1x08 - Désynchro (4/16) - Psychanalyse amateur

Dans le gymnase de Walter Payton High, comme tous les Lundis en début de deuxième partie de matinée, Ellen et Mae s'étirent avant l'effort, à l'instar de leurs camarades de classe autour d'elles. Chacun y va de l'exercice qui lui convient le mieux, certains insistant sur leurs épaules, d'autres sur leurs genoux. Assises sur le sol, une jambe pliée et l'autre tendue devant elles, les deux copines se penchent pour leur part en avant pour attraper leur pied le plus éloigné. Mae est plus souple que son amie, mais cette dernière préfère tout de même l'imiter, par manque d'inspiration.

La position est supposée être conservée une minute à peine avant de changer de jambe, et pourtant la petite blonde reste curieusement bloquée la main autour de sa plante de pied, son regard perdu dans le vide, songeuse. Ce comportement étrange ne lui échappant pas, Ellen suit son regard, s'attendant à moitié à ce qu'il l'amène à Nelson, de l'autre côté de l'attroupement d'élèves, à les ignorer royalement. À sa plus grande surprise, ce n'est pas le cas. Mais cela ne signifie pas pour autant que ses suspicions sur les ruminations de son amie sont erronées.

— Mae. Je sais que tu n'as pratiquement jamais été sans Nels, mais je suis là, moi, elle choisit d'interpeller sa camarade, la tirant de ses pensées.

— Huh ? Pourquoi tu me dis ça ? lui demande l'apostrophée avec alarme, ne comprenant pas l'origine de cette remarque.

Elle ne s'attendait pas à ce qu'Ellen mention l'ancien troisième membre de leur troupe d'elle-même. Le sujet de Nelson, depuis que l'identité de sa nouvelle et secrète petite amie a été partagée, a à vrai dire été soigneusement évité. Comme la blondinette l'avait prévu, sa camarade s'est effectivement rangée à son opinion. Ce qu'elle n'avait pas anticipé, c'est que la marginale le fasse avec autant de véhémence. Ayant découvert récemment qu'elle était tout à fait capable de lui cacher des choses, Mae en est même venue à se demander si elle n'aurait pas par hasard une rancœur personnelle envers la rouquine. Comment expliquer sinon qu'elle soit allée jusqu'à vouloir intervenir pour séparer les tourtereaux, poussant finalement Mae à la tempérer, elle qui était pourtant au préalable persuadée que les rôles seraient inversés ?

— Parce que tu es totalement dans la Lune, depuis le retour des vacances. Je pensais que ça te passerait avec le week-end, mais visiblement non, l'adolescente aux guêtres étoilées révèle cependant en l'occurrence ne se soucier que de l'amie qu'il lui reste, avec une moue triste, rompant sa posture d'étirement pour se mettre en tailleur.

— C'est pas ça. Enfin, si, Nels me manque, mais il y a autre chose, essaye de la détromper Mae.

Oui, elle n'a pas reparlé à Nelson depuis huit jours, et c'est effectivement sans doute le plus longtemps qu'ils ont passé sans communication quelle qu'elle soit durant ces dix dernière années. Mais elle le voit tout le temps au lycée. Et dès qu'il n'est pas en cours, sa harpie de petite copine se jette sur lui, rappelant à la blondinette très exactement pourquoi elle ne veut pas lui parler. Donc non, le grand adolescent n'est pas la raison pour laquelle elle est distraite. Pas la seule, en tous cas.

— Comme quoi ? s'enquiert Ell', anxieuse d'aider, ne se laissant pour une fois pas emportée par l'irritabilité qui la submerge usuellement à la simple évocation de leur camarade.

— Je sais pas. Et c'est peut-être justement le problème. J'ai l'impression d'oublier un truc, mais je sais pas quoi, partage Mae du mieux qu'elle peut, rompant elle aussi sa posture d'étirement mais pour en prendre distraitement une autre en ce qui la concerne.

Tout a commencé après cette histoire avec sa montre, qu'elle n'a pas vue juste sous son nez alors qu'elle la cherchait frénétiquement. Et ce jour-là, elle s'est aussi rendu compte qu'une course nocturne lui était à moitié sortie de l'esprit, au point de se convaincre que ça faisait partie de son rêve de cette nuit-là. Rêve qui, en conséquence, a pris une inconfortable saveur de semi-réalité, surtout après qu'elle a croisé Strauss et ses colocataires, en revenant sur ses pas qu'elle ne se souvenait justement pas avoir pris. Et voir son prof de Maths tous les jours au lycée, et presque à chaque fois pendant une heure alors qu'il lui parle équations et théorèmes, n'aide évidemment pas à faire passer ce malaise de fond. Elle croise Ben moins souvent, et Andy encore moins, mais leur présence même ponctuelle n'est pas non plus d'un grand secours face à sa légère désorientation. Oui, avoir l'impression d'oublier quelque chose résume très bien comment elle se sent depuis quelque temps.

— Hum. Rien de prévu pour les cours qu'on a ensemble. Un truc en Français ou en photo, peut-être ? Ellen tente d'aider son ami à déterminer ce qui lui échappe, commençant pas l'hypothèse académique, qui lui vient à l'esprit en premier étant donné là où elles se trouvent.

