1x08 - Désynchro (7/16) - Rétro-ingénierie

Une fois la mosaïque de langages contenus dans l'anneau de Caroline reconnue, Aleksander n'avait plus qu'à interpréter sa lecture. Ce n'est cependant pas forcément une étape aussi triviale qu'il n'y paraît. C'est un peu comme de lire un article scientifique dans un domaine avec lequel on n'est pas familier : c'est difficile à suivre. Il n'y a pas de petites notes en bas de pages pour expliquer les termes qu'on ne comprend pas, ou les inférences faites un peu rapidement par habitude par l'auteur.

À savoir qu'en l'occurrence, il manque même à l'ingénieur l'équivalent du titre de l'article, voire de la revue, puisqu'il ignore absolument tout du laboratoire d'origine du gadget, et des intentions des chercheurs qui y travaillent. Et il ne faut pas compter sur des commentaires éventuels au fil du code, une documentation exportée favorisée dans le domaine de technologies de petites dimensions, souvent par souci de préservation de l'espace de stockage parfois limité.

Certains passages sont tout de même assez standards et peuvent être écartés assez tôt, notamment toute la partie qui concerne la prise de carburant. Alek y retrouve d'ailleurs la formule de l'agent chimique que le porteur doit avoir sur la peau pour que son gadget se mette en marche, confirmant ce que son étude empirique a déjà mis en évidence.

Une autre étape importante ensuite est de reconnaître quelles lignes de code correspondent à quelles parties de la structure de l'anneau. Un capteur est alloué à la reconnaissance du produit chimique de contrôle, tandis que d'autres sont affectés à la récolte d'énergie thermique à proprement parler, mais les autres zones restent encore à fonction indéterminée, même lorsque l'ingénieur a pu établir quelles commandes les contrôlent.

La méthode la plus simple pour comprendre le fonctionnement d'un programme est habituellement de le lancer, tout simplement. Étant donné la possibilité que l'anneau ait plongé une adolescente dans le coma, cette alternative ne peut cependant pas être appliquée directement ici. C'est bien pour ça que la chaleur humaine nécessaire à sa mise en marche est pour l'heure simulée par le support sur lequel l'objet a été placé.

Un modèle serait un bon compromis, permettant de reproduire le fonctionnement de la bague dans un environnement parfaitement contrôlé, mais il semble manquer un élément à Aleksander pour que cette démarche soit concluante. Il a facilement eu accès à un modèle de corps humain dans son intégralité (il ignore en effet encore si le gadget n'est pas en interaction avec une autre partie de l'anatomie que le doigt de la main auquel il est passé), mais la mise en marche de l'anneau sur ce porteur virtuel n'a strictement rien donné. L'ingénieur a même tenté de le mettre à chacun des dix doigts, pour être sûr, mais rien ne s'est produit quoi qu'il essaye.

Il est possible que l'instrument soit effectivement inerte comme le pensait Jena à la base, mais Alek ne veut pas écarter la possibilité que l'objet ait tout simplement une cible et n'agisse pas uniquement sur son porteur mais en combinaison avec un tiers parti. Un coup d'œil dans le comportement du code confirme son intuition : certaines lignes non appelées, et par conséquent la plupart de l'appareil restant inactif dans son modèle. Encore une fois, cela pourrait suggérer une inertie intrinsèque, mais pas seulement.

À ce stade, la cible potentielle pourrait hélas être à peu près tout et n'importe quoi. L'ingénieur n'a absolument rien pour l'aiguiller, ne serait-ce que vers de l'organique, du mécanique, ou du numérique.

Comme il faut bien commencer quelque part, et bien qu'il n'ait pour le moment aucune preuve que l'anneau ait causé l'électrisation de Caroline Miller, il décide de tenter sa chance avec ce qui entourait l'adolescente au moment de son malaise.

Lorsqu'elle est venue lui présenter son problème, le scientifique avait déjà interrogé Jena sur l'accident de sa petite sœur, et il a par la suite recherché de lui-même les rapports établis par les premiers secours, puis l'hôpital. La jeune fille a été retrouvée dans sa chambre, chez elle, entre son lit, son armoire, et son bureau. Elle portait une longue tunique avec une ceinture de cuir, des leggings, et des bottines à boucle. La position dans laquelle elle a été retrouvée ne suggère pas qu'elle ait eu sa main à un endroit particulier, mais au moins il sait qu'elle portait l'anneau à son index gauche.

— Et c'est parti pour encore plus de fun, murmure l'ingénieur pour lui-même, personne avec lui dans son bureau.

Ce qu'il lui reste à faire, maintenant, c'est un peu comme son procédé empirique au moment de déterminer le composé d'activation du ravitaillement de l'anneau la veille : il doit trouver la configuration, entre tous les éléments, qui conduit soit à l'accident, soit au fonctionnement correct du gadget. En d'autres mots, il faut qu'il pense aux et teste les milliers de postures possibles qu'a pu prendre l'adolescente avant de s'électriser, pour ensuite avoir été retrouvée comme elle l'a été.

Tout à coup, Alek regrette encore moins d'avoir pris sa journée, car il n'aurait pas voulu avoir à faire traîner cet exercice quelque peu fastidieux sur plusieurs soirées. Reprenant une gorgée de thé à la menthe, le quadragénaire s'attelle consciencieusement à sa nouvelle tâche.

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