1x08 - Désynchro (11/16) - Hypothèse folle

Jena est justement au chevet de sa petite sœur à l'hôpital lorsqu'elle reçoit un message d'Aleksander, qui lui propose de faire le point sur son analyse de l'anneau qu'elle lui a confié. La jeune femme reste une seconde surprise devant le nom et le texte qui s'affichent sur l'écran du carnet électronique qu'elle a toujours sur elle, à défaut d'une SD. Elle ne s'attendait pas du tout à ce que l'ingénieur revienne vers elle si tôt. Ça fait moins de deux semaines qu'elle lui a transmis le gadget, et elle sait qu'il ne prendrait pas le risque de l'étudier sur son lieu de travail. En chemin vers le domicile des Quanto, elle ne peut donc pas s'empêcher de se demander si elle va recevoir de bonnes ou de mauvaise nouvelles.

Lorsque la brunette arrive sur le seuil, elle se rend compte que la porte est entrouverte. Perplexe, elle la pousse tout doucement, puis fait un pas timide à l'intérieur, avant d'appeler celui qui l'a invitée :

— Mr. Quanto ? elle hèle, espérant que l'entrebâillement ait été laissé pour son bénéfice et ne présage pas quelque chose de plus inquiétant.

— Jena ? Bonjour, lui répond Alek, apparaissant au bout du couloir, à ne pas douter en provenance de son labo.

Du geste, la quadragénaire l'incite à le rejoindre. Elle s'exécute après avoir refermé derrière elle.

— Vous avez laissé ouvert ? elle s'assure, toujours incertaine, en désignant l'entrée derrière elle de son pouce par-dessus son épaule.

— Non, j'ai juste programmé la porte pour qu'elle s'ouvre à ton arrivée. J'avais prévu de le faire quand tu vivais encore ici, mais je n'ai pas eu le temps. Puisque je savais que tu venais, ça m'a semblé une bonne occasion pour un test, lui explique le père de famille, avec un haussement d'épaules dégagé, comme si ce n'était pas grand-chose.

— C'est gentil, elle le remercie indirectement, sincèrement flattée de la confiance qu'il lui accorde, surtout après les conclusions qu'il a tirées sur sa situation, au moment où elle lui a présenté la bague.

— Il n'y a pas de quoi. Tu es toujours la bienvenue ici. On s'installe ? il enchaîne, lui proposant le salon d'une ouverture de son bras.

— Vous avez déjà quelque chose sur l'anneau ? elle demande sans bouger encore, n'osant toujours pas vraiment y croire, malgré la réputation du scientifique.

— J'ai plusieurs éléments. Rien d'excessivement concluant, mais j'ai pensé qu'un bilan des possibilités pourrait dès maintenant être intéressant pour toi, il lui expose calmement, pas du tout vexé car pouvant tout à fait comprendre ses doutes.

— Bien sûr ! Je vous suis, elle s'en remet donc à son jugement, replaçant une mèche derrière son oreille, un peu anxieuse de ce qu'elle est sur le point d'entendre tout de même.

Alek ouvre la voie vers le salon, dans l'un des fauteuils duquel il prend place, désignant ensuite le canapé du geste à sa jeune invitée.

— Assieds-toi, je t'en prie, il insiste, avec un sourire paisible comme il sait si bien les faire.

— Est-ce que c'est mauvais ? elle demande alors de but en blanc, elle aussi partisane de la méthode du sparadrap lorsqu'il est question d'épreuves difficiles, comme Markus.

— Pas nécessairement. À ce stade, je ne peux encore rien affirmer. Mais comme je l'ai dit, j'ai quelques pistes, il la rassure à moitié seulement, honnête.

— D'accord. Je vous écoute, elle prend son courage à deux mains et s'assoit enfin, comme il le lui a proposé plusieurs fois, pour le laisser lui révéler ce qu'il a découvert.

— Autant que je peux en juger, cet anneau est un appareil de traduction, il commence simplement, lui offrant sa conclusion sur le rôle des zones auparavant non-identifiées de l'accessoire, qu'il a fini par démasquer.

— C'est-à-dire ? Jena lui demande indirectement de reformuler, avec un grimace, déjà perdue alors qu'il vient à peine de commencer.

— C'est-à-dire qu'il traduit un signal d'entrée donné par l'utilisateur en un signal de sortie compatible avec l'interface cible. Et très probablement vice versa, Aleksander élabore gentiment, conscient qu'il est lui-même encore peu au point sur le sujet.

