne l'aurait jamais cru du genre à hésiter avant de venir sonner chez qui que ce soit. Surtout sous la pluie. Et elle ne sait pas à quel point elle voit juste, puisqu'il ne se reconnaît lui-même pas vraiment dans ce comportement. Il ne sait pas trop ce qui lui a pris. Tout va décidément de travers, ces temps-ci.
— Honnêtement ? Mauvaise journée. J'ai essayé d'aborder l'idée d'un tueur en série avec Randers, et ça n'a pas été un franc succès. Et l'ambiance est pourrie au commissariat de toute façon, il résume, retirant enfin la serviette qu'il a autour du cou mais la gardant entre ses mains, à défaut d'un endroit convenable où la mettre.
Ça lui permet aussi de s'occuper les mains alors qu'il déballe tout ce qui l'embête. Il n'aime pas se plaindre. Pas de manière aussi peu constructive, en tous cas.
— Je suppose que le fait que je ne sois pas là pour distribuer le café n'aide pas. Mais je croyais que c'était Randers qui t'avait fait remarquer la vague de crime ? son interlocutrice se montre compatissante, tristement familière du gros nuage noir qui plane sur leur lieu de travail depuis quelques mois, et aussi ayant été mise au courant de l'impact de sa dernière absence, alors qu'elle menait la cellule psychologique au lycée Walter Payton suite à la prise d'otages.
— Si on bosse si bien ensemble c'est parce qu'on est un peu complémentaires, lui et moi. Sur ce coup c'est lui qui m'a inspiré et une autre fois ce sera moi qui lui donnerai le déclic, l'inspecteur justifie la réaction de son partenaire, qu'il peut tout à fait comprendre, peu importe combien elle lui a été contrariante sur le moment.
Il lui en faudrait beaucoup plus pour lui en vouloir pour de bon. Ce n'est pas tout le monde qu'il laisse s'en tirer après lui en avoir mis une, après tout, donc Randers dispose d'une certaine marge de manœuvre avant de se le mettre à dos.
— Et tu vas me dire que tu ne t'es jamais pris la tête avec ton coéquipier avant de me rencontrer ? Iz remet alors en cause sa justification de sa visite, finalement pas très convaincue du lien de causalité qu'il propose.
— D'habitude je vais faire un tour avec mon chien, mais… je suppose que j'avais juste envie de te voir, il finit par admettre, ne voyant pas pourquoi il devrait en avoir honte.
Il lui a clairement dit plus embarrassant lors de son petit discours sur le porche, de toute manière.
À nouveau mentionné, Sing Sing ne prend cette fois pas la peine de lever la tête et ouvre simplement les yeux, s'étant résigné à ne pas faire réellement partie de la conversation.
— Pour ce que ça vaut, tu m'as manqué aussi, Iz rebondit, pour que Sam se sente un peu moins seul, quoique sans mentir.
— Vraiment ? il se met à douter de sa parole à son tour, plissant les yeux.
Il tolère assez mal qu'on ait pitié de lui. Si elle lui a répondu ça uniquement pour le faire se sentir mieux, c'est pire que si elle n'avait rien dit du tout.
— Oui. Travailler seule et dans le secret est… fatigant. Ça m'a manqué d'en parler avec toi, même dans l'imprécision, elle insiste sur son sentiment, sincère, glissant à nouveau l'une de ses mains derrière sa nuque, sous sa chevelure brune ondulée.
— Ouais, ça t'a juste manqué d'en parler avec quelqu'un, il paraphrase, refusant puérilement de reconnaître qu'elle a été aussi affectée par son absence qu'il l'a été par la sienne.
Iz laisse échapper un éclat de rire étouffé à sa réaction, stupéfiée par son audace. Certes, il est la seule personne à qui elle peut parler de tout ça, mais ça ne diminue en rien la valeur de son appréciation pour leurs échanges. S'il était réellement pénible voire pire, inintéressant, elle aurait fini par trouver un autre interlocuteur, voilà tout, quitte à contacter d'anciens collègues d'université.
— Tu sais quoi ? Je ne vais pas saisir cette perche ! Tu es de loin l'une des personnes les plus sûres d'elles que je connaisse. Et c'est pas peu dire dans un environnement comme un commissariat. Je ne me ferai pas avoir par ton petit numéro de Calimero, elle lui renvoie, secouant la tête à son degré d'incorrigibilité.
Elle a compati avec son inaptitude à gérer des sentiments d'adultes, qu'il a sans doute eu autant de mal à s'avouer à lui-même qu'il a eu de mal à la lui formuler tout à l'heure, mais il ne lui fera jamais croire qu'il peut se sentir rejeté par qui que ce soit. Personne dans toute sa vie n'a dû prendre Sam Quanto pour acquis. D'après sa personnalité actuelle, c'est tout bonnement inconcevable. Et à sa façon d'interagir avec elle, il ne lui fera pas croire non plus que son appréciation pour sa présence lui a échappée. Il est bien trop perspicace et elle est loin d'être aussi subtile.
— Wow ! Je n'aurais jamais pensé que tu étais le genre de fille à frapper un homme à terre, il se permet tout de même, levant les mains en signe de reddition mais sans perdre l'ombre de son sourire, clairement amusé.
Peut-être que ce n'est que parce qu'elle est chez elle, sur son terrain, mais il n'a pas l'impression qu'elle ait usuellement autant de répondant. Non pas qu'elle en manque, loin de là, mais il n'a pas le souvenir qu'elle ait jamais eu à ce point le dessus sur lui dans une conversation. D'un autre côté, peu de monde est capable d'établir cet ascendant sur lui. Mais curieusement, venant d'elle, ça ne lui déplaît pas.
