1x09 - Clé de voûte (1/18) - Indécence

Doucement, presque subrepticement, elle glisse ses mains sur son torse, entre sa veste de cuir et son T-shirt blanc. Collée à lui, yeux fermés, elle savoure à tâtons les contours de son corps sous la fine épaisseur de tissu qui l'en sépare, comme un sculpteur pourrait vérifier la correcte anatomie de son dernier buste. Entre deux baisers, elle se mordille la lèvre inférieure, ignorant royalement les gens qui pourraient les dévisager alentour. Elle va même jusqu'à guider ses mains à lui, tantôt un peu plus haut que sa taille, tantôt un peu plus bas, provocatrice, dansant sur la limite de la décence.

Avec la même grimace dégoûtée, Ellen et Mae se détournent ensemble du spectacle qu'offrent Nelson et sa petite amie.

Depuis l'officialisation du couple, il y a maintenant un peu plus de deux semaines, leurs démonstrations d'affection se sont faites de plus en plus écœurantes pour les deux amies du garçon. C'est comme si Sarah Degriff cherchait sciemment à leur donner envie de vomir. Avec succès, malheureusement.

- Je vais aller les voir et lui en mettre une, annonce Mae, bras croisés et mâchoire serrée, en parlant de son ami d'enfance.

Jusqu'ici, elle s'était abstenue de tout commentaire sur ces effusions pourtant relativement fréquentes, mais aujourd'hui elle n'y tient plus. Pourquoi est-ce qu'elle devrait se montrer raisonnable quand il n'en fait pas lui aussi l'effort ? Au début, il avait au moins la bonne grâce d'avoir l'air embêté, mais ces jours-ci, il donne l'impression d'avoir totalement oublié ses deux anciennes copines. En tous cas, il a clairement abandonné l'idée de leur faire voir les qualités rédemptrices qu'il trouve à la rouquine, ça c'est certain. Ou alors il s'y prend bien mal.

- Il est pas un peu grand pour ça ? demande Ell', sans sourciller à la menace, après tout la première à avoir proposé des actions punitives à l'égard de Nelson en apprenant sa situation.

- Je connais ses faiblesses. Et puis, sérieusement, même si c'était une autre meuf j'aurais envie de le baffer, là, la blondinette soutient la validité de son intention, ses yeux lançant toujours des éclairs en direction du couple, dont elle n'arrive malgré elle pas à détacher son regard très longtemps.

- Loin de moi l'envie de te retenir.

La marginale n'a rien d'autre à objecter à l'idée, happée par le même vortex de curiosité malsaine que sa camarade.

- Je sais. Je t'en parle pour me retenir toute seule, Mae se tempère cependant d'elle-même.

- Résultat ? s'enquiert Ellen, peu convaincue, en voyant les phalanges blanchies de la petite blonde.

- Mitigé, elle confirme à moitié, avec un nouveau froncement de nez.

- Tout va bien, Maena ? l'interroge soudain une voix grave derrière elles.

Les deux adolescentes sursautent violemment à la question, et se retournent tout aussi brusquement. Comme le laissait présager l'appellation utilisée, et ne laissait de toute façon pas de doute la voix entendue, celui qui vient de parler n'est autre que leur actuel professeur de Mathématiques. Le grand brun ténébreux fixe son élève avec toute l'intensité dont ses yeux sombres sont capables, l'air sincèrement inquiet de son état émotionnel.

- Mince ! Vous pourriez pas arrêter de surgir de nulle part, comme ça ? elle l'admoneste sans la moindre retenue, déstabilisée par son apparition, et encore à fleur de peau.

- Mae ! la reprend instantanément Ellen, lui faisant les gros yeux.

- Er… Désolée. J'en ai après quelqu'un d'autre, s'excuse alors vaguement la blondinette, remettant une mèche derrière son oreille et rajustant la sangle de son sac pour se donner une contenance.

Strauss, lui, est resté figé, de toute évidence trop pris au dépourvu par sa réaction pour s'en offusquer sur-le-champ comme aurait peut-être su le faire un enseignant plus expérimenté à sa place.

- Je peux voir ça. D'où ma question, il déclare une fois la surprise passée, décidant de ne pas lui tenir rigueur de sa petite explosion.

- Mon meilleur ami est un con. Ou peut-être juste un mec, le jury est ouvert, elle explique aussi sommairement que sans filtre, faisant fermer les yeux à sa camarade à côté d'elle, pourtant experte dans le domaine des remarques inappropriées.