— Er… J'ai peur de ne toujours pas comprendre, la jeune femme est plus directe cette fois.

— La façon dont la bague est construite fait qu'elle reçoit un signal du porteur, et le transmet à une cible. C'est une forme d'outil de communication, si tu préfères, tente de paraphraser une nouvelle fois l'ingénieur, peu habitué à aborder ce type de thème avec un public naïf, voire un public tout court.

— Quel signal ? Quelle cible ? elle cherche des précisions, ayant enfin l'impression d'à peu près voir ce qu'il veut dire.

— C'est un peu ce sur quoi je bloque. Je ne suis pas biologiste. À chaque fois que je travaille sur du biomécanique ça requiert beaucoup de recherches de ma part. Mais d'après le modèle rudimentaire que j'ai implémenté, je pense que c'est un signal électrique, il annonce, prenant des précautions pour ne pas sonner trop sûr de lui, puisqu'il ne l'est pas du tout.

Son modèle n'a pas vraiment donné de résultat qu'il sache exploiter. Les zones auparavant inactives de la bague se sont certes mises en marche au contact d'une surface intelligente, mais Alek n'a après ça pas su comprendre ce qui était en train de se produire exactement, au-delà d'un échange de courant électrique entre le porteur de l'anneau et l'ordinateur.

La bonne nouvelle, c'est que le courant maximal échangé n'est a priori pas suffisant pour plonger qui que ce soit dans le coma. La moins bonne nouvelle, c'est qu'il semble par ailleurs dépendre d'un ensemble de variables d'entrée du modèle humain, que l'ingénieur serait bien incapable de modifier de manière réaliste dans sa modélisation. Pas sans de sérieuses connaissances en neurosciences, en tous cas. Connaissances qu'il a peur d'avoir bien du mal à obtenir d'ailleurs, étant donné qu'elles sont usuellement transmises après plusieurs années d'études en biologie seulement.

— Comment est-ce que quelqu'un pourrait émettre un signal électrique dans une bague ? s'étonne Jena, pour qui l'électricité ne conduit qu'à l'électrocution, et est donc censée rester extérieure au corps humain.

— Par un influx nerveux, très certainement, l'ingénieur théorise, citant simplement le moyen le plus répandu pour un organisme vivant de générer du courant électrique.

— Un influx nerveux ? la brunette persiste dans son incompréhension, plissant les yeux dans son scepticisme.

— Oh. J'oublie que tu n'as pas fini le lycée. Er… Les messages nerveux, que ce soit sensoriels ou moteurs, sont essentiellement des dépolarisations en chaîne de cellules nerveuses, depuis ou vers le cerveau, qui est lui-même constamment en activité électrique. C'est ce que mesure un EEG, le quadragénaire s'efforce de combler les lacunes scolaires de son interlocutrice, espérant ne pas la perdre davantage.

Normalement, pour avoir assidûment fréquenté la chambre d'hôpital d'un comateuse ces dernières semaines, elle devrait être familière avec l'électroencéphalogramme. C'est bien pour ça qu'il l'a cité en exemple, d'ailleurs.

— D'accord… Mais qu'est-ce que ça pourrait bien apporter de communiquer un message nerveux à une bague ? Et vers où ? C'est un appareil de monitoring, quelque chose comme ça ? elle semble heureusement voir où il veut en venir, n'ayant après tout pas quitté l'école à cause d'un échec mais pour des raisons personnelles.

— C'est écrit dans le rapport d'accident de ta sœur qu'elle était dans sa chambre, entre son armoire, son lit, et son bureau. Si elle a posé sa main sur son bureau, il est possible qu'un transfert se soit établi. De là à savoir si ça aurait pu causer son électrisation, ne serait-ce qu'indirectement, je ne peux encore rien affirmer, rebondit Alek, toujours aussi posé et précautionneux dans ses réponses à ses questions.

— Mais pourquoi ? Je veux dire, quel intérêt de transférer un message nerveux à un ordinateur ? essaye toujours de comprendre Jena, fronçant les sourcils.

