1x08 - Désynchro (14/16) - Jurons

La journée touche à sa fin, et le commissariat du dix-huitième district se vide petit à petit. Sam et Patrick ne font pas exception, éteignant leurs bureaux d'un commun accord. Sing Sing sur les talons et leurs vestes de cuir sur le dos, les deux inspecteurs descendent ensuite les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée, puis quittent le bâtiment par la porte principale, avec une vague salutation du geste à l'uniforme de garde à l'accueil.

Toujours dans ce silence que les années à travailler ensemble ont su rendre confortable, les deux hommes rejoignent leurs voitures garées sur le parking de la station. Ils marchent côte à côte jusqu'à celle de Patrick, la première sur leur chemin, où évidemment ils se séparent, le propriétaire du véhicule se rendant jusqu'à la portière conducteur. Avant que Sam ne s'éloigne trop, il l'interpelle cependant, mains en travers de son toit :

— D'accord, je vais le regretter, mais il faut que je demande : qu'est-ce que t'as foutu, encore ? il interroge son coéquipier, avec une grimace qui en dit long sur l'envie qu'il a d'avoir cette conversation, et par inférence à quel point il estime qu'elle est cependant nécessaire.

— Huh ? De quoi tu parles ? répond l'oncle en se retournant, déjà parti pour rejoindre sa propre voiture.

— Qu'est-ce que t'as fait à cette pauvre fille ? reformule Pat, sans vraiment être beaucoup plus explicite.

— De qui est-ce tu parles, bon sang ?! Sam monte d'un ton, quoique sans s'énerver vraiment, simplement amusé, comme souvent, par les capacités de communication médiocres dont dispose son partenaire.

— De Lizzie. Je l'ai jamais vue aussi… éteinte, il en vient enfin où il voulait en venir depuis le début, et le visage de Sam se ferme.

— Pourquoi je serais la cause de sa mauvaise humeur ? il demande, tout à coup beaucoup moins avenant, croisant même les bras.

— Les regards noirs ne mentent pas. Balance, ne se démonte nullement Patrick, sûr de son analyse et ne se laissant par principe jamais impressionner par son collègue quand c'est comme ça.

La jeune femme brune a en effet passé le reste de sa journée après sa dernière discussion avec l'oncle à éviter le duo, ce qui s'est paradoxalement traduit par une surveillance du coin de l'œil. Et malgré la discrétion dont elle s'est efforcée de faire preuve, son petit manège n'a pas échappé à Randers, dont le bureau fait face aux escaliers, la salle du serveur, et la salle de détente, où elle passe le plus clair de son temps.

— C'est pas moi ! se défend piètrement Sam, levant et laissant retomber ses bras le long de son corps dans son exaspération à être cuisiné sur ce sujet.

— Putain, je savais que tu pourrirais l'ambiance, avec tes conneries ! enrage alors l'autre, se retenant au dernier moment de taper du poing sur sa carrosserie, sachant pertinemment que cette réponse de la part de son équipier correspond à un aveu.

— J'ai rien fait, d'accord ? insiste malgré tout l'autre inspecteur, sans doute autant pour se convaincre lui-même que son interlocuteur, inconsciemment.

— Bah peut-être que t'aurais dû, à la tronche qu'elle tire, lui renvoie Randers, restant sur l'idée qu'il y a un problème à résoudre, et que s'il ne veut pas lui donner les informations pour l'aider à le faire, il va au moins harceler Quanto jusqu'à ce qu'il se décide à s'y atteler tout seul.

— Mais merde, à la fin, je suis pas responsable de toutes les petites sensibilités de tout le monde dans ce foutu commissariat ! Elle fait la gueule si elle veut ! D'où c'est mon problème ? éclate Sam, qui en a un peu ras le bol de toujours être le méchant de l'histoire, dès qu'histoire il y a autour de lui.

Patrick soupire bruyamment et bifurque dans sa tactique. Il se dit parfois que la meilleure thérapie qu'il ait jamais eue pour ses accès de colère, c'est bien de devoir gérer l'homme-enfant qu'est parfois son coéquipier.