Là où la marginale a choisi l'Espagnol et le journalisme en options, Mae suit des cours de Français et s'adonne à la photographie. Ces deux cours sont donc les seuls dans lesquels Mae pourrait oublier quelque chose sans qu'Ellen ne puisse la rappeler à l'ordre facilement.

— Non. Enfin, si, j'ai un projet en photo, mais je gère, la petite blonde accepte de rentrer dans le procédé d'élimination en écartant déjà cette première suggestion.

— Est-ce que c'est un truc familial ? propose alors Ell', poursuivant sa démarche avec le second endroit où elle comme sa camarade passent le plus clair de leur temps.

— Non. Ce serait trop simple, élimine une nouvelle fois la blondinette, secouant la tête à la négative.

Si elle surveille toujours un peu Caesar du coin de l'œil, comme en atteste son insistance du matin-même pour le faire marcher, tout va bien à la maison. Leur père travaille beaucoup mais sur un projet qui semble l'enthousiasmer. Markus jongle enfin entre ses révisions et une vie sociale, grâce à la jolie Jena, ce qui a tout pour satisfaire la benjamine qui est une grande fan de la jeune femme. Quant à son oncle, il est fidèle à lui-même. À moins d'être physiquement blessé, il ne ramène jamais son travail à la maison. Cette compartimentation est d'ailleurs aussi bien pour son compte que le leur ; il les tient à l'écart des horreurs qu'il voit, et en échange ils peuvent lui offrir une échappatoire aux situations sordides auxquelles il est parfois exposé.

— Donc… c'est un truc nouveau, conclut l'adolescente aux gants coupés, tordant sa bouche dans une grimace perplexe, étant malheureusement arrivée au bout de sa courte liste des occupations et préoccupations courantes de son amie.

— Sauf qu'il y a rien de nouveau dans ma vie ! proteste Mae en prenant son visage dans ses mains, de plus en plus frustrée.

— Peut-être que si, et que c'est justement parce que tu n'as pas remarqué que ça te dérange, oppose gentiment Ellen.

— Pff. Laisse tomber. C'est probablement juste Nels, t'as raison, la blonde lâche l'affaire pour le moment, échangeant enfin la position de ses jambes devant elle.

— Si ça peut te consoler un peu, dis-toi qu'au moins on n'est pas les seules à se prendre la tête avec un pote, lui offre alors Ell', avec un mouvement de tête en direction de l'extérieur du gymnase.

Mae suit son regard, pour découvrir Andy et Ben, sous le pont du tramway, là où elle a justement vu le jeune homme pour la première fois. Ils semblent effectivement en plein débat, à la façon dont la blonde le foudroie du regard et qu'il a de son côté croisé les bras, imposant. Malgré ses dix centimètres de moins que son acolyte, et ce même avec des hauts talons, la jeune femme paraît pourtant dominer la discussion. Impossible de savoir si c'est parce que le sujet de la discorde lui tient à cœur, ou simplement parce que son interlocuteur n'est pas d'un naturel belliqueux. Peut-être que c'est justement à lui que le thème abordé est cher, pour qu'il aille jusqu'à un conflit ouvert, à l'encontre de ses instincts débonnaires.

— Ça m'étonne qu'on n'ait pas déjà assisté à une scène pareille, vu son caractère, commente Mae, faisant référence à l'hostilité d'Andy, qu'il ne lui a pas fallu longtemps pour ressentir, lorsqu'elle l'a formellement rencontrée, il y a maintenant huit jours.

— C'est marrant, quand même, parce que j'aurais dit qu'elle était hautaine, mais pas méchante, Ellen persiste dans son opinion, qu'elle a déjà donnée lorsque son amie lui a raconté la confrontation en détails, juste après l'avoir mise au courant pour Nelson et Degriff.

— Elle avait peut-être juste ses règles, après tout, qu'est-ce que j'en sais. Mais tu crois qu'elle serait du genre à se teindre les cheveux en bleu ? Mae demande tout à coup, comme prise d'une inspiration soudaine.

— Un bleu un peu clair, pourquoi pas. Ça lui irait bien au teint. Mais pourquoi tu te demandes ça, toi ? répond puis s'étonne la marginale dans un second temps, se rendant compte que le passage du coq à l'âne est usuellement sa spécialité à elle.

— Je sais pas. J'ai une image mentale d'elle avec les cheveux bleus. Mon subconscient fait décidément n'importe quoi, ces temps-ci, la blondinette s'excuse de sa divagation, secouant la tête pour s'en sortir ses drôles d'idées.

Avant qu'Ellen ne puisse rebondir, avec pourtant des théories curieusement pertinentes pour des hypothèses aussi fantasques, leur professeur de sport souffle dans son sifflet, afin d'attirer l'attention de ses élèves et pouvoir ainsi leur fournir les consignes pour les deux prochaines heures.

Les deux amies soupirent, tant parce que leur conversation a été interrompue que par manque d'enthousiasme à l'idée d'activité sportive, mais se joignent néanmoins au mouvement de foule par lequel la classe entière se resserre autour de son enseignant.

Scène suivante >

Commentaires