- Mae, arrête de parler, elle lui suggère entre ses dents, cachant le haut de son visage avec sa main semi-gantée.

- Ce n'est pas grave. J'ai entendu pire, l'enseignant laisse une fois de plus passer ce qu'un autre que lui aurait sans doute considéré comme de l'insolence, allant même jusqu'à laisser l'ombre d'un sourire amusé commencer à poindre au bord de ses lèvres.

- C'est pas vraiment une excuse… marmonne Ellen toujours tout bas.

- Nelson retrouvera ses esprits, j'en suis sûr. Content de savoir que ce n'est rien de grave qui t'affecte, l'enseignant tente d'encourager son élève contrariée.

Comment il a compris ce dont il était question reste un mystère. Il est parfois d'une étonnante perspicacité, et d'autres fois tout à fait aveugle à ce qui se déroule autour de lui.

- Ça, c'est vous qui le dites, n'arrive toujours pas à retenir Mae, les vannes ouvertes.

Elle tique cependant cette fois d'elle-même, se rendant compte toute seule du caractère déplacé de sa remarque, étant donné son auditoire. Elle n'a même pas eu le réflexe de rougir. C'est comme si elle ne l'avait tout bonnement pas enregistré comme un adulte.

- Mae…! gronde encore Ell' sur le même ton, relevant légèrement sa main de ses yeux pour pouvoir la dévisager par en-dessous.

- À tout de suite, le mathématicien conclut l'échange, avec un hochement de tête et un nouveau sourire quoiqu'un peu plus franc que le précédent.

Alors qu'il se détourne des deux adolescentes pour se rendre dans la salle devant laquelle elles attendent et où elles ne vont pas tarder à le rejoindre, l'originale se laisse enfin aller à s'en prendre physiquement à son amie. Après lui avoir asséné un coup sur l'épaule, elle la foudroie du regard pour la énième fois depuis l'arrivée de leur professeur, ahurie du comportement qu'elle vient d'oser avoir devant lui :

- Je me souviens pas de t'avoir conseillé de mal le traiter, pour faire passer ton béguin ! elle vocalise son hébétement, le mimant également en écartant les bras.

- Je le traite pas mal ! J'ai été surprise, c'est tout. C'est pas ma faute si je fais des efforts pour me distraire de sa présence, et il vient quand même se mettre pile sous mon nez, se défend la petite blonde, même si elle a conscience que son attitude n'était pas exactement acceptable, et ce quoi qu'en dise le principal concerné.

- Si ça peut te consoler, j'allais te dire que tu semblais mieux, depuis la semaine dernière, lui propose Ellen, toujours compatissante quant à sa situation quelle que soit la façon dont elle décide de ou en tous cas parvienne à la gérer.

- Ouais. Tes exercices sont curieusement efficaces, admet Mae, pourtant initialement plus que dubitative des compétences de contre-entremetteuse de sa camarade.

- C'est quoi, ton échappatoire, alors ? s'enquiert la mentor d'un soir, curieuse comme toujours.

Son principal conseil était de se trouver une distraction, une activité sur laquelle elle puisse instantanément focaliser toutes ses pensées, quel que soit l'endroit et le moment. Quelque chose pour remplacer son obnubilation actuelle, tout simplement. Rien de révolutionnaire.

- Je me concentre sur mon projet photo. Ça m'a pris en milieu de semaine dernière, et j'y ai passé le week-end. Mieux que le jogging, explique la blonde, avec plus d'enthousiasme qu'elle ne l'aurait pensé elle-même, l'activité ne l'attirant en temps normal pas particulièrement plus que beaucoup d'autres.

- Je suis fière de toi, confirme Ellen, avec un sourire qui traduit très exactement ce sentiment.

- J'étais assez fière de moi aussi. Jusqu'à il y a deux secondes… se renfrogne cependant l'apprentie, juste au moment où la première sonnerie de la journée retentit.

Ayant oublié ce pourquoi elles étaient initialement énervées en arrivant, les deux jeunes filles ne font pas attention en se tournant vers la porte, et ne manquent hélas pas le baiser de séparation de la rouquine à Nelson. Incapables de réprimer un haut-le-cœur, elles se pressent alors d'entrer en classe, non sans l'une comme l'autre songer que ce début de journée complètement bancal ne présage rien qui vaille.

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