1x08 - Désynchro (1/16) - Frère & Sœur

Lui grand, elle plutôt petite, ils s'efforcent malgré la différence de taille de calquer leur pas sur celui de l'autre. Ils ne parlent pas, et ne se regardent pas non plus, chacun perdu dans ses propres pensées. Il n'y a aucun bruit dans la rue, que celui de leurs semelles sur le trottoir, pas même un autre piéton, une voiture, ou un oiseau. Insensibles à l'aspect désertique de leur décor tout comme à la fraîcheur du vent matinal, le duo avance sur le bitume avec l'assurance de l'habitude et la détermination du devoir. Car au bout de leur voyage, on les attend de pied ferme, perspective qui les emplit tantôt de lassitude, tantôt de joie, et parfois même d'un étrange mélange des deux.

Sacs de cours à l'épaule, les deux plus jeunes Quanto cheminent côte à côte, en direction de leur lycée.

Ils habitent suffisamment près de Walter Payton pour pouvoir choisir de venir à pied ou en transports en commun, selon leur degré de motivation et d'envie. Plus tôt dans l'année, il est généralement peu agréable de choisir la première option, mais l'Hiver commence maintenant à être suffisamment proche de son terme pour pouvoir se le permettre sans trop avoir à se plaindre du froid. Dans moins d'un mois, ce sera le Printemps, après tout.

Remarquant que l'un de ses lacets est défait, Caesar s'arrête et s'agenouille pour le renouer, avant qu'il ne s'abîme et surtout avant qu'il ne le fasse trébucher. Mae fait halte en même temps que lui, et le regarde faire.

- Dépêche, on va être en retard, elle l'incite au bout d'un moment à accélérer sa manœuvre, qu'elle juge trop lente.

- Qui c'est qui a pas voulu prendre le bus ? Je croyais que tu avais fini de courir, lui rétorque son frère, de tout évidence pas l'instigateur de la décision de leur moyen de locomotion ce matin.

- De un, si t'es pas content, t'avais qu'à pas venir avec moi. De deux, c'est pas courir, c'est marcher. Et puis, ça te fait du bien, de prendre l'air, à toi aussi, elle réplique, ayant effectivement choisi cette alternative autant pour lui que pour elle, si ce n'est plus.

Caesar n'a jamais été le plus sportif de la fratrie. Autant même dire qu'il a toujours été le moins athlétique des trois. Ce qui n'est pas nécessairement une honte, sachant que Mae est une gymnaste accomplie qui pratique assidûment le jogging, et que Markus jouait régulièrement au basket avant de s'investir dans ses études et de devoir radicalement diminuer sa fréquence d'entraînement. S'il ne va pas chercher l'effort, le grand brun n'y rechigne cependant jamais, et ne peut ainsi pas être considéré comme en mauvaise forme pour autant.

Néanmoins, depuis quelque temps, pour ne pas éhontément blâmer l'Incident une fois de plus, il semble peut-être encore un peu moins actif que d'ordinaire, sortir moins et même passer plus de temps dans sa chambre à la maison. Ou peut-être qu'il a raison, et que sa frangine n'en a pas autant fini avec son besoin d'exercice qu'elle ne le croyait et a tout bonnement décidé de l'entraîner avec elle dans ses frasques afin de se sentir moins seule. Qui sait.

- Je vais pas te laisser aller au bahut à pied toute seule, proteste justement le plus âgé des deux, ne pouvant aller à l'encontre d'aucun des arguments de sa petite sœur.

- J'ai pas cinq ans, elle lui rappelle, piquée, alors qu'il se relève et qu'ils reprennent leur avancée.

- Non, mais tu pèses cinquante kilos, il lui renvoie avec autant de pertinence qu'elle, tout en réajustant la bretelle de son sac à son épaule.

- Je te mets la pâtée quand tu veux, elle poursuit l'échange avec toujours autant de justesse.

- Mais tu n'en as pas l'air, lui oppose une dernière fois son grand frère, persistent.