— Très bien. Sois comme ça. Oublie que j'ai dit quoi que ce soit. J'aurais juste pensé qu'on avait déjà bien assez à gérer comme ça sans ajouter une de tes querelles d'amoureux à la con à la liste, il tente de culpabiliser son partenaire, qui lève les yeux au ciel à la grossièreté de sa manœuvre.

— Fais pas chier, quand est-ce que j'ai jamais ramené mes affaires au boulot ? il lui fait comprendre qu'il va un peu trop loin dans sa complainte.

Ses éventuels déboires personnels de Sam n'ont en effet jamais entaché sa performance professionnelle. Ce qui est justement quelque part un peu ce qui pose un problème en le cas présent, mais ça, il se garde bien d'en parler.

— C'est pas la question, lui accorde indirectement l'autre, bien que sans lâcher l'affaire pour autant.

— T'as raison, parce que ça va pas t'affecter, l'oncle lui lance sèchement, désireux de conclure cette pénible conversation au plus vite.

— Bien. C'est tout ce que je voulais, Pat cède à moitié, pour le moment en tous cas, levant imperceptiblement les mains en l'air, par signe de reddition subconscient.

— Bien ! valide le maître-chien, au pied duquel son animal est d'ailleurs assis, à surveiller l'échange entre les collègues d'un œil circonspect.

Ces deux-là se prennent régulièrement la tête. S'il est tout à fait apte à détecter les signes d'agressivité, Sing Sing n'a jamais réagi à aucune de leurs disputes, sentant qu'elles sont toujours inoffensives, dans le fond.

— Bonne soirée, Patrick salue justement Sam, comme pour confirmer l'instinct du chien, et ne terminant de toute manière jamais un débat avec son équipier sur une note négative.

Il a appris cette technique de désamorçage des conflits dans un séminaire de gestion de la colère. En règle générale, les conseils qu'il reçoit lors de ces conférences imposées, il n'en pense pas grand-chose, mais dès qu'il est question de son partenaire, il est prêt à faire un petit effort. Et il s'avère que cette méthode a rapidement fait ses preuves, ce qui l'a presque propulsée au rang de rituel pour les deux collègues, dès que le ton monte.

— Ouais, c'est ça, bonne soirée, lui renvoie l'autre, sur le ton de la plaisanterie également, acceptant de ne pas rester fâché.

Il sait pertinemment que le premier commentaire de Patrick partait d'une bonne intention, qu'il ne veut que son bien et celui de l'ensemble de leur équipe de travail au sens large. Et il est conscient que, s'il a réagi aussi violemment, c'est parce que le sujet le dérange. Et si le sujet le dérange, c'est parce qu'il a fait une bêtise. Il n'est pour l'instant pas beaucoup plus avancé sur laquelle qu'au moment où il l'a faite, mais il se rend bien compte qu'il en a fait une tout de même. Et en ce qui le concerne, il considère déjà ça comme un progrès de sa part. Mais de là à laisser son coéquipier lui donner des conseils dans ce département, il y a encore du chemin à parcourir.

Alors qu'il a enfin rejoint son propre véhicule et y a fait monter son chien à côté de lui, tout à ses rouspétances intérieures, il manque de reculer sur deux piétons, qui surgissent derrière sa voiture à l'ultime seconde. Il écrase la pédale de frein juste à temps, mais seul le grand homme blond en costume semble remarquer l'erreur que lui et son compagnon ont commise. Il s'excuse du geste auprès du conducteur, tout en incitant son voisin, à la peau sombre et la veste de sport universitaire, à libérer la voie au plus vite. L'inspecteur fait taire son chien qui grogne curieusement sur ces passants maladroits, puis leur fait comprendre du geste également qu'il n'y a pas de mal. Il quitte ensuite sa place de parking, et lorsqu'il tourne au coin de la rue, il a déjà tout oublié de la paire pourtant atypique, son esprit encombré par d'autres mystères qu'il juge plus importants pour le moment.

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