1x08 - Désynchro (15/16) - Jeux de mots

En fin de journée, Alek a délaissé son clavier d'ordinateur pour celui de son piano. Il s'est en fait mis à l'instrument peu après son entrevue avec Jena, préférant laisser le cas de sa sœur de côté pour la journée suite à ce premier bilan. Il a après tout travaillé sur le sujet pendant presque trois jours consécutifs, et une petite pause ne peut par conséquent que le rendre plus efficace lorsqu'il s'y remettra, le lendemain soir.

Malgré sa volonté de sortir l'anneau et son analyse de son esprit, l'ingénieur n'arrive cependant pas à passer outre un élément qu'il n'a pas évoqué avec le jeune femme : l'étrange similitude entre le code qu'il a trouvé dans le gadget et celui laissé dans son sillage par l'intrus de son laboratoire. La coïncidence est trop grande. Le problème, c'est que si ce n'est pas un hasard, qu'est-ce que ça peut bien signifier ? Que son envahisseur est l'inventeur de la bague ? Plus incroyable encore, que c'est carrément quelqu'un qui utilise la version fonctionnelle du bijou ?

Ruminant ces étourdissantes éventualités, le père de famille fait distraitement jouer ses doigts sur les touches noires et blanches devant lesquelles il est assis, faisant s'élever les mélodies qu'il a le plus l'habitude de jouer, c'est-à-dire celles sur lesquelles il a fait ses classes. Il n'écoute même pas la douce musique proche de la berceuse, son esprit ailleurs.

Le meilleur moyen de se tranquilliser serait d'identifier son visiteur clandestin une fois pour toute. Sauf qu'à part un message cryptique duquel même TOBIAS n'a pas été capable de restreindre les interprétations possibles, Aleksander n'a strictement aucune information sur cet énigmatique individu, aussi bienveillant a-t-il pu se montrer lors de la prise d'otages à Walter Payton. Et dire que les quelques intrusions qu'il a subies lui étaient enfin sorties de l'esprit, voilà qu'il y est invariablement ramené.

— Nite… Nite… est en train de répéter distraitement le quadragénaire lorsque son plus jeune fils passe par là, descendu de sa chambre pour venir chercher un verre d'eau dans la cuisine.

L'ingénieur a déjà fait de chaque terme de la phrase codée, "meet me ^ @ nite", son mantra pendant un long moment sans arriver à en tirer quoi que ce soit de plus que son intelligence artificielle. Il lui semble évident qu'il y a un sens caché mais il ignore lequel.

La lecture la plus instinctive du message serait "meet me up at night", ce qui signifie "retrouvez-moi la nuit", mais on peut difficilement faire moins précis, comme instructions pour un rendez-vous. Est-ce un lieu et/ou une heure à laquelle le contenu du mystérieux coffre-fort numérique se déverrouille de lui-même ? Ou bien simplement une énigme qui cache un mot de passe ?

— Hey, Papa. Me dis pas que tu joues aux échecs avec ton IA ? demande Caesar en se penchant par l'encadrement, attiré par la musique mais aussi le son de la voix de son père par-dessus la mélodie.

Ses premières manipulations de biologie, ce soir après les cours comme prévu, lui ont laissé une drôle d'impression. Et en rentrant, il lui restait encore des devoirs à faire dans d'autres matières. Il n'hésite donc pas à céder à la distraction que représente son géniteur assis à son piano.

— Huh ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ? le quadragénaire s'arrête de jouer et se tourne pour relever la remarque de son fils, qu'il ne comprend pas.

— Knight, knight, knight. C'est un truc que Jack chantonne parfois quand on joue aux échecs ensemble. Et ça me rend dingue ! le grand ado explique son intuition, sans entrer dans la pièce.

— Pourquoi ? Pas pourquoi ça te rend dingue, pourquoi est-ce qu'il chantonne ça ? l'interroge gentiment Aleksander, sa curiosité piquée.

— Il aime bien se lancer des défis, pour que nos parties soient équitables. Et l'un de ses préférés c'est d'établir un ordre de jeu pour ses pièces. Pion, cavalier, roi, reine, peu importe. Et du coup, il passe tout mon temps de jeu à se répéter le nom de la prochaine pièce qu'il va jouer. C'est insoutenable, élabore l'adolescent, à son ton pas si agacé que ça par le comportement de son camarade.