- Donc, si je comprends bien, tu m'accompagnes pour dissuader des gens que je pourrais sans doute repousser moi-même de m'agresser, en les laissant penser que toi tu pourrais t'occuper d'eux, alors que c'est pas vrai ? elle essaye de lui mettre le nez dans ses incohérences, haussant un sourcil au caractère retors de ce qu'elle vient de décrire, même si elle a tenté de se repérer par des gestes des mains.

- En gros, c'est ça, oui, Caesar ne peut que confirmer, un peu malgré lui.

- Donc, en plus, si je me fais attaquer par des gens de qui je peux pas me défendre toute seule, tu peux même pas m'aider ? elle pousse une peu plus loin dans l'absurde, espérant avoir le dernier mot.

- Si, un peu quand même. Arrête de négocier, tu ne te débarrasseras pas de moi comme ça ! finit par s'agacer son grand frère, las qu'elle veuille invalider son rôle d'aîné.

- Peu importe, quelles sont les chances qu'on se fasse agresser, alors qu'on a été pris en otages il y a moins d'un mois ? Ce serait franchement du mauvais karma, conclut alors Mae, sachant qu'il veut bien faire et voyant qu'il n'est simplement pas d'humeur à un débat purement théorique.

Même si sur le fond il veut bien accorder cette logique à sa sœur, il ne répond pas à cette remarque. Il n'est pas encore prêt à plaisanter avec ce sujet, c'est tout. Et il n'en a pas honte, sachant que c'est elle qui a rebondi rapidement, pas lui qui se remet lentement. Margery, la jeune fille que le mercenaire menaçait au moment où il a décidé de se faire passer pour Jack, voit encore un thérapeute toutes les semaines, et de nombreux élèves sont déjà allés parler à l'infirmier du lycée, après être retournés dans la salle où ils avaient été retenus. Chacun garde des séquelles, même si globalement la vie a repris son cours normal.

- Salut, Maena, une voix grave interpelle soudain la jeune fille du duo alors qu'ils approchent de leur établissement, les faisant sursauter tous les deux, à nouveau plongés dans leurs ruminations.

- Er… Bonjour, Ben, elle répond après un moment de battement, le temps de reconnaître le mécanicien, assis contre sa bécane, au coin de la rue, mains dans les poches de sa veste en cuir.

Elle l'a déjà revu autour du lycée, cette dernière semaine, depuis qu'elle a appris son nom, mais elle ne l'avait encore jamais recroisé de suffisamment près pour qu'ils puissent se saluer. Pour être tout à fait honnête, elle ne s'attendait pas à ce qu'il le fasse, en fait. Elle ne l'aurait sans doute pas fait si elle l'avait repéré en premier. Elle est l'élève d'un de ses colocataires, pas exactement de quoi devenir copains. Sans doute a-t-il simplement voulu se montrer poli. Ce n'est pas comme s'il l'attendait là, après tout, il est très probablement une fois de plus ici en tant que chauffeur pour Andy.

Il dégage l'une de ses mains pour lui faire signe, qu'elle lui rend discrètement, tout comme son sourire, sans cesser de marcher.

- Tu connais ce type par son prénom, maintenant ? s'étonne Caesar, jetant un regard intrigué à l'inconnu, par-dessus son épaule, alors qu'ils s'en éloignent.

Il n'a pas oublié l'obsession passagère d'Ellen pour le mystérieux rôdeur, en début d'année. Ce dont il se souvient surtout c'est qu'elle et Mae ont laissé Jack les entraîner dans une combine quelque peu illicite dans le but d'obtenir des informations. Mais s'il ne s'est jamais enquis des résultats de cette enquête, le grand brun doute qu'elle ait mené à des introductions avec le motard.

- C'est comme ça qu'il m'a été présenté, se défend sa frangine, haussant les épaules d'impuissance.

- Par qui ? Quand ? l'interroge son frère, partagé entre la curiosité et l'inquiétude.

