1x08 - Désynchro (13/16) - Ascenseur émotionnel
Markus rentre de la bibliothèque un peu plus tôt que les autres jours, lui comme son compagnon de révisions un peu fatigué par le partiel du matin. En arrivant dans la petite allée qui traverse la pelouse pour mener jusqu'à la porte d'entrée de sa maison, il découvre Jena sous le porche, assise sur les marches, un peu comme la fois où elle est venue emménager avec eux, le sac de voyage en moins.
— Hey, toi. Qu'est-ce que tu fais là ? il lui lance en s'approchant, la faisant relever la tête du sol entre ses jambes.
— Ton père voulait me parler, la jeune femme explique sommairement, peu désireuse d'entrer dans les détails.
Non pas qu'elle saurait comment. Elle est justement assise là pour se remettre de ce qu'elle a appris un peu plus tôt.
— Déjà ? s'étonne l'étudiant, en venant s'arrêter devant elle.
Il est tout aussi surpris qu'elle du peu de temps qui s'est écoulé depuis la cession de l'anneau à son paternel. D'autant plus qu'il est également tout aussi conscient du fait qu'il n'y a travaillé qu'en soirées et le week-end.
— Il a quelques pistes, même si rien de définitif, la brunette reste une nouvelle fois vague, faisant enfin comprendre à son interlocuteur la raison de sa posture à cet endroit.
Avec une moue de révélation, la bouche en O sans produire un son, Markus fait alors doucement glisser son sac de son épaule et vient s'asseoir à côté de la jeune femme, posant la sacoche par terre à côté de lui.
— Depuis combien de temps tu es assise là ? il demande, cherchant à évaluer le degré de profondeur de son état pensif.
Elle n'a pas l'air d'avoir froid, donc ça ne peut pas faire si longtemps que ça.
— Un petit bout de temps, elle répond tout de même en hochant la tête, visiblement encore en pleine réflexion mais sans s'en lasser encore.
S'il est rassuré sur la gravité de la situation, le jeune homme ne sait cependant pas trop quoi répondre ensuite. Il est plutôt clair que Jena n'a pas envie de parler de ce qui la tracasse, sinon elle aurait déjà commencé à le faire, alors lui poser la question serait malvenu. Lui demander comment elle va serait sans doute tout aussi agaçant. Mais à l'inverse, la laisser plantée là ou même changer brutalement de sujet paraîtrait probablement un peu insensible. Sans compter que, le nez en permanence plongé dans les bouquins, Mark aurait bien du mal à trouver un fait divers à mentionner à la jeune femme pour la faire penser à autre chose. C'est d'ailleurs bien parce qu'il se passe rarement quoi que ce soit d'excitant en cours ou à la bibliothèque que Robert est un si bon compagnon d'étude : c'est la personne la plus distrayante que Markus connaisse, et pour la modique somme d'être un bon public à ses bêtises.
En pensant aux facéties récentes de son ami, et étant donné la personne assise à sa gauche, le jeune homme ne peut évidemment pas s'empêcher de repenser à sa remarque du matin. Et l'humeur de sa voisine ne fait que conforter son opinion que la carrière d'entremetteur du plaisantin n'est pas près de décoller. Ceci étant dit, il ne peut pas nier beaucoup tenir à la jeune femme, sinon il ne sera pas aussi embêté de la voir dans un état pareil et de ne pas savoir quoi faire.
— Hey, tu veux sortir ? Pour te changer les idées ? il propose soudain avec enthousiasme, avant de froncer les sourcils à la formulation qu'il vient d'utiliser, malgré lui influencée par sa pensée précédente.
Il se mord la langue et détourne la tête, maudissant son meilleur ami le temps d'une seconde.
— Sortir ? relève évidemment la jeune femme en plissant très légèrement les yeux, ne pouvant pas manquer la réaction de Markus à sa propre suggestion.
— Ouais. Comme on fait d'habitude, il tente de rattraper sa maladresse, sans savoir si au contraire il n'est pas en train de s'enfoncer encore plus dans le malentendu.
— Avec Rob ? Jena continue à essayer de confirmer ce qu'il propose, suffisamment perceptive pour comprendre qu'il n'est lui-même plus sûr de rien.
Elle est tout à fait sortie de ses ruminations maintenant, aussi affûtée qu'elle peut l'être. Et Markus est très loin d'être un excellent menteur. Il a cependant cet avantage qu'une fois troublé il peut donner l'impression d'inventer alors qu'il dit la pure vérité. C'est une autre forme de dissimulation, même si moins courante et moins efficace que la plus traditionnelle.