— À mon humble avis, pour un hack organique. Pour permettre à quelqu'un d'affecter un système informatique sans avoir à connaître le système d'exploitation, le langage, et aussi sans même avoir besoin d'interface physique comme un écran ou clavier. D'après la structure de l'anneau, c'est même probablement une communication dans les deux sens, c'est-à-dire que l'utilisateur a un retour de ce qu'il est en train de faire. Je ne sais pas encore trop sous quelle forme, mais si c'est effectivement fonctionnel, c'est assez incroyable, s'enthousiasme un peu l'ingénieur, malgré lui assez impressionné par ce qui a peut-être été fait.

Jena laisse de son côté passer une seconde, assimilant ce qu'on vient de lui dire, secouant lentement la tête dans son incrédulité. Elle est beaucoup moins emballée que son interlocuteur par ce qui vient d'être dit, ça c'est sûr.

— Ça semble un peu fou, oui, elle se permet.

— Il existe déjà des ordinateurs organiques. Et très honnêtement, un ordinateur tel que nous le connaissons n'est qu'une pâle imitation de notre cerveau. Mais une interface directe entre vivant et artificiel n'a cependant jamais été autre chose que de la science-fiction. C'est même probablement interdit. D'après ce que tu m'as dit des circonstances dans lesquelles tu as récupéré l'anneau, ça ne me choque pas, cependant, ne la contredit pas Aleksander.

— D'accord mais… qu'est-ce que ça signifie, pour Caroline ? la jeune femme recentre le problème, finalement peu intéressée par la bague en elle-même, et plutôt curieuse de savoir si elle peut participer au rétablissement de sa sœur.

— Plusieurs possibilités : premièrement, rien ne s'est passé, l'anneau est resté inactif, et elle s'est électrisée autrement, commence le père de famille, pragmatique.

— D'accord, valide Jena, hochant la tête à cette première alternative, à la fois rassurante et décevante, puisque n'apportant aucune aide à la patiente.

— Deuxièmement, elle a effectivement réussi à communiquer avec son ordinateur, mais ce n'est pas la cause de son électrisation. Ou peut-être indirectement, sous le coup de la surprise, je ne sais pas, il poursuit, avec toujours autant de détachement, s'efforçant de rester aussi clinique que possible.

— On est dans les meilleurs cas de figures ou les pires ? demande la brunette avec un éclat de rire étouffé, ne plaisantant qu'à moitié.

— Je ne saurais pas te dire. Ma troisième et dernière conjecture serait que Caroline a effectivement réussi à communiquer avec son ordinateur par l'intermédiaire de cet anneau, mais que quelque chose s'est mal passé, et que c'est ça qui l'a électrisée, conclut enfin Alek, sur une hypothèse certes très inquiétante en elle-même, mais pourtant celle qui laisse le plus de marge de manœuvre quant au rétablissement de l'adolescente comateuse dont il est question.

— Et vous avez une idée de comment déterminer ce qui s'est passé ? interroge Jena, peu désireuse de se retrouver face à un nouveau Docteur qui lui dit qu'il ne sait plus quoi faire, comme c'est le cas avec les médecins qui surveillent sa petite sœur à l'hôpital.

— Je vais étudier de fond en comble le contenu de son bureau. Si un transfert s'est produit, je devrais être en mesure d'en retrouver une trace. Et si effectivement je trouve quelque chose de ce genre, alors je devrais pouvoir savoir s'il y a eu court-circuit ou non, répond heureusement le quadragénaire, plutôt sûr de lui, pour une fois dans cette discussion.

— Et en quoi ça aide Caroline ? demande ensuite la grande sœur, tenant à être au courant de toutes les étapes de la recherche d'une solution potentielle pour réveiller sa cadette.

— Un échange de courant atypique a pu compromettre son système nerveux central et la plonger dans ce coma dont on ne peut pas la sortir par les méthodes conventionnelles de traitement des électrisations. Si je parviens à isoler cet échange, pour peu qu'il existe, je pourrais PEUT-ÊTRE mettre au point une charge inverse, qui pourrait PEUT-ÊTRE rétablir le fonctionnement normal de son système nerveux. Je dis bien peut-être. Je ne suis pas médecin, il lui donne la meilleure estimation de la suite des évènements dont il est capable, surtout compte tenu des incertitudes qu'il doit encore éclaircir avant de seulement pouvoir en arriver au cas de figure duquel ils discutent.