Jack gagnerait sans ça, de toute manière. Il ne le fait pas pour déstabiliser son adversaire mais pour tromper son propre ennui. Puisqu'il fait l'effort de jouer avec Caesar alors que ça ne représente strictement aucun challenge pour lui, le grand brun lui fait grâce de ses irritantes pratiques.

— Oh. Knight comme un chevalier, la pièce d'échecs du cavalier, saisit enfin Alek, qui était resté focalisé sur la nuit, malgré l'orthographe de toute façon bâtarde du mot dans la phrase d'origine.

— Oui. Pourquoi ? … Tu te berçais ? plaisante alors son fils, se rendant seulement compte que son père n'avait pas compris le mot dans le même sens que lui.

— Quelque chose comme ça. Qu'est-ce que tu fais, toi ? Alek évite d'entrer dans les détails de son étude, autant parce que c'est trop compliqué que parce que la discrétion est de mise, comme souvent.

— Er… Mes devoirs, répond machinalement l'adolescent, avec un haussement d'épaules peu enthousiaste, la perspective loin d'être stimulante en ce qui le concerne.

— Oh, au fait, est-ce que votre collecte s'est bien passée ? s'enquiert plus précisément son paternel, se souvenant soudain de cette entreprise et cherchant à redonner de la motivation à son fils.

L'expérience que Jack et Caesar ont choisie de mener pour leur exposé de biologie n'est un secret pour personne dans la famille. Même s'il n'en avait pas fait mention de lui-même, Mae s'en serait chargée, n'ayant à cause de son âge jamais pu donner son sang avant la semaine dernière, et ayant par conséquent mis un certain temps à tarir de commentaires sur cette expérience. Au final, ce sera la qualité des pâtisseries d'Holden qui l'auront marquée, plus que l'aiguille dans son bras.

— Ouais. On a tout ce qu'il nous faut. On a commencé les manips tout à l'heure, explique succinctement Caesar, lâchant enfin l'encadrement de la porte de la pièce, auquel il était resté pendu depuis le début de la conversation.

Il ne semble pas beaucoup plus enthousiaste qu'auparavant mais pour une raison différente, à en juger par ses mains qu'il glisse dans la poche ventrale de son pull à capuche, signe criant d'inconfort de sa part. Aleksander plisse les yeux en notant cette posture. Il n'a pas besoin de voir ses mains pour savoir qu'il trace les contours de sa cicatrice. Il a remarqué qu'il faisait ça, alors qu'il ne parlait plus, après l'Incident. C'est fou ce qui saute aux yeux lorsqu'on est contraints de faire juste un peu plus attention que d'habitude.

— Et ? Tout va comme vous voulez ? il tient à demander, sentant le léger malaise de son fils.

— On vient de commencer, Papa ! l'adolescent tempère cependant ses questions, un sourire pointant à nouveau au coin de sa bouche, comme lorsqu'il parlait des agaçantes manies de Jack.

— Très bien. Je promets de me retenir d'essayer de faire de toi un chercheur, à l'avenir, l'ingénieur revient donc sur son insistance, rassuré quant à son état d'esprit.

Amusé par le commentaire mais n'ayant aucune répartie pertinente à lui accorder, Caesar se détourne pour faire ce pour quoi il était venu au rez-de-chaussée, sans rien ajouter de plus, laissant son père à sa musique. Il ne faut en effet pas longtemps pour que les notes du piano retentissent à nouveau dans le petit salon, sous les doigts du barbu cette fois un peu plus concentré sur ce qu'il fait, tiré de sa précédente réflexion par cet interlude. Il y reviendra plus tard.

Si les aspirations étaient génétiques, il est néanmoins vrai que Caesar comme son frère et sa sœur auraient eu de très grandes chances de se tourner vers la recherche, avec un père nanotechnologiste et une mère archéologue, l'un inventeur et l'autre exploratrice. Mais le destin en a clairement voulu autrement, donnant au couple un aîné bientôt médecin, une benjamine plutôt artistique, et un enfant du milieu qui, s'il n'a pas exactement d'ambition bien définie encore, sait déjà qu'elle ne sera pas axée sur la découverte, puisque justement chercher sa voie ne l'enchante guère.

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