— S'il est dispo, il valide, se pensant enfin sorti de l'auberge.
— Est-ce que tu es en train d'essayer de m'inviter sérieusement ? la jeune femme lui demande malgré tout directement, pour en avoir le cœur définitivement net.
— Quoi ? Nan ! Je veux dire… il commence à s'embourber et décide de se taire.
Il est extrêmement difficile de répondre à cette question quand on ne sait pas encore quelle va être la réaction de l'autre. Et il n'est à ce stade plus du tout certain que ce qu'il lui a proposé en premier lieu était si innocent que ça, finalement. Sacré Rob !
— Parce qu'on ne va pas faire ça, Markus, elle tranche rapidement, la lassitude à la fois sur son visage et dans son ton.
— Oh, il laisse seulement échapper, ne sachant pas trop comment réagir à un rejet aussi abrupt.
— On peut pas faire ça. Ce serait trop débile, elle réitère son opinion, même avec plus de véhémence encore.
— Oui ! Je sais. C'est pour ça que ce n'était pas ce que… Je sais. Tellement débile ! il est d'accord avec elle, dans le fond, mais c'est la façon péremptoire dont elle écarte l'idée qui le perturbe.
— Je sais pas toi, mais j'ai pas besoin de ça, elle poursuit, alors qu'il n'a soudain qu'une envie c'est qu'elle change de sujet.
— Tout à fait d'accord ! il tente de lui faire passer qu'il a tout à fait compris le message.
— Je sais déjà que je t'aime bien. Et j'ai horreur des fleurs, des chocolats, ou même des ours en peluches. C'est quoi le délire des mecs d'offrir des ours en peluche aux filles, franchement ? elle ne se laisse cependant pas coupée dans son élan et poursuit son argumentaire sans faiblir.
— Er… Quoi ?! Markus accroche sur la première partie de sa dernière prise de parole, croyant avoir mal entendu.
— Je vais être ta petite amie. On n'a pas besoin de complètement bouleverser nos habitudes, elle confirme ce qu'il a cru entendre, mais sans réellement y donner du sens pour lui.
— Je suis perdu, il avoue, n'arrivant pas à concilier la décision dont elle vient de lui faire part et son opinion exprimée juste avant sur la stupidité de la simple idée de leur couple.
— Oh. Vraiment ? elle s'étonne sincèrement, sans doute plus au clair dans sa tête qu'elle ne l'a été à l'oral.
— Très ! il l'assure, hochant la tête avec de grands yeux paniqués.
— Pas de souci. Je sais comment t'aider, elle annonce d'un air entendu, avec un petit sourire fier.
Sur ce, elle se penche vers lui et vient déposer un baiser sur ses lèvres, une main sur sa cuisse, sans hésiter, tout naturellement. Il reste parfaitement immobilisé par ce geste, papillonnant des yeux, sous le choc. Elle se recule juste assez de lui pour qu'ils se voient nets, gardant sa main sur sa jambe mais sans rien dire d'abord. Il est pour sa part toujours de toute façon réduit au mutisme, essayant encore d'assimiler ce qui vient de se produire. Il tente aussi de réinterpréter la conversation qui a mené à cet évènement telle que son interlocutrice l'a sans doute entendue du premier coup, contrairement à lui.
Lui laissant d'abord le temps de réagir, Jena finit tout de même pas céder à l'amusement de le voir dans cet état proche de la catatonie et rit doucement. Elle se penche à nouveau vers lui, pour l'embrasser sur la joue cette fois, puis se lève.
— Merci, je me sens beaucoup mieux. On se voit demain, elle le salue avant de s'éloigner, le laissant assis là où il est.
Le regard de Markus ne revient à la réalité que pour voir la jeune femme s'éloigner le long de l'allée puis du trottoir, avant de disparaître au loin. Ce n'est pas du tout ce à quoi il s'était attendu en la découvrant assise sur son perron. Non pas qu'il s'en plaigne exactement, mais il a encore du mal à se faire à l'idée que ça s'est effectivement produit. Est-ce qu'il vient vraiment de se décrocher une petite amie ? Ça fait peut-être longtemps que ça ne lui est pas arrivé, mais il est à peu près certain que ça ne s'est jamais produit de cette façon auparavant. La transition qui vient d'avoir lieu n'a rien de traditionnel. Mais en même temps, à quoi d'autre aurait-il pu s'attendre, dès qu'il est question de Jena Miller ? A-t-elle jamais fait quoi que ce soit selon les conventions, d'aussi loin qu'il la connaisse ?
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