— Je sais que vous faites tout ce que vous pouvez. Et vous n'avez pas idée d'à quel point je vous suis reconnaissante pour ça, elle l'assure que la possibilité seulement d'une solution est déjà beaucoup pour elle, se forçant à sourire malgré son inquiétude à toutes ces révélations, même si pour la plupart encore à confirmer.

— C'est un peu ma responsabilité en tant que scientifique de m'assurer que le public ne souffre pas d'une invention mal intentionnée, ou ne serait-ce que défectueuse, il esquive galamment ses remerciements indirects.

— Je n'aurais jamais dû lui envoyer cette bague, Jena murmure alors, principalement pour elle-même.

— Tu ne pouvais pas savoir. Et l'implication de l'anneau reste encore à prouver, il tente de la consoler, du mieux qu'il peut.

— Que ce soit ça qui l'ait mise dans cet état ou non, je n'aurais quand même pas dû la lui donner. C'est dangereux pour tellement d'autres raisons, déjà, elle persiste à s'en vouloir, se tordant les mains et se mordillant les lèvres sous le poids des remords.

— Alors pourquoi ? Pourquoi la lui envoyer ? s'enquiert soudain Aleksander, curieux malgré lui, et ne pouvant pas lui offrir de contre-argument à ce dont elle s'accuse elle-même, cette fois.

— Parce qu'elle venait d'avoir l'âge que j'avais quand je suis partie de la maison. Et que je ne voulais pas donner à mes parents raison en étant une mauvaise influence sur elle, alors je lui ai fait un cadeau pour… Je ne sais pas. Pour la convaincre de ne pas chercher à m'imiter ? C'était stupide.

Elle n'arrive pas à justifier son action avec suffisamment de pertinence pour se sentir moins mal, et prend son visage dans ses mains, ses coudes sur ses genoux.

— Ça partait d'une bonne intention, lui offre le quadragénaire, clément.

Jena a peut-être vingt-trois ans, ce qui aux yeux de la loi et de la société de manière générale en fait une adulte, mais en ce qui concerne le père de famille, elle n'est encore qu'une enfant. D'autant plus qu'elle n'a jamais terminé son éducation scolaire. Et il ne fait pas partie de ces gens qui pensent que s'émanciper plus tôt que ne le prévoient les textes fait grandir plus vite ; ce n'est vrai que pour certaines choses. Elle est indéniablement plus indépendante et débrouillarde que la plupart des gens de son âge, mais elle n'en reste pas moins encore aussi fragile sur certains points.

— Le truc qui pave la route qui mène aux Enfers ? relève la brunette en libérant son visage, pour pouvoir lever les yeux vers l'ingénieur et qu'il voie son esquisse de sourire.

— Encore une fois, ça reste à prouver, il rebondit avec une touche d'humour, qui tire un éclat de rire à la jeune femme.

Alek n'a jamais été ce qu'on peut qualifier de sociable. Il n'a pas de problème avec les gens, mais il n'a jamais eu beaucoup d'amis pour autant, et le peu qu'il a eus n'ont jamais été très proches de lui. C'est d'ailleurs l'une des rares choses qu'il a en commun avec son frère cadet, bien que pour des raisons différentes, simplement discret et non pas bagarreur. À l'inverse, Jude, sa femme, était la confiance incarnée, parfois peut-être même à l'excès, bien qu'elle ait eu la chance de ne jamais en souffrir vraiment.

Tenant de ces deux individus presque diamétralement opposés sur ce plan, les enfants Quanto sont donc amicaux mais raisonnables : ils n'entretiennent qu'un nombre restreint de relations, mais compensent la faible quantité par une certaine qualité. C'est pour cette raison que, lorsque Markus a ramené Jena chez eux, malgré son propre tempérament introverti, le père a su que la jeune femme valait la peine d'être connue. Et même après avoir découvert de nouveaux éléments à son sujet, il n'a pas changé d'avis, ayant appris à se fier au jugement initial de son fils aîné. Il n'a après tout jamais tenu rigueur à Nelson de l'endroit où Mae l'a rencontré.

C'est pourquoi il fait de son mieux pour remonter le moral de la jeune femme en la voyant un peu marrie en face de lui maintenant, même si ce n'est définitivement pas ce pour quoi il est le plus doué. Et que ça fonctionne le touche à peu près autant que le fait qu'elle semble se rendre compte de l'effort que ça représente pour lui, à la façon dont elle lui sourit sans chercher à prolonger l'échange, comme devinant qu'il préfère le silence.

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