- Le week-end où j'ai cherché ma montre partout. Je l'ai croisé avec Strauss dans la rue, devant chez eux, elle lui raconte seulement, le sujet n'ayant pas été soulevé la semaine passée.

- Ils habitent ensemble ? percute seulement l'adolescent, de plus en plus étonné.

- Ouais, avec cette femme blonde que tu croisais partout par un moment. Elle s'appelle Andy, si ça t'intéresse, Mae lui apprend, ne voulant rien lui cacher.

- Pas vraiment mais… répond Caesar sans terminer son objection, jetant juste un autre coup d'œil par-dessus son épaule vers Ben, qui de son côté s'est couché en arrière sur son véhicule, comme pour contempler le ciel.

- Je sais, c'est bizarre, qu'un prof ait des colocs, la petite blonde devine ses propres curiosités dans celles de son frère.

- C'est surtout bizarre que les colocs en question passent leur temps à traîner près du lycée, corrige cependant le grand brun, en vérité pas intrigué par la même chose.

Il sait que le motard comme la belle blonde ont été interrogés par la police, suite à la prise d'otages. Il le sait parce que leur principal a annoncé que toute personne s'étant trouvée dans ou aux alentours de l'établissement ces derniers mois allait être questionnée, mais aussi parce qu'il les a vus venir répondre d'eux-mêmes à l'appel à témoin qui avait été lancé à cet effet, afin d'éviter du travail supplémentaire d'identification.

Selon son oncle, les personnes concernées ont été invitées à se présenter à l'accueil du lycée et non au commissariat simplement pour leur éviter de se sentir systématiquement accusées de quelque chose. Ce serait une procédure classique, apparemment. Et d'après le peu d'informations qu'a reçu l'inspecteur, théoriquement pas concerné par l'affaire sur le plan professionnel, la manœuvre a été un succès, puisque seuls quelques individus ne se sont pas montrés, et seulement un ou deux de ceux-là n'ont pas encore pu être retrouvés. Non pas que ce soit exactement une priorité, les coupables ayant été mis derrière des barreaux, après des aveux complets ajoutés au fait d'avoir été pris sur le fait.

- Ça t'inquiète ? demande Mae, voyant cette fois juste sur l'arrière-pensée de son frère.

Les mercenaires ayant forcément repéré les lieux avant de faire leur entrée, il est raisonnable de penser qu'ils ont rôdé aux alentours pendant un certain temps, un peu à la manière de Ben, sans que personne ne se doute qu'ils allaient faire quoi que ce soit d'aussi néfaste. Et ce genre de considérations a de quoi rendre n'importe qui un peu méfiant. Mince, est-ce que l'adolescente n'a pas elle-même enquêté à sa manière pour en savoir plus sur le mystérieux biker, à un moment donné ?

- Nan. Je vais quand même pas avoir peur d'un mec qui s'appelle Ben ! répond cependant Caesar, voulant apaiser les craintes de sa sœur sur son état émotionnel.

Autant il ne fait pas du tout de leur vitesse de rétablissement une compétition, autant qu'elle en soit à s'inquiéter pour lui alors qu'ils étaient tous les deux dans la même situation traumatisante le fait souvent tiquer. C'est stupide, mais c'est sa petite sœur, même d'une seule année, il a l'impression que c'est lui qui devrait se soucier d'elle, pas l'inverse.

D'un autre côté, il ne ment pas, le motard ne l'effraie pas. Et pas seulement à cause de son prénom un peu enfantin, d'autant qu'il ne le connaissait pas il y a encore quelques instants. Non, le mécanicien dégage tout simplement une aura particulièrement amicale, à l'opposé de menaçante. Ce qui est d'ailleurs étrange étant donné sa stature et sa dégaine, objectivement imposantes. Bien que de la même haute taille que l'adolescent, il doit bien faire une dizaine de kilos de plus, et sans embonpoint. En fin de compte, si Caesar est dérangé par sa présence, c'est plutôt par curiosité qu'inconfort. Est-ce qu'il n'a pas mieux à faire que rôder dans les parages ?

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