— Je ne crois pas qu'il te soit possible d'être à terre, Sam, elle lui réitère son affirmation sous une autre forme, croisant à nouveau les bras, gentiment défiante.
— Oh ? Donc ma petite scène sous la pluie n'était pas suffisamment pathétique pour toi ? Parce que je t'avoue que je suis un peu mortifié d'avoir fait un truc pareil, il lui rappelle, tendant la main vers la porte derrière elle, secouant la tête à ce souvenir qu'il n'arrive pas à croire être aussi récent.
— Hum. T'as raison, tu avais l'air franchement pitoyable. Tout trempé, à chercher tes mots, … elle enfonce le clou, mesquine.
— Très bien. Je t'ai manqué. Je l'accepte, il capitule pour de bon, si dans le seul but d'interrompre cette description sans doute beaucoup trop vraie à son goût.
— Merci ! Iz accueille à bras littéralement ouverts, victorieuse.
Ils restent ensuite un instant en silence, debout face à face dans le salon, les yeux dans les yeux, à pondérer l'échange qu'ils viennent d'avoir. Ils étaient de retour à cet équilibre qu'ils avaient établi ces derniers mois, à l'une de ces joutes verbales légères, joueuses, sans effort, confortables qu'ils partageaient autour d'une tasse de café qui terminait toujours tiède. Le genre de conversation qui lui avait donné l'irrésistible envie de l'embrasser, cette dernière Saint Valentin.
— Je devrais y aller, ceci dit, Sam reprend finalement en s'éclaircissant la gorge et détournant le regard, gêné et ne voulant pas faire quelque chose qu'ils regretteraient tous les deux.
— Pourquoi ? elle lui demande immédiatement, faisant ensuite de son mieux pour ne pas laisser paraître sur son visage que le pronom interrogatif lui a totalement échappé.
— Parce qu'il est tard ? il répond, son intonation prenant un tournant interrogatif non pas parce qu'il n'est pas sûr de lui mais parce que le fait qu'elle objecte l'intrigue.
— Mais… ta veste n'est pas sèche, est le premier argument qui lui passe par la tête pour l'empêcher de partir.
À peine les mots ont-ils franchi ses lèvres qu'elle grimace à nouveau, comme si elle s'en voulait d'avoir dit ça, et même avec moins de discrétion que la fois précédente. D'un coup d'œil derrière elle, par-dessus son épaule, il peut néanmoins voir qu'elle dit vrai et que sa veste de cuir est toujours effectivement étalée là où il l'a vue la mettre avant qu'elle ne lui indique où était la salle de bain. Ce n'est donc pas une excuse entièrement infondée pour retarder son départ. Mais c'est vrai que ça reste quand même assez léger.
— Tu sais quoi ? … Je ne vais pas saisir cette perche, il retourne contre elle ses propres paroles d'un peu plus tôt, se faisant visiblement violence pour ne pas faire très exactement ça, à la pause qu'il met entre la question rhétorique et la réponse qu'il y offre.
Il fait toujours le premier pas. Mais quand il l'a fait avec elle, ça s'est plutôt mal terminé ; il ne sait pas comment la gérer correctement, il le lui a très bien si un peu maladroitement fait comprendre lors de son petit soliloque sous le porche. Il apprécie clairement sa compagnie, ce n'est pas un secret, mais il a déjà démontré qu'il n'avait strictement aucune idée de la marche à suivre quand il est question de maintenir une relation à proprement parler. Il n'est pas entièrement réfractaire à l'idée d'apprendre, comme le met en évidence son effort de venir s'excuser de son comportement d'homme des cavernes ce soir, mais ça risque de demander beaucoup de travail, ce qu'il ne voudrait pas lui imposer sans connaissance de cause. Alors il prend sur lui et il reste sage, pour une fois dans sa vie.
De son côté, Iz pèse également le pour et le contre. Elle n'a jamais autant eu l'impression d'avoir un petit démon sur l'épaule gauche et un petit ange sur l'épaule droite. Elle le veut. Méchamment, même. Et elle sait que c'est primitif, qu'elle ne devrait pas, que ce ne sont sans doute que ses yeux bleus électriques posés sur elle, sa stupide façon de pencher imperceptiblement sa tête sur le côté, son fond de barbe permanent, ajoutés à sa présente attitude presque penaude, qui lui font cet effet-là. Elle devrait se méfier. Elle devrait apprendre de ses erreurs. Elle savait déjà la première fois qu'il l'a abordée qu'il n'était pas fréquentable, et elle a récolté ce qu'elle a semé. Pourquoi retenter l'expérience ? Parce qu'il est charmant, drôle, d'une arrogance aussi horripilante que la plupart du temps légitime ? Parce qu'il a fait un effort qu'elle n'attendait même pas de lui, et qu'elle a déjà admis ne pas être complètement innocente dans cette affaire ?
Envoyant ses objections voler en éclat, elle finit par céder et referme en un clin d'œil la distance qui les sépare. D'un geste empli de plus de certitudes que le raisonnement qui l'a provoqué, elle lui arrache la serviette éponge qu'il a entre les mains puis l'attrape par la nuque pour attirer son visage au sien. L'accessoire de toilette atterrit quelque part sur le sol de la cuisine au moment où leurs lèvres se rencontrent fiévreusement. La chute molle attire brièvement l'attention de Sing Sing, toujours couché près de l'entrée. Réveillé, l'animal avise ensuite ce qui est en train de se passer du côté de son maître. Connaissant la routine lorsque les rires se mettent à retentir et les vêtements à toucher le sol, il ne tarde cependant pas à retourner à sa sieste, pas perturbé pour si